Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) de condamner solidairement le collège Théodore Monod de Margencel et le département de la Haute-Savoie à lui verser les sommes de 46 000 euros et de 10 000 euros en réparation des préjudices financier et moral qu'elle estime avoir subis en raison des agissements de harcèlement moral dont elle a été victime ;
2°) d'enjoindre au collège Théodore Monod et au président du conseil départemental de la Haute-Savoie de diligenter une enquête relative aux faits de harcèlement moral dont elle a été victime ;
3°) de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1301038 du 6 octobre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2015, Mme B..., représentée par Me Martinet-Beunier, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2015 ;
2°) d'enjoindre au collège Théodore Monod de Margencel et au département de la Haute-Savoie de diligenter une enquête interne aux fins de déterminer les auteurs des faits de harcèlement moral et de les sanctionner ;
3°) de condamner solidairement le collège Théodore Monod et le département de la Haute-Savoie à lui verser une somme de 46 000 euros en réparation de ses préjudices financiers ;
4°) de condamner solidairement le collège Théodore Monod et le département de la Haute-Savoie à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
5°) de mettre à la charge du collège Théodore Monod et du département de la Haute-Savoie une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- elle a été victime de faits de harcèlement moral justifiant le versement d'une indemnité de 46 000 euros au titre de son préjudice financier et de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- l'absence d'intervention de la hiérarchie du collège et du département en dépit de ses alertes constitue un manquement aux obligations statutaires ; si le département a procédé à sa mutation, cette décision l'a pénalisée alors que les auteurs des faits de harcèlement moral n'ont fait l'objet d'aucune sanction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2016, le département de la Haute-Savoie, représenté par le Cabinet Philippe Petit et Associés, avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- Mme B... n'a pas été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral ; sa mutation a été décidée dans l'intérêt du service et dans son intérêt propre ; elle était partie prenante aux mauvaises relations entre les agents d'entretien techniques, qui ont eu un impact sur le fonctionnement du service, et sa manière de servir n'était pas satisfaisante ; elle ne disposait d'aucun droit au maintien de sa concession de logement par utilité de service, devenue convention d'occupation précaire par décision du conseil d'administration prise à l'unanimité ; l'emploi occupé par l'intéressée ne justifiait plus l'octroi d'un logement pour utilité de service ; la redevance d'occupation a été fixée en fonction de l'évaluation objective réalisée par le service des domaines ; elle n'occupait pas les lieux de manière paisible et a vécu de simples rappels à l'ordre comme des intrusions dans sa vie privée ;
- il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
- la requérante n'établit pas la réalité des préjudices qu'elle prétend avoir subis.
Un mémoire, enregistré le 1er décembre 2017 et présenté pour le département de la Haute-Savoie, n'a pas été communiqué, en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 2006-1691 du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nathalie Peuvrel, premier conseiller,
- les conclusions de M. Marc Clément, rapporteur public,
- et les observations de Me Sovet, avocat (Cabinet Philippe Petit et Associés), pour le département de la Haute Savoie ;
1. Considérant que Mme B... épouse A..., adjoint technique de 1ère classe, a été affectée au collège Théodore Monod de Margencel au poste de chef de cuisine à compter du 1er octobre 2006 par arrêté du président du conseil général de la Haute-Savoie du 22 septembre 2006 ; qu'elle a été mutée à Annemasse le 15 février 2010 à compter du 1er mars 2010, après avis favorable de la commission administrative paritaire ; que le tribunal administratif de Grenoble a, par jugement du 6 octobre 2015, rejeté sa demande tendant à ce que l'établissement public local d'enseignement et le département de la Haute-Savoie soient solidairement condamnés à lui verser une somme totale de 56 000 euros en réparation des préjudices financier et moral qu'elle estime avoir subis du fait d'agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle aurait été victime ; que Mme B..., qui ne conteste pas l'irrecevabilité, retenue par les premiers juges, de ses conclusions indemnitaires en tant qu'elles sont dirigées contre le collège Théodore Monod, doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant seulement qu'il rejette ses conclusions dirigées contre le département de la Haute-Savoie ;
