Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Rey Frères a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Yenne - Résidence Albert Carron au paiement de la somme de 126 033,77 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2013 et capitalisés, en règlement du reliquat du prix des travaux réalisés en exécution du marché d'humanisation des locaux de l'établissement et en indemnisation de divers préjudices que la résiliation illégale de ce marché lui a causés.
Par un jugement n° 1302509 du 5 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 juin et 30 septembre 2016 et le 25 octobre 2017, la société Rey Frères, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 5 avril 2016 ;
2°) de condamner l'EHPAD de Yenne à lui payer la somme de 126 033,77 euros TTC ;
3°) de condamner l'EHPAD de Yenne aux dépens comprenant les frais de timbre ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Rey Frères soutient que :
- le règlement du marché résilié ne peut être définitif si la décision de résiliation est irrégulière et contestée, ce qui est le cas en l'espèce, la résiliation n'étant pas justifiée et le maître d'ouvrage ne lui ayant pas permis de suivre la réalisation du marché de substitution ;
- le décompte de résiliation ne pouvait être élaboré tant que les marchés de substitution n'étaient pas achevés et réglés définitivement, ce dont l'EPHAD ne justifie pas ;
- elle n'a jamais reçu le décompte de son marché, ni par courrier - le contenu du pli du 26 septembre 2012 n'étant pas établi et celui-ci n'ayant en tout état de cause pas été retiré -, ni par ordre de service, alors que le cahier des clauses administratives générales applicable à son marché le prévoyait ;
- compte tenu du caractère injustifié et irrégulier de la résiliation de son marché, elle est fondée à demander l'indemnisation de la perte de chiffre d'affaires sur le montant des travaux restant à réaliser, soit 12 138,76 euros HT, ainsi que l'indemnisation des frais de procédure exposés pour un montant de 5 615,87 euros TTC, des frais bancaires liés à la perte de trésorerie et à l'immobilisation des cautions bancaires pour un montant de 15 650,06 euros TTC et d'un préjudice moral évalué à 41 537,55 euros TTC ;
- aucun manquement ou carence dans l'exécution de ses obligations contractuelles ne peut lui être reproché ;
- le solde des travaux exécutés lui reste dû, soit un montant de 49 712,29 euros TTC ;
- aucune réfaction ne peut être appliquée au montant de ses travaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2016, l'EHPAD de Yenne conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Rey Frères au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EHPAD de Yenne soutient que :
- un décompte de liquidation a régulièrement été notifié à la société Rey Frères par lettre recommandée du 26 septembre 2012, dont elle a accusé réception le 28 mai 2012 ;
- les moyens de la société requérante tirés du caractère injustifié et irrégulier de la résiliation sont inopérants car tardifs et en tout état de cause infondés au regard des nombreuses mises en demeure adressées avant la résiliation et restées sans réponse ;
- en tout état de cause, son mémoire de réclamation n'est pas suffisamment motivé ;
- ses réclamations ne sont pas fondées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le cahier des clauses administratives générales approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la société Rey Frères, et de Me B..., représentant l'EHPAD de Yenne ;
Considérant ce qui suit :
1. L'EHPAD de Yenne a, en janvier 2008, confié à la société Rey Frères la réalisation du lot n° 18 " plomberie - sanitaire " des travaux d'" humanisation " de la résidence Albert Carron. Le 27 mai 2010, il a résilié ce marché aux frais et risques de l'entreprise. Par courrier du 26 septembre 2012, un " décompte de liquidation " du marché résilié a été notifié à la société Rey Frères, laquelle conteste l'avoir reçu. Le 6 mars 2013, la société Rey Frères a adressé à l'EHPAD un mémoire en réclamation aux termes duquel elle demandait le règlement d'un reliquat du coût des travaux effectués et le paiement de diverses indemnités en réparation des préjudices que la résiliation, selon elle illégale, du contrat lui avait causés. L'EHPAD lui ayant opposé un refus par courrier du 14 mars 2013, la société Rey Frères a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement auxdites sommes, pour un montant total de 126 033,77 euros TTC. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 49.4. du cahier des clauses administratives générales (CCAG) approuvé par le décret du 21 janvier 1976, applicable au marché en litige : " La résiliation du marché (...) peut être (...) aux frais et risques de l'entrepreneur. (...) / En cas de résiliation aux frais et risques de l'entrepreneur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur pour l'achèvement des travaux. (...) le décompte général du marché résilié ne sera notifié à l'entrepreneur qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux ". Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, sous réserve que le litige soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et, de ce fait, obtenir le règlement des sommes qui lui sont dues sans attendre le règlement définitif du nouveau marché. Par ailleurs, l'intervention du décompte général en cours d'instance ne prive pas le recours de son objet et le cocontractant de l'administration n'est alors pas tenu de le contester selon les règles prévues par le CCAG. Le cocontractant de l'administration peut également introduire, dans un délai de deux mois à compter de la connaissance qu'il a acquise de la décision de résiliation, une action en contestation de la mesure de résiliation, tendant à la reprise des relations contractuelles. En revanche, si le titulaire du marché résilié n'a introduit aucune de ces actions, il doit, s'il souhaite faire valoir l'irrégularité ou le mal fondé de la décision de résiliation et réclamer une indemnisation à ce titre, le faire au plus tard à l'occasion de l'établissement du décompte général de son marché, dans la mesure où le caractère définitif du décompte général du marché met fin aux relations financières entre les parties.
3. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'EPHAD de Yenne a prononcé la résiliation du marché dont la société Rey Frères était titulaire par une décision du 27 mai 2010, dont la société a accusé réception le 28 mai 2010. La société Rey Frères n'a pas engagé d'action en contestation de cette décision dans le délai de deux mois qui lui était imparti pour ce faire. Elle a sollicité au mois d'octobre 2011 l'établissement de son décompte général. Après avoir attendu que le marché de substitution ait été exécuté, l'EPHAD de Yenne a notifié, le 26 septembre 2012, à la société Rey Frères un décompte " de liquidation " arrêté " conformément aux clauses prévues à l'article 47.2 du CCAG de travaux (version 2009) ". Ce faisant, il a entendu notifier le décompte général prévu à l'article 13.4. du CCAG approuvé en 1976, applicable au marché en litige. Si la société Rey Frères soutient que le marché de substitution n'avait pas été entièrement exécuté à cette date, une telle circonstance, à la supposer avérée, n'a pas pour effet de rendre inexistant ce décompte général mais seulement de le rendre, le cas échéant, prématuré. Il lui appartenait donc de le contester dans les délais prévus par le CCAG applicable.
4. Aux termes de l'article 13.42 du CCAG approuvé en 1976 : " Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service (...) ". Aux termes de l'article 13.44 du même CCAG : " L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de (...) quarante-cinq jours dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois ". Aux termes de l'article 13.45 : " Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'oeuvre le décompte général signé dans le délai (...) de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article (...) ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché ". Ces stipulations n'imposent pas que le décompte général du marché soit notifié par ordre de service du maître d'oeuvre à peine d'irrégularité. Par suite, n'est pas irrégulière une notification du décompte général, signé par le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage, mais notifiée par ce dernier.
5. Il résulte de l'instruction que l'EPHAD de Yenne a adressé à la société Rey Frères une lettre recommandée avec accusé de réception à l'adresse exacte de cette société. L'EHPAD de Yenne, qui soutient que ce pli contenait le décompte général de la société requérante, produit un avis de réception de ce pli, signé et faisant apparaître que le pli a été distribué le 28 septembre 2012. La société Rey Frères soutient toutefois qu'elle ne l'a jamais reçu et se prévaut d'un courrier des services postaux prenant acte de son mécontentement après que celle-ci leur ait demandé en vain de retrouver le pli distribué. Toutefois, elle ne conteste nullement que l'avis de réception du courrier litigieux a été signé en son nom par une personne ayant qualité pour ce faire, la signature apparaissant sur cet avis de réception étant au demeurant la même que celle apparaissant sur d'autres pièces produites dans la présente instance, et n'apporte aucune explication permettant de comprendre comment la société Rey Frères aurait pu signer un avis de réception sans avoir reçu aucun pli en contrepartie. Si elle allègue, par ailleurs, que le contenu du courrier litigieux n'est pas établi, elle ne se prévaut pas d'un autre contenu. Enfin, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 4, les stipulations du CCAG n'imposent pas à peine d'irrégularité la notification du décompte général du marché par ordre de service. Il suit de là que le décompte général du marché élaboré par le maître d'ouvrage a été régulièrement notifié à la société et que le délai de 45 jours dont elle disposait pour faire connaître son éventuel désaccord a commencé à courir le 28 septembre 2012. A défaut de toute manifestation de la société dans ce délai, la société Rey Frères doit être regardée comme ayant accepté le décompte de son marché, lequel a ainsi acquis un caractère définitif le 12 novembre 2012. Il suit de là que le mémoire en réclamation que la société Rey Frères a adressé à l'EHPAD le 6 mars 2013 était tardif et la fin de non-recevoir contractuelle opposée par l'EHPAD a été à bon droit accueillie par les premiers juges.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Rey Frères n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Rey frères la somme de 2 000 euros que demande l'EHPAD de Yenne au titre des frais d'instance exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Société Rey frères est rejetée.
Article 2 : La société Rey frères versera à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Yenne une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Rey Frères, à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Yenne et à la ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 10 juillet 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 30 août 2018.
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N° 16LY01916