La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/03/2017 | FRANCE | N°15LY00165

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 30 mars 2017, 15LY00165


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Rocamat pierre naturelle a demandé le 20 septembre 2012 au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler la décision du 1er août 2012 par laquelle le ministre chargé du travail, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail refusant le licenciement de M.B..., a refusé d'autoriser le licenciement de M.B... ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 2 février 2012 en ce qu'elle a refusé l'autorisation de licenciement de M. B...;

3°) d

e condamner le ministre de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social aux e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Rocamat pierre naturelle a demandé le 20 septembre 2012 au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler la décision du 1er août 2012 par laquelle le ministre chargé du travail, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail refusant le licenciement de M.B..., a refusé d'autoriser le licenciement de M.B... ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 2 février 2012 en ce qu'elle a refusé l'autorisation de licenciement de M. B...;

3°) de condamner le ministre de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social aux entiers dépens ;

Par un jugement n° 1202092 du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en date du 1er août 2012 refusant d'autoriser le licenciement de M. B...et a prononcé un non lieu à statuer sur les conclusions de la société contre la décision de l'inspecteur du travail.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2015, présentée pour M. A...B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 novembre 2014 ;

2°) de confirmer la décision de l'inspecteur du travail du 2 février 2012 et la décision du ministre du travail du 1er août 2012 en ce qu'elles ont estimé infondée la demande d'autorisation de licenciement ;

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il n'a pas eu d'attitude agressive ou irrespectueuse à l'occasion de l'exercice de ses mandats ou dans le cadre de son contrat de travail ;

- depuis 2004, il a eu plusieurs mandats de salarié protégé et dans le cadre de ses fonctions de représentant du personnel " a déposé plusieurs droits d'alerte " communiqués à l'inspecteur du travail ; les relations se sont alors dégradées entre lui et ses supérieurs hiérarchiques et entre lui et certains membres du CHSCT ;

- il est victime d'accusations mensongères et de harcèlement moral du fait de son activité syndicale ;

- il n'a commis aucun fait de harcèlement moral contre MmeI... ;

- il n'est pas précisé la période durant laquelle il aurait commis des agissements fautifs et, compte tenu de ses congés, le laps de temps aurait été court et la notion de répétition de faits manque pour qu'il puisse y avoir qualification de harcèlement moral ;

- Mme I...n'apporte pas d'éléments suffisants pour établir une présomption de harcèlement moral ;

- l'inspecteur du travail a relevé, à juste titre, que le doute doit profiter au salarié accusé ;

- il n'a pas tenu de propos injurieux et n'a pas été agressif et virulents envers les salariés travaillant à proximité de lui ; il produit des attestations de salariés mentionnant qu'il n'agit que dans l'intérêt de la communauté des salariés et pour la santé et la sécurité des salariés et qu'il est disponible pour donner des conseils ; des attestations indiquent qu'il se fait réprimander lorsqu'il agit dans le cadre de son mandat syndical ; le climat général est mauvais à raison de l'attitude de la direction ; il n'a pas proféré des menaces s'agissant de la fermeture de l'entreprise mais s'est borné à souligner que si les règles de sécurité n'étaient pas respectées, il existait un risque de fermeture du site de production ; la direction a eu une vision subjective de tels propos ;

- à titre très subsidiaire, le doute doit lui profiter ;

- il n'a pas outrepassé les limites de son mandat et n'a pas réalisé de " surveillance " de ses collègues ;

- si une altercation le 15 décembre 2011 a été constatée par l'inspecteur du travail, celle-ci n'est pas mentionnée dans la lettre de licenciement et n'a pas été évoquée lors de l'entretien préalable ; cet événement ne peut pas être invoqué au contentieux ;

- étant un délégué syndical actif et étant le seul à avoir ce statut, il est de l'intérêt général des salariés qu'il soit maintenu dans l'entreprise ;