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B..., recrutée en 2006 pour occuper un emploi qualifié de "chef de cuisine" sur sa feuille d'évaluation pour 2007 et qui avait alors reçu une excellente appréciation, est devenue second de cuisine lorsqu'un agent de maîtrise a été recruté, le 1er février 2008, en qualité de chef de cuisine ; que les conditions de travail de Mme B... se sont dégradées à compter de cette date du fait de tensions et de conflits persistants ayant alors affecté non seulement les agents du service de cuisine du collège, mais aussi les personnels résidant dans les locaux de l'établissement ; que la concession de logement par utilité de service dans les locaux de l'établissement qui avait été attribuée à Mme B... par arrêté du président du conseil général du 29 mars 2007 à effet au 1er septembre 2006 en raison de l'emploi qu'elle occupait a été transformée sans motif en convention précaire d'occupation par délibération du 5 décembre 2008 du conseil d'administration de l'établissement, où siègent la plupart des résidents de l'établissement, laquelle transformation s'est accompagnée d'une augmentation de la redevance d'occupation de plus de 80 %, alors que l'emploi qu'elle occupait, qui avait justifié l'attribution de la concession, n'avait pas changé et figurait toujours sur la liste des emplois dont les titulaires bénéficient d'une concession de logement établie par ce même conseil d'administration qui, par une nouvelle délibération du 11 juin 2009, lui a demandé de libérer ce logement à compter du 1er octobre 2009 sans que ni la modification du statut de son logement, ni l'invitation à le libérer aient fait l'objet de décisions du président du conseil général, seule autorité habilitée à décider en ce domaine ; que l'ensemble de ces éléments est susceptible de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme B..., laquelle a fait l'objet d'une mutation dans l'intérêt du service au collège Michel Servet d'Annemasse à compter du 1er mars 2010 ;
5. Considérant, cependant, qu'il résulte de l'instruction que la manière de servir de Mme B..., à laquelle plusieurs erreurs dont les conséquences auraient pu s'avérer sérieuses ont été reprochées, ne donnait pas satisfaction et qu'elle a joué un rôle prépondérant dans la dégradation de l'atmosphère et des relations de travail au sein du service de cuisine de l'établissement Théodore Monod ; qu'il est également établi, notamment par le rapport de saisine de la commission administrative paritaire du 11 février 2010, dont elle ne conteste pas les termes, lequel fait état d'un "comportement inadmissible" de son époux à l'égard d'autres personnels logés dans l'établissement et de ce que plusieurs mains courantes ont été déposées en gendarmerie, qu'elle n'a pas occupé paisiblement le logement mis à sa disposition, qu'elle n'a quitté que le 20 juillet 2010 alors qu'elle avait été autorisée à l'occuper jusqu'au 30 juin 2010 seulement, ayant été mutée au collège d'Annemasse le 1er mars 2010, et qu'elle a persisté à refuser d'acquitter l'intégralité de la redevance mise à sa charge ; que, par ailleurs, plusieurs rappels à l'ordre, justifiés par la circonstance qu'elle résidait dans l'enceinte d'un établissement d'enseignement, lui ont été adressés au sujet de son chien de race rottweiler non muselé et non tenu en laisse ; qu'il est également établi que Mme B... a refusé de se rendre dans le bureau du principal du collège qui l'avait convoquée le 22 octobre 2009 à la suite d'un incident et a, en outre, le 21 janvier 2010, contrairement à l'ensemble des agents concernés, refusé d'être reçue en entretien individuel par le directeur de l'éducation, de la formation et de l'université du département de la Haute-Savoie qui s'était déplacé pour rechercher une solution d'apaisement au sein du service de cuisine du collège Théodor Monod ;
6. Considérant qu'eu égard à l'attitude générale de l'intéressée, ni les agissements susmentionnés du département de la Haute Savoie, ni sa mutation au collège d'Annemasse sans diminution de sa rémunération ou de ses responsabilités, décidée, dans l'intérêt du service, pour mettre un terme aux tensions existant entre elle-même et les autres membres du personnel, ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral à son égard ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le département de la Haute-Savoie aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à cet égard ni, par suite, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande
Sur les frais non compris dans les dépens :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Haute-Savoie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la requérante de la somme demandée au titre des frais non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme que demande le département en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département de la Haute-Savoie tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A..., au département de la Haute-Savoie et au ministre de l'éducation nationale.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2017 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
M. Hervé Drouet, président assesseur,
Mme Nathalie Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2017.
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N° 15LY03827