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19/12/2017 | FRANCE | N°16LY01437

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 19 décembre 2017, 16LY01437


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le préfet de l'Isère a décidé sa remise aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile.

Par un jugement n° 1601970 du 19 avril 2016, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés et enjoint au préfet de l'Isère d'en

registrer la demande d'asile de Mme C... et de lui délivrer, pendant le temps de l'examen de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le préfet de l'Isère a décidé sa remise aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile.

Par un jugement n° 1601970 du 19 avril 2016, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés et enjoint au préfet de l'Isère d'enregistrer la demande d'asile de Mme C... et de lui délivrer, pendant le temps de l'examen de celle-ci, une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 avril 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Mme C....

Il soutient que :

- c'est après un examen approfondi de la situation de Mme C... exempt de toute erreur qu'il a décidé de la remettre aux autorités hongroises ;

- ni sa francophonie ni sa bonne intégration ne justifiaient qu'il mette en oeuvre le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;

- l'existence d'un risque sérieux que sa demande d'asile ne soit pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile n'est pas établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2016, Mme C..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit versée à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 20 avril 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 12 mai 2017.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juin 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure, au cours de l'audience publique ;

1. Considérant que le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 19 avril 2016 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a, d'une part, annulé l'arrêté du 1er février 2016 par lequel il a décidé la remise de Mme C..., ressortissante de la République démocratique du Congo, aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du 1er février 2016 par lequel il a refusé de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile, et, d'autre part, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme C... et de lui délivrer, pendant le temps de l'examen de celle-ci, une autorisation provisoire de séjour ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 susvisé : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement " ;

3. Considérant que pour annuler les arrêtés du 1er février 2016, le magistrat désigné, après avoir relevé que l'article 17 paragraphe 1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 permettait à tout État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale même si cet examen ne lui incombait pas en vertu des critères fixés par ce règlement, a indiqué que la procédure de réadmission de Mme C... vers la Hongrie la contraindrait à faire instruire sa demande par les autorités hongroises dans des conditions faisant obstacle à la mise en oeuvre de la plénitude des garanties attachées à l'exercice de son droit d'asile ; qu'il a également observé que l'intéressée avait été internée pendant six jours dans un camp hongrois situé à une quarantaine de kilomètres de Budapest, dans des conditions matérielles et morales particulièrement éprouvantes, qu'elle y avait subi des violences la visant particulièrement en tant que femme et que, francophone, elle avait fait preuve depuis son arrivée en France d'une volonté et d'une capacité d'intégration remarquables, en suivant diverses formations et en participant à des activités bénévoles ; qu'il a déduit de l'ensemble de ces éléments que la décision du préfet de l'Isère de s'abstenir, dans ces circonstances particulières, d'user de la faculté offerte par l'article 17 paragraphe 1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, tout comme son refus, réitéré sur recours gracieux, de l'admettre provisoirement au séjour au titre de l'asile ;

4. Considérant que la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile ; qu'il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, s'il convient d'en faire usage ;

5. Considérant que la Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a adopté, en 2013, une loi de transposition de la directive n° 2013/33 UE du 26 juin 2013 ; que l'ouverture, le 10 décembre 2015, par la Commission de l'Union européenne, d'une procédure d'infraction notamment fondée sur le caractère non suspensif des recours contentieux, le non respect des garanties d'interprétation et de traduction, et l'absence de garanties effectives du droit au recours et à l'accès à un tribunal impartial ne préjuge pas de l'issue de cette procédure et ne permet pas par elle-même de considérer que ces manquements sont avérés ; que, par arrêt C-695/15 du 17 mars 2016, la Cour de justice de l'Union européenne saisie sur renvoi préjudiciel d'un tribunal hongrois, a indiqué que les aspects de la législation hongroise en matière d'asile soumis à la Cour étaient compatibles avec le droit européen, en particulier que les autorités compétentes en matière d'asile d'un Etat membre peuvent déclarer une demande de protection irrecevable si un demandeur a transité ou séjourné dans un pays sûr, qu'un Etat membre peut procéder à un renvoi d'un demandeur vers un pays sûr même après avoir accepté de le reprendre en charge sur la demande d'un autre Etat membre, et que l'Etat membre responsable n'a pas besoin d'informer l'Etat procédant au transfert de sa règlementation et de sa pratique en ce qui concerne les renvois vers les pays sûrs ; que, par ailleurs, ainsi que le fait valoir le préfet de l'Isère, la description faite par Mme C... des conditions matérielles et morales éprouvantes des conditions de son internement dans le camp hongrois de Bickse n'est corroborée par aucun élément probant ;