Par un mémoire, enregistré le 5 mars 2015, présenté pour la société Rocamat pierre naturelle, elle conclut au rejet de la requête et à la confirmation de l'annulation de la décision du ministre du travail du 1er août 2012 ;

Elle soutient que :

- le 25 mars 2011, à la suite d'alertes de la hiérarchie sur un comportement agressif et verbalement violent, M.G..., le directeur des ressources humaines, a expressément demandé à M. B...de modifier son comportement vis-à-vis de sa hiérarchie ; les 18 et 19 octobre 2011, Mme I...s'est plainte respectivement auprès de l'inspecteur du travail et auprès du DRH de pressions relationnelles insupportables de M.B..., d'agressivité extrême et de remontrances permanentes sur la gestion du CHSCT, dont elle était la secrétaire ; le 24 octobre 2011, le DRH a informé l'inspecteur du travail sur cette situation ; le DRH a reçu M. B... pour évoquer de tels faits et une réunion du CHSCT le 16 novembre a eu lieu concernant les déclarations de Mme I...sur des pressions et du harcèlement de la part de M. B... ; au cours de cette réunion, Mme I...a maintenu les faits dénoncés et M. B... les a niés ; suite à d'autres remarques de salariés sur le comportement de M. B..., une enquête a été diligentée les 21 et 22 novembre 2011 par le directeur de l'établissement et le représentant du personnel au CHSCT auprès de différents salariés sur le comportement de M. B... ; lors de cette enquête ont été signalés des propos négatifs relatifs à la fermeture de l'entreprise et envers les supérieurs hiérarchiques, des insultes, des discussions violentes ou agressives, des reproches, une surveillance et des pressions sur ses collègues ; au regard de la gravité de tels faits, M. B...a été mis à pied à titre conservatoire par courrier du 24 novembre 2011 et a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement ; M. B...a nié les faits lors de cet entretien ; le comité d'établissement a été réuni pour évoquer son licenciement pour faute gravé ; par courrier du 2 décembre 2011, elle a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement pour faute grave de M.B... ; le 15 décembre 2011 alors qu'il était mis à pied, M. B...s'est présenté sur le site en état d'ébriété et a adopté un comportement agressif et déplacé notamment à l'égard du directeur de l'établissement ; l'entreprise a demandé que cet incident soit pris en compte dans la demande d'autorisation de licenciement ; l'inspecteur du travail, le 2 février 2012, a refusé l'autorisation demandée ; elle a saisi d'un recours hiérarchique le ministre en charge du travail contre cette décision ; le ministre a retiré la décision implicite du rejet hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a refusé l'autorisation de licenciement ; elle a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision ministérielle du 1er août 2012 refusant d'autoriser le licenciement et la décision de l'inspecteur du travail du 2 février 2012 refusant une telle autorisation ;

