Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... B...a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'État à lui verser la somme de 279 402 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa requête, en réparation des préjudices qu'il a subis en raison de l'illégalité de la suppression des repos compensateurs dont il n'a pu bénéficier avant son départ à la retraite et des heures supplémentaires qu'il n'a pu récupérer.
Par le jugement n° 1007779 du 27 décembre 2013, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'État à verser à M. B... la somme de 11 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, outre intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010 et capitalisation de ces intérêts et il a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par son arrêt n° 14LY00664 du 24 mars 2015, la cour administrative d'appel de Lyon, sur appel de M. B..., a porté à 32 000 euros la somme mise à la charge de l'État en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé et rejeté le surplus de ses conclusions ainsi que l'appel incident du ministre de l'intérieur.
Par l'ordonnance n° 390429 du 21 décembre 2016, le président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État, sur pourvoi du ministre de l'intérieur, a annulé cet arrêt du 24 mars 2015 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon.
Procédure devant la cour
Par un mémoire enregistré le 27 janvier 2017, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné l'État à réparer son préjudice moral ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 279 402 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance et capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- la publication de l'arrêté du 6 décembre 1994 n'a jamais été établie par le ministre de l'intérieur ; en l'absence de toute preuve d'une publication régulière, aucune prescription quadriennale ne peut être retenue en l'espèce ;
- un arrêté réglementaire ne peut être régulièrement publié dans un bulletin officiel ; en application du décret du 22 septembre 1979 relatif à la publication des documents administratifs, la " matière couverte " par les bulletins officiels de chaque administration doit être fixée par un arrêté ministériel ; le " BOMI " tel que défini par l'arrêté ministériel du 11 septembre 1980 n'a pas vocation à publier des arrêtés règlementaires en lieu et place d'une publication régulière au Journal officiel ; en l'espèce aucune date de publication n'a été établie par le ministère de l'intérieur ;
- le refus d'indemniser les agents ayant été contraints d'engager une action serait discriminatoire entre les agents du groupement et validerait la possibilité pour l'État de ne pas indemniser le travail réalisé par l'agent alors même que cette privation résulte d'une décision réglementaire illégale et que les congés sont réintégrés aux agents partant en retraite depuis 2009 ; cette situation méconnaît les stipulations des articles 4, 14 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'État devra être condamné à l'indemniser à hauteur de 279 402 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en application du principe de réparation intégrale des préjudices et d'égalité de traitement avec ses collègues partis à la retraite après la décision du Conseil d'État du 12 décembre 2008.
Par ordonnance du 3 février 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 mars 2017.
Un mémoire produit par le ministre de l'intérieur, enregistré le 9 juin 2017, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeA..., représentant M. B... ;
Vu le bordereau de pièces enregistré le 22 juin 2017 ;
1. Considérant que M. B...a exercé les fonctions de pilote auprès du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile de Lyon jusqu'au 19 janvier 2004, date de son admission à la retraite ; que les agents du groupement d'hélicoptères, en cas de dépassement de la durée de travail hebdomadaire, bénéficiaient de repos compensateurs totalisés chaque année pour leur permettre de bénéficier d'un congé rémunéré à prendre immédiatement avant leur départ à la retraite ; que, toutefois, par un arrêté du 6 décembre 1994, le ministre de l'intérieur a annulé tous " les congés récupérateurs acquis par les personnels navigants du groupement d'hélicoptères et non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 " fixant le régime applicable à ces personnels ; que le Conseil d'État ayant jugé, par une décision du 12 décembre 2008, que cet arrêté du 6 décembre 1994 était illégal, M. B... a demandé l'indemnisation des 549 jours de repos compensateurs accumulés antérieurement au 6 décembre 1994 illégalement annulés par l'arrêté du même jour du ministre de l'intérieur ; que, par une lettre du 21 décembre 2009, le ministre de l'intérieur lui a répondu qu'" en l'absence de textes prévoyant une telle indemnisation, une étude est en cours (...) afin de déterminer selon quelles modalités et sur quel fondement juridique il convient de procéder à cette indemnisation " ; que M. B... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Lyon en demandant la condamnation de l'État à lui verser la somme de 279 402 euros assortie des intérêts au taux légal en réparation des préjudices matériels et moraux subis ; que le tribunal administratif a limité à 11 000 euros le montant de la somme que l'État a été condamné à lui verser, somme que la cour administrative d'appel de Lyon a portée à 32 000 euros par son arrêt du 24 mars 2015 ; que, sur pourvoi du ministre de l'intérieur, le Conseil d'État a annulé cet arrêt par son ordonnance du 21 décembre 2016 et renvoyé l'affaire à la cour ;
Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, ci-dessus visée, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance " ; que lorsque la créance d'un agent porte sur la réparation du préjudice résultant de l'illégalité d'une disposition réglementaire qui a porté atteinte, par elle-même, aux droits qu'il avait acquis du fait des services accomplis jusqu'alors, son fait générateur doit être rattaché à l'année au cours de laquelle cette disposition a été régulièrement publiée, sans que l'agent ne puisse être regardé comme ignorant légitimement l'existence d'une telle créance jusqu'à ce qu'ait été révélée l'illégalité dont la disposition était entachée ;
3. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas non plus établi par le ministre de l'intérieur que l'arrêté du 6 décembre 1994, qui n'a fait l'objet d'aucune publication au Journal Officiel, aurait été publié au Bulletin officiel du ministère de l'intérieur ou tout autre recueil ; que, dès lors, M. B... n'a pas eu connaissance du fait générateur des préjudices avant le 12 décembre 2008, date de la décision par laquelle le Conseil d'État, statuant au contentieux, a considéré que l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 était illégal ; que, par suite, le délai de prescription quadriennale n'a pu courir, en l'espèce, qu'à compter du 1er janvier 2009 ; que, comme il a été précédemment rappelé, M. B... a saisi l'administration d'une demande avant la fin de l'année 2009 ; que l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre doit donc, en l'espèce, être écartée ;
Sur la réparation du préjudice :
4. Considérant, en premier lieu, qu'en privant illégalement, par l'arrêté du 6 décembre 1994 mentionné au point 1 ci-dessus, les personnels navigants du groupement d'hélicoptères de l'ensemble de leurs congés récupérateurs non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 ci-dessus visé fixant le régime applicable à ces personnels, le ministre de l'intérieur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du requérant ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 20 de la loi ci-dessus visée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire " ; que, comme l'ont à bon droit relevé les premiers juges qui ont suffisamment répondu sur ce point, aucune disposition législative ou réglementaire n'a prévu l'indemnisation des jours de repos compensateurs non pris ; que, par suite, M. B... n'est pas fondé à demander le paiement des 549 jours de repos compensateurs accumulés antérieurement au 6 décembre 1994 illégalement annulés par l'arrêté du même jour du ministre de l'intérieur, ni à demander réparation du préjudice matériel résultant de la faute commise par l'administration ;
6. Considérant, en troisième lieu, et en tout état de cause, que, d'une part, le préjudice invoqué, résultant de la perte de jours de repos compensateurs non pris, qui est susceptible d'être invoqué par l'ensemble des membres du personnel navigant du groupement d'hélicoptères, ne constitue pas un préjudice spécial ; que, dès lors, il n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que, d'autre part, si le requérant se prévaut d'un enrichissement sans cause de l'État, il est constant que le service effectué au cours de la période précédant son départ à la retraite, au cours de laquelle il aurait souhaité utiliser ses congés récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ; que ces moyens doivent, dès lors, être écartés ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 4, 14 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdisant l'esclavage et le travail obligatoire, les discriminations ainsi que l'abus de droit doivent également, et en tout état de cause, être écartés ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'en ce qui concerne les troubles de toute nature dans ses conditions d'existence ainsi que le préjudice moral dont se prévaut M. B..., il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice en les évaluant à la somme globale de 36 000 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'État à lui verser une indemnité d'un montant total inférieur à la somme de 36 000 euros ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la sommation de payer le principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que M. B... demande à ce que les sommes qui lui sont dues portent intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010, date d'enregistrement de sa demande au tribunal ; qu'il y a lieu, dès lors, de fixer le point de départ des intérêts sur la somme de 36 000 euros au 23 décembre 2010 ;
11. Considérant, en second lieu, que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. B... dans sa demande de première instance enregistrée le 23 décembre 2010 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 23 décembre 2011, date à laquelle au moins une année d'intérêts était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'État est condamné à verser à M. B... la somme de 36 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010. Les intérêts échus à la date du 23 décembre 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1007779 du 27 décembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2017 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 juillet 2017.
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N° 16LY04391