Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E...B..., veuveD..., a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Vichy à lui verser une somme totale de 32 412,50 euros en réparation de ses préjudices liés au décès de M. D... dans cet établissement.
Par un jugement n° 1300513 du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 mai 2015, Mme E...D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 10 mars 2015 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Vichy à lui verser une indemnité de 32 412, 50 euros en réparation de ses préjudices ;
Elle soutient que si le tribunal administratif retient l'existence d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier, il retient à tort l'absence de lien de causalité entre cette faute et le dommage dès lors que la faute commise est à l'origine d'une perte de chance d'éviter que le dommage ne se réalise ; que la probabilité d'une intervention plus adéquate du centre hospitalier aurait pu prévenir le décès de son époux.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2017, présenté pour le centre hospitalier de Vichy, il conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- rien n'établit que la prise de doliprane conseillée par l'infirmière ait pu avoir une quelconque influence sur le décès de M. D...dès lors que la cause du décès ne peut être précisée et que la prise de ce médicament n'a eu aucune incidence sur l'évolution de l'état du patient ; qu'aucune faute n'a été relevée par les experts ;
- si une faute est retenue, cette faute n'est à l'origine que d'une perte de chance estimée à hauteur de 10 % ;
- subsidiairement, l'évaluation financière des préjudices subis apparaît excessive ;
- Mme D...ne subit aucune perte de revenu puisque son revenu est supérieur à celui qu'elle percevait avant le décès de son conjoint.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caraës, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
1. Considérant que, le 4 juin 2010, M. D..., alors âgé de 61 ans, a subi, sous anesthésie générale, une arthroscopie du genou droit au centre hospitalier de Vichy ; que, le 16 juin suivant, M. D..., alors qu'il se plaignait de fortes douleurs à la jambe associée à une fatigue intense et à de la fièvre, a consulté, dans le cadre du suivi post-opératoire, le praticien hospitalier qui n'a fait état d'aucune complication particulière ; que, dans la soirée, son épouse a contacté téléphoniquement le service de chirurgie du centre hospitalier ; qu'une infirmière lui a alors conseillé d'administrer à M. D... du Doliprane et de se rendre aux urgences si son état de santé ne s'améliorait pas ; que, le 17 juin au matin, M. D... est décédé après l'intervention de l'équipe médicale du SMUR ; que la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes saisie par Mme D..., estimant que la faute résultant de l'absence de transfert de la communication à un médecin avait engendré une perte de chance de 25 %, a émis, le 8 septembre 2011, un avis favorable à l'indemnisation du préjudice de MmeD..., incombant à l'assureur du centre hospitalier de Vichy ; que la SHAM, assureur du centre hospitalier, si elle a admis le principe d'une indemnisation du préjudice matériel et d'affection de MmeD..., a refusé de retenir l'existence d'un préjudice économique ; que, par jugement du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la requête de Mme D...au motif d'une absence de lien de causalité entre un défaut de prise en charge médicale et le décès de M. D... ; que Mme D...relève appel du jugement susmentionné ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut de produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ( ...) " ;
3. Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
4. Considérant qu'il résulte des deux expertises diligentées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) Rhône-Alpes que le défaut de prise en charge de l'appel téléphonique de l'épouse de M. D... par un médecin constitue un défaut d'organisation et de fonctionnement du service public hospitalier consistant pour le patient à n'avoir pu bénéficier d'un avis médical sur les symptômes qu'il présentait le soir du 16 juin 2010 ; que, si la cause du décès de M. D... ne peut être précisée, ce défaut de prise en charge adéquat a privé l'intéressé d'une chance de survie ; que cette perte de chance doit être évaluée à 25 % compte tenu de l'état de santé de l'intéressé, de son âge et de ses antécédents médicaux ;
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices de M. D... :
5. Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ;
6. Considérant que, si Mme D...demande réparation du préjudice subi par son époux du fait des souffrances morales, qui seraient nées pour la victime de la conscience d'avoir une espérance de vie réduite, et physiques qu'il a éprouvées, elle n'en établit pas la réalité, eu égard en particulier à la circonstance qu'ainsi qu'il résulte de l'instruction, son époux a pu s'endormir après la prise de paracétamol dans la soirée du 16 juin 2010 et a été victime d'un malaise fatal dès son lever le lendemain ;
En ce qui concerne les préjudices de MmeD... :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Sur les frais d'obsèques :
7. Considérant que Mme D...justifie avoir dû acquitter des frais d'obsèques pour un montant de 2 630, 68 euros ; que la fraction indemnisable du préjudice ayant été fixée à 25 %, le centre hospitalier de Vichy devra verser à Mme D...la somme de 657,67 euros ;
Sur le préjudice économique :
8. Considérant que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, la circonstance que Mme D...bénéficierait actuellement d'un revenu supérieur à celui correspondant, selon ledit centre hospitalier, à la part du revenu moyen de son époux qui lui était affectée avant le décès de ce dernier ne fait pas obstacle à l'existence d'un préjudice économique ; qu'il résulte de l'instruction que les revenus annuels du couple, retraité, s'élevaient avant le décès de M. D..., à 42 235 euros ; qu'après déduction de la part des revenus consommée par celui-ci pour son propre entretien, qui peut être évaluée à 30 %, soit 12 670 euros, s'agissant d'un couple sans enfant vivant à domicile et compte tenu des revenus annuels de 28 398 euros dont dispose MmeD..., la perte annuelle de revenus de Mme D...s'élève à 1 166 euros ; qu'eu égard à l'âge de M.D..., à la date de son décès, soit 61 ans, et eu égard au prix de l'euro de la rente viagère à cet âge, de 18,131 correspondant au barème de capitalisation reposant sur la table de mortalité 2006-2008 pour les hommes avec un taux d'intérêt à 1,04 %, il y a lieu d'évaluer le capital représentatif du préjudice économique de Mme D... à la somme de 21 140, 74 euros ; que, compte tenu du taux de perte de chance de 25 %, la part de ce préjudice qui doit être supportée par le centre hospitalier de Vichy doit être fixée à 5 285, 18 euros ;
S'agissant des préjudices personnels :
9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection et moral résultant du décès de M. D... en allouant à Mme D...la somme de 20 000 euros ; que, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu au point 4, la réparation du préjudice moral et d'affectation doit être arrêtée à la somme de 5 000 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande et que doit être mise à la charge du centre hospitalier de Vichy, au titre de la réparation de ses préjudices, une indemnité d'un montant total de 10 942, 85 euros ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 10 mars 2015 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Vichy est condamné à verser à Mme D...la somme de 10 942, 85 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., au centre hospitalier de Vichy et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2017 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
Mme C...et Mme Caraës, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 14 juin 2017.
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N° 15LY01539