- le tribunal administratif, s'il a annulé la décision ministérielle, n'a pas statué sur tous les moyens soulevés en première instance ; cette décision ministérielle doit être annulée dès lors qu'elle est insuffisamment motivée et que la compétence du signataire de cette décision n'est pas établie ; la décision ministérielle de refus d'autorisation de licenciement est entachée d'une erreur de droit et d'appréciation des faits (dont matérialité) mentionnés dans la demande d'autorisation de licenciement, d'une erreur de droit et d'appréciation des faits s'étant déroulés le 15 décembre 2011, d'une erreur de droit et d'appréciation des témoignages recueillis en juillet 2012 ; la décision ministérielle de refus d'autorisation est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur la gravité des faits ; M. B... intervient sur des sujets qui sont sans lien avec ses mandats ; M. B... abuse de ses mandats pour tenter d'en tirer un profit personnel et perturbe le fonctionnement des institutions représentatives du personnel ; le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant que les attributions liées aux mandats de salarié protégé justifiait le comportement de M. B... ; les faits reprochés sont constitutifs d'un comportement agressif, virulent et négatif et sont sans lien avec l'exercice normal de ses mandats ; plusieurs salariés se sont plaints d'une surveillance et d'une pression de M. B... ainsi que de la gêne importante qu'il suscite par ses réflexions et ses reproches, dans l'exécution de leurs tâches et dans leurs conditions de travail, et de la peur et du stress qu'il génère ; M. B... tient des propos dénigrants à l'encontre de la direction et erronés sur de supposés problèmes de sécurité ; aucun compte-rendu d'entretien ne fait état de rumeur de fermeture de l'entreprise autre que les affirmations de M. B... ; de tels propos négatifs sont récurrents et malveillants ; M. B... affirme " vouloir faire fermer la boutique " par ses actions ; la matérialité de propos grossiers et virulents est établie ; M. B... s'est montré agressif et virulent dans le cadre de l'exercice de son mandat mais également dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail ; il ne s'agit pas seulement d'une dégradation de la relation de travail dès lors que les témoignages évoquent un climat social dégradé, du stress des salariés et qu'une salariée a déclaré en réunion de CHSCT être victime de pression et de harcèlement moral de la part de M. B... ; M. B... est à l'origine d'un trouble objectif des conditions de travail et de fonctionnement de l'entreprise ; il n'existe pas d'intérêt général à le maintenir dans l'entreprise au regard du mandat exercé de délégué syndical CGT dès lors que la CGT a également mandaté comme délégué syndical M. D... en janvier 2011 et que FO a désigné représentant syndical au comité d'entreprise M. H... en octobre 2010 ; en 2015, il y a deux délégués syndicaux ; les négociations d'accords d'entreprise sont réalisées avec l'ensemble des délégués syndicaux ; le maintien de M. B... porte une atteinte excessive aux intérêts en présence ; le ministre aurait dû tenir compte de l'incident du 15 décembre 2011 dès lors que le principe du contradictoire a été respecté et que cet incident est antérieur à la décision de l'inspecteur du travail ;

- le comportement menaçant de M. B... s'est encore aggravé depuis la demande initiale de licenciement, ce dernier ayant menacé des collègues et un dépôt de plainte a été réalisé par une salariée à son encontre pour agression physique ;

Par ordonnance du 9 juillet 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 août 2015.

Par mémoire enregistré le 13 août 2015 pour M. B..., il maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Il ajoute que :

- le ministre du travail, suite au jugement du tribunal administratif de Dijon, a autorisé son licenciement, lequel a eu lieu le 1er avril 2015 ; il a été élu délégué du personnel titulaire en août 2014, ce qui démontre la qualité de son travail syndical et a su travailler avec M. G...pour un accord en 2014 sur l'organisation du temps de travail ;

Par ordonnance du 19 août 2015, la clôture de l'instruction a été reportée au 29 septembre 2015.

Par mémoire enregistré le 28 septembre 2015 pour la société Rocamat pierre naturelle, elle maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Par ordonnance du 5 octobre 2015, la clôture de l'instruction a été reportée au 12 novembre 2015.

Par mémoire enregistré le 24 mai 2016, non communiqué, pour la société Rocamat pierre naturelle, elle maintient ses conclusions.

Les parties ont été informées par une lettre du 13 février 2017 en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les premiers juges ont prononcé à tort un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 2 février 2012 refusant le licenciement de M. B... et de l'irrégularité partielle du jugement en tant qu'il a prononcé un tel non-lieu à statuer.

Par un mémoire, enregistré le 20 février 2017, présenté pour la société Rocamat pierre naturelle, elle conclut à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Dijon en ce qu'il a annulé la décision ministérielle du 1er août 2012 et à l'annulation de la décision du ministre du 1er août 2012 en ce qu'elle a refusé l'autorisation de licenciement de M. B....

