Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 23 mars 2017 du préfet du Cantal portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur ce territoire pendant une durée de deux ans.
A l'appui de cette demande, il a également demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, par un mémoire distinct, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issu des dispositions du 6° du II de l'article 27 de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Par un jugement n° 1700673 du 30 mars 2017, le magistrat désigné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a dit n'y avoir pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée et a rejeté la demande de M.B....
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 avril 2017, M.B..., représenté par Me Gauché, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 mars 2017 ;
2°) d'annuler les décisions préfectorales du 23 mars 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pu préparer utilement sa défense : son conseil a été autorisé à communiquer avec lui 26 heures avant l'audience, ce délai rendant impossible la présence d'un interprète ;
- c'est à tort que le magistrat désigné a écarté le moyen tiré de ce que son droit, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, d'être entendu avant l'intervention de la mesure d'éloignement avait été méconnu, au motif qu'il n'avait pas précisé en quoi il disposait d'informations pertinentes qui auraient pu influencer le contenu de la mesure d'éloignement, alors que du seul fait de son incarcération, il a été empêché de faire valoir des informations utiles à sa défense tant au cours de la procédure administrative qu'au cours de la procédure contentieuse.
Par un mémoire distinct, enregistré le 10 mai 2017, M. B...demande à la cour, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 1700673 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 mars 2017, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issu des dispositions du 6° du II de l'article 27 de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Il soutient que les dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent une atteinte substantielle et injustifiée au droit à un recours effectif en ce qu'elles ne prévoient aucune mesure aux fins de compenser les contraintes inhérentes à la détention, le législateur s'étant borné à calquer le régime procédural des obligations de quitter le territoire français prises à l'encontre des personnes retenues aux personnes détenues ; l'obligation pour l'administration d'informer les personnes détenues de leurs droits de bénéficier d'un interprète ainsi que de l'assistance d'un avocat n'est pas de nature à elle seule à garantir le caractère effectif du droit au recours juridictionnel, dès lors que ni le délai de recours de 48 heures, ni le délai de jugement de 72 heures impartis par les dispositions du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquelles renvoie le IV du même article, ne prennent en compte les difficultés pratiques d'organisation d'un entretien entre l'étranger détenu et son avocat et l'interprète.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2017, le préfet du Cantal conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le comportement de M. B...constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l'ordre public pour qu'il l'oblige à quitter le territoire français sans délai.
Par une ordonnance du 6 juin 2017, l'instruction a été close au 7 juillet 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-728 du 3 mars 2016 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, notamment le 6° du II de son article 27 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Michel, rapporteur ;
1. Considérant que M. B..., ressortissant géorgien sans domicile fixe, a été condamné le 24 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Grenoble à une peine d'emprisonnement de 6 mois pour des faits de vol et tentative de vol par ruse, effraction, ou escalade dans un local d'habitation, commis les 10 et 22 novembre 2016 ; qu'incarcéré à... ; que, par un jugement du 30 mars 2017 dont M. B...relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée et a rejeté la demande d'annulation ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile créé par les dispositions du 6° du II de l'article 27 de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France :" En cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention (...) " ; qu'aux termes du IV de ce même article L. 512-1, " Lorsque l'étranger est en détention, il est statué sur son recours selon la procédure et dans les délais prévus au III. Dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger est informé, dans une langue qu'il comprend, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète ainsi que d'un conseil " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'étranger placé en détention dispose, à l'instar des étrangers placés en rétention administrative, d'un délai de 48 heures à compter de la notification de la décision prononçant une obligation de quitter le territoire français pour saisir le tribunal administratif d'un recours tendant à son annulation ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., mis à l'écrou le 24 novembre 2016, a reçu notification par voie administrative le 27 mars 2017 à 11 heures des décisions du même jour l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et lui faisant interdiction de revenir sur ce territoire pendant une durée de deux ans ; qu'un interprète était présent lors de cette remise ; qu'un recours contre ces décisions rédigé en langue française a été présenté le 28 mars à 14 h 49 ; qu'un mémoire a été produit pour M. B...le 29 mars à 10 h 56 par Me Gauché, avocat, qui avait été commis d'office à sa demande pour l'assister devant le magistrat désigné ; que le requérant, qui a été mis en mesure de défendre ses intérêts devant la juridiction saisie n'est dès lors pas fondé à soutenir que le jugement qu'il attaque est intervenu au terme d'une procédure irrégulière ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;
5. Considérant que les dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile contestées sont applicables au litige ; qu'il ne résulte pas de la décision n° 2016-728 du 3 mars 2016 du Conseil constitutionnel visée ci-dessus que ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
7. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 7 mars 2016 que les dispositions législatives contestées, non envisagées par le projet de loi, ont été introduites au cours des débats pour permettre que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif statue dans les 72 heures sur les recours exercés par des personnes détenues contre l'obligation de quitter le territoire qui leur est faite ; qu'il ressort également de ces débats que le législateur a, en raison de la brièveté du délai de recours de 48 heures et des obstacles que peuvent rencontrer les personnes détenues pour être assistées dans leurs démarches contentieuses, introduit l'obligation d'informer le détenu de ses droits de faire appel à un interprète et à un conseil ; que cette obligation d'information imposée lors de la notification de l'obligation de quitter le territoire français est de nature à garantir le caractère effectif du droit à un recours juridictionnel découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que, par ailleurs, le régime pénitentiaire auquel est soumis l'étranger placé en détention ne fait pas obstacle à ce que, afin de préparer utilement sa défense, son conseil soit, à sa demande, autorisé par l'administration pénitentiaire à le rencontrer compte tenu des nécessités de bon fonctionnement de l'établissement pénitentiaire, dans les délais fixés par les dispositions du IV de l'article L. 512-1 ; que les difficultés matérielles d'application de ce texte dans certains centres de détention liées à leurs modalités de fonctionnement n'impliquent pas à elles seules son inconstitutionnalité ; que la procédure de renvoi des questions de constitutionnalité n'a pas pour objet de faire résoudre ces difficultés matérielles par le Conseil constitutionnel ; que, par suite, il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct présenté par M.B..., que le moyen tiré de ce que la durée du délai de recours contentieux prévue par les dispositions précitées du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de mesure de compensation des contraintes inhérentes à la détention, porte une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif pose une question dépourvue de caractère sérieux au sens du 3° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu pour la cour de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée et que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif a refusé de transmettre cette question au Conseil d'Etat ;
Sur le surplus des conclusions de la requête :
9. Considérant qu'il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, M. B...ne précisant pas davantage en appel quelles auraient été les informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure d'éloignement contestée ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....
Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Cantal.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2017, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 octobre 2017.
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N° 17LY01800