6. Considérant que, dans ce contexte, et en dépit de la circonstance que Mme C... était francophone et de son incontestable volonté et capacité d'intégration, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que les éléments dont il était fait état devant lui devaient manifestement le conduire à faire usage de la faculté prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner la demande de protection internationale de l'intimée ;

7. Considérant qu'il appartient, toutefois, à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant la juridiction administrative ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) " ;

9. Considérant que le droit au recours effectif doit permettre à l'intéressé de critiquer, le cas échéant, l'application erronée d'un critère de responsabilité énoncé au chapitre III du règlement précité ; que le chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III ", qui comprend les articles 7 à 15, fixe les critères de détermination de l'Etat responsable et leur hiérarchie ; que l'article 7 de ce chapitre prévoit que : " La détermination de l'Etat responsable en application des critères énoncés dans ce chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où l'étranger a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre " ; que les articles 8 à 5 énoncent et hiérarchisent les critères à partir du type de situation dans laquelle un demandeur d'asile peut se trouver ; que l'article 13 qui concerne la situation de l'entrée et/ou du séjour prévoit au paragraphe 1 que : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière " ;

10. Considérant que le recours effectif qui doit permettre au demandeur d'asile de critiquer l'application erronée d'un critère de responsabilité est organisé, en droit interne, par les articles L. 742-4 et L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'obligation de motivation de la décision de transfert, imposée par les dispositions de l'article L. 742-3 du même code, citées au point 8, doit faire apparaître le critère de responsabilité retenu par l'autorité de l'Etat membre qui prononce ce transfert, parmi ceux énoncés au chapitre III du règlement, afin de permettre à l'intéressé d'exercer dans les meilleures conditions son droit au recours effectif ;

11. Considérant que l'arrêté attaqué vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il fait état de ce que la situation de l'intéressée ne relève pas des dérogations prévues par l'article 17 du

règlement (UE) n° 604/2013 ; qu'il mentionne également que, saisies le 12 octobre 2015 d'une demande de reprise en charge de Mme C..., les autorités hongroises ont donné leur accord le 26 octobre 2015 ; que, toutefois, aucune de ces mentions ne permet d'appréhender les éléments de fait ou de droit permettant d'identifier le critère retenu par le préfet de l'Isère pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressée, qui ne pouvait, à la seule lecture de l'arrêté attaqué, connaître le critère retenu par l'administration pour s'adresser aux autorités hongroises et être, ainsi, mise à même d'en contester, le cas échéant, la pertinence ; qu'ainsi Mme C... est fondée à soutenir que la motivation de cet arrêté est insuffisante ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés du 1er février 2016 ;

13. Considérant qu'aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " (...) Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation (...) " ; que, par application de ces dispositions, il y a lieu de condamner l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, à verser à Me A... une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés qu'elle aurait réclamés à la requérante si celle-ci n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale, ce versement emportant renonciation de la part de cette avocate à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ce versement emportant renonciation au bénéfice de l'indemnité de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... C...et à MeA.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Menasseyre, présidente assesseure,

Mme Terrade, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 décembre 2017.

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N° 16LY01437

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY01437
Date de la décision : 19/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-07-01-085 Procédure. Pouvoirs et devoirs du juge. Questions générales. Renvoi au Conseil d'Etat d'une question de droit nouvelle.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : MARCEL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2017-12-19;16ly01437 ?
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