Elle soutient que :

- suite à la communication d'un moyen d'ordre public sur l'irrecevabilité devant le tribunal administratif de sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus de l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. B..., elle demande de bien vouloir limiter l'annulation du jugement pour irrégularité à la seule partie du jugement sur le non-lieu à statuer et de juger que c'est à juste titre que les premiers juges ont annulé la décision du ministre du 1er août 2012 refusant l'autorisation de licenciement de M.B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cottier, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Lombard, avocat de la société Rocamat pierre naturelle.

1. Considérant que M. B...a été recruté le 1er avril 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de scieur par la société Rocamat pierre naturelle dont l'activité principale est l'extraction, la transformation, la production et la vente de pierres naturelles et granits ; qu'il a exercé les mandats de délégué syndical, délégué du personnel titulaire, représentant syndical au comité d'établissement, membre du comité central d'entreprise et, jusqu'au 14 décembre 2011, le mandat de représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; que, suite à des informations parvenues à la direction de l'entreprise quant à des remarques verbales excessives et inappropriées formulées par M. B...à l'égard de ses collègues et de ses supérieurs, M. G..., directeur des ressources humaines, a, le 25 mars 2011, adressé un rappel à l'ordre à M. B... ; que par la suite, en raison de difficultés économiques que connaissait la société, l'intéressé a accepté, le 26 avril 2011, une mutation de l'atelier taille à l'atelier de marbrerie et a été affecté à la tribofinition à compter du 30 mai 2011 ; qu'en octobre de la même année, une salariée, secrétaire du CHSCT, a dénoncé auprès de l'inspecteur du travail et du directeur des ressources humaines des faits de harcèlement moral commis par M. B..., se traduisant notamment par des comportements d'extrême agressivité et des remontrances permanentes sur la gestion du CHSCT, qui la mettaient en état de stress et de peur ; qu'à la suite de ce signalement, une enquête a été diligentée par M.C..., représentant du personnel au CHSCT, et par M. E... directeur de l'établissement des Ravières, au cours de laquelle quinze salariés ont été interrogés ; qu'ont ainsi été relevés des propos négatifs tenus par M. B... relatifs à une fermeture de l'entreprise et au comportement des personnels d'encadrement, des insultes, des discussions violentes ou agressives, des reproches, une surveillance et des pressions exercés par M. B... sur ses collègues ; que M.E..., directeur de l'établissement, a alors décidé la mise à pied conservatoire de M. B..., qui lui a été notifiée par lettre datée du 23 novembre 2011 remise en main propre et acheminée en recommandé ; que par, lettre datée du même jour, M. B... a été convoqué à un entretien préalable fixé au 1er décembre 2011 en vue de son licenciement ; qu'il a également été convoqué à la réunion du comité d'établissement le 2 décembre 2011 concernant un projet de licenciement pour faute grave ; que la société Rocamat pierre naturelle a, par courrier du 2 décembre 2011, sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement de M. B...; que par décision datée du 2 février 2012, l'inspecteur du travail a refusé de délivrer cette autorisation ; que par courrier daté du 1er mars 2012, la société a formé un recours hiérarchique; que par décision datée du 1er août 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur le recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a explicitement refusé d'autoriser le licenciement de M. B... ; que, par jugement du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et a prononcé un non lieu à statuer sur les conclusions de la société Rocamat tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 1er mars 2012 refusant l'autorisation de licencier M.B... ; que M. B... interjette appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 1er août 2012 du ministre en charge du travail refusant son licenciement ;

Sur la légalité de la décision du ministre refusant l'autorisation de licencier M. B... :

2. Considérant que les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

3. Considérant que la société Rocamat a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. B... pour un motif disciplinaire à raison de divers faits fautifs tenant à un comportement agressif ou déplacé de l'intéressé à l'égard de plusieurs salariés et de certains responsables hiérarchiques de l'entreprise, se traduisant notamment par des propos négatifs concernant leur travail et l'avenir de l'entreprise, des insultes, des discussions virulentes quel que soit le sujet, à l'occasion ou en dehors du cadre des mandats, provoquant des perturbations et une gène dans le fonctionnement de l'entreprise ; que la société Rocamat mentionnait que ces éléments avaient été recueillis au cours de l'enquête diligentée auprès de quinze salariés de l'entreprise à la suite d'un signalement de la secrétaire du CHSCT quant à des agissements susceptibles de constituer des faits de harcèlement moral et de la tenue d'un CHSCT spécial réuni pour évoquer ces faits, qui avaient en outre été dénoncés à l'inspecteur du travail et au directeur des ressources humaines de l'entreprise ; que la société rappelait également que M. B... avait fait l'objet, le 21 mars 2011, d'un rappel à l'ordre du directeur des ressources humaines ; que, postérieurement à l'envoi de cette demande, la société Rocamat a fait part à l'inspecteur du travail d'un nouvel incident, survenu le 15 décembre 2011, alors que M. B... était sous le coup d'une mise à pied conservatoire, tenant à sa venue dans l'entreprise en état d'imprégnation alcoolique et à des insultes proférées à l'encontre du directeur de l'établissement ;

4. Considérant que l'inspecteur du travail a refusé par décision du 2 février 2012 l'autorisation de licencier M. B... pour faute sollicitée par la société Rocamat pierre naturelle ; que le ministre du travail a annulé pour insuffisance de motivation cette décision du 2 février 2012 et a annulé sa décision implicite du rejet de recours hiérarchique de la société Rocamat pierre naturelle née du silence gardé ; que le ministre, ainsi saisi de la demande d'autorisation de licenciement pour faute de la société Rocamat pierre naturelle a estimé que, dans le cadre de ses mandats, M. B... pouvait se rendre sur l'ensemble des postes de travail et que les remarques émises par ce dernier sur les conditions d'exécution du travail ne sauraient caractériser la suspicion de pression et de surveillance ni, en l'absence de faits précis, la gène importante invoquée par les salariés et l'entreprise ; que le ministre a également indiqué que les propos de M. B... sur une éventuelle fermeture ne relevaient pas d'une attitude de dénigrement et de critique systématique de nature à porter le discrédit sur ses dirigeants ; qu'après avoir mentionné que la liberté d'expression liée aux fonctions représentatives ne saurait légitimer la virulence, la grossièreté ou l'abus dans l'expression du désaccord ou des critiques de M. B... à l'encontre de la direction de certains de ses collègues ou de représentants du personnel dans le cadre de questions relevant de l'exercice de ses mandats, le ministre a relevé " que les écarts de langages et les attitudes agressives de M. B...bien qu'excédant le cadre normal de la liberté d'expression dont il bénéficie au titre de ses mandats, s'inscrivent toutefois dans le cadre de l'exercice de ses mandats et non de l'exécution de son contrat de travail " ; que le ministre, bien qu'ayant conclu que de tels faits sont de nature à justifier un licenciement en cas d'existence démontrée d'un trouble objectif rendant impossible le maintien du contrat de travail, a estimé qu'ils ne caractérisaient pas un comportement de nature fautive ; que pour ces motifs et après avoir indiqué qu'il " devait se prononcer sur le motif disciplinaire retenu par l'entreprise " sans " pouvoir requalifier la demande d'autorisation ", le ministre a rejeté la demande d'autorisation de licenciement pour faute ;

5. Considérant que M. B... fait valoir que l'incident du 15 décembre 2011 ne peut pas être utilement invoqué dès lors que ce fait n'est pas expressément mentionné dans la lettre de licenciement et n'a pas été évoqué lors de l'entretien préalable ; que, toutefois, à supposer que l'intéressé entende ainsi se prévaloir d'une irrégularité qui tiendrait à la prise en compte de l'incident du 15 décembre 2011 par le ministre, ce moyen devrait, en tout état de cause, être écarté dès lors qu'il ne ressort pas de la décision du ministre et des pièces au dossier que cet événement ait été retenu comme un élément susceptible de fonder la décision qui a été prise en tenant compte tenu des circonstances de droit et de fait prévalant à la date à laquelle elle a été arrêtée, après annulation de la décision de l'inspecteur du travail ;

6. Considérant que M. B...soutient en appel qu'il n'a pas eu l'attitude agressive ou irrespectueuse qu'on lui a prêtée, que ce soit à l'occasion de l'exercice de ses mandats ou dans le cadre de son contrat de travail ; qu'il mentionne que certains faits ne sont pas matériellement établis, notamment ceux qui seraient qualifiables de harcèlement moral, et qu'en tout cas le doute doit lui profiter ; qu'il fait valoir qu'il a été victime d'accusations mensongères et de harcèlement moral à raison de son activité syndicale, que certains salariés ont au demeurant attesté en sa faveur et qu'il a d'ailleurs été réélu délégué du personnel titulaire en 2014 ;

7. Considérant que les pièces du dossier, et notamment les témoignages et attestations fournis par la société lors de l'enquête diligentée pour des faits supposés de harcèlement moral sont concordantes quant à l'existence d'un comportement agressif, virulent ou déplacé de la part de M. B... à l'égard des salariés interrogés ou à l'égard d'autre membres du personnel de l'entreprise, quant à la tenue de propos négatifs sur la manière de travailler de ses collègues et des agents de maitrise et quant à la situation de stress engendrée par M. B... du fait de la surveillance qu'il exerçait sur différents salariés sur leur poste de travail, ainsi que d'agressions verbales relatives au travail à réaliser ; que de telles pièces établissent que l'intéressé s'est livré à des violences verbales répétées et à des pressions morales, se traduisant notamment par des dénigrements et des attitudes agressives envers de nombreux salariés, que ce soit lors de l'exercice de ses mandats ou en dehors de ceux-ci ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à leur répétition et à leur gravité, de tels comportements, qui, contrairement à ce qu'a pu estimer le ministre, ne sont pas en lien avec une activité syndicale ou un mandat représentatif , ont provoqué des perturbations et une gène dans le travail de nombreux salariés, ont nui à la bonne organisation de l'entreprise, et ont été de nature à en troubler le fonctionnement;

8. Considérant que M. B...allègue que, étant un délégué syndical actif et étant le seul à avoir ce statut, il est de l'intérêt général des salariés qu'il soit maintenu dans l'entreprise ; que toutefois, contrairement à ce qu'il fait valoir et à ce qui pu être mentionné de manière erronée par l'inspecteur du travail, il ressort des pièces au dossier que M. B... n'était pas le seul délégué syndical à la date de la demande d'autorisation de licenciement, dès lors qu'un autre salarié avait été également mandaté le 5 janvier 2011 par la même organisation syndicale que celle à laquelle est affiliée M. B... et avait d'ailleurs, au mois de décembre 2011, signé en qualité de délégué CGT l'accord d'entreprise tendant à l'égalité hommes-femmes ; que, de plus, il n'est pas contesté que, depuis le 26 octobre 2010, un autre salarié avait été désigné comme représentant syndical FO au sein du comité d'entreprise ; que par suite, , le moyen tiré de ce que le licenciement de M. B... serait contraire à l'intérêt général ne peut être accueilli ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, l'intérêt général ne s'opposant pas au licenciement de l'intéressé, et les faits établis de violences verbales répétées et de pression morales sur différents salariés étant constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. B..., ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du ministre en charge du travail refusant son licenciement ;

DECIDE :

.

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la société Rocamat pierre naturelle.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2017 à laquelle siégeaient :

M. Seillet, président,

Mme Cottier et MmeF..., premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 30 mars 2017.

1

5

N° 15LY00165


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY00165
Date de la décision : 30/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. SEILLET
Rapporteur ?: Mme Cécile COTTIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : YAECHE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2017-03-30;15ly00165 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award