Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies au titre des années 2008 à 2011.
Par un jugement n°1300464 du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 mai 2015, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, en date du 10 mars 2015 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions contestées et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les procès verbaux d'audition et de perquisition motivant les redressements ont été annulés par le juge pénal ; qu'en estimant que cette circonstance n'avait pas privé l'administration fiscale de s'en prévaloir pour établir les impositions en litige le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a méconnu les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013 (n°2013-679 DC) sur l'utilisation de tels documents, et dont l'analyse a été reprise par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 15 avril 2015 (n°373269) ; que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par suite, commis une erreur de droit ;
- au cas particulier, les impositions mises à sa charge ayant été déterminées sur la seule et unique base des informations contenues dans les procès-verbaux qui ont été annulés par le juge pénal pour avoir été obtenus par l'autorité judiciaire dans des conditions déclarées illégales, l'administration fiscale qui ne pouvait dès lors en faire usage, n'est pas en mesure de justifier " les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leur modalités de détermination " conformément aux dispositions de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ;
- ce faisant la proposition de rectification est insuffisamment motivée et la procédure d'imposition entachée d'irrégularité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il expose qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 8 mars 2016 la clôture d'instruction a été fixée au 25 mars 2016, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 23 mars 2016, M. C... conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.
Il soutient, en outre, que :
- l'activité illicite et le recours de l'administration fiscale à la procédure de taxation d'office ne sont pas contestés ;
- la procédure de taxation d'office est entachée d'irrégularité ; l'administration fiscale ne peut invoquer les dispositions des articles L. 76 et L. 193 du livre des procédures fiscales pour justifier une dérogation au principe constitutionnel garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen dégagé par le Conseil constitutionnel ; les exigences de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ne sont pas purement formelles pour permettre de regarder une proposition de rectification comme régulière par la mention des éléments prévues par ces dispositions ; il est acquis que l'administration fiscale ne pouvait se prévaloir des informations figurant dans les procès verbaux d'audition et de perquisition annulés par le juge pénal ;
- les bases d'imposition retenues et les modalités de calcul de celles-ci reposant sur les seuls éléments issus de ces pièces de procédure annulées, elles sont donc dépourvues de tout fondement ;
- le bien-fondé des impositions n'est pas établi ; l'administration fiscale, dès lors qu'elle ne peut se fonder sur les procès verbaux litigieux, ne justifie pas de la méthode retenue pour déterminer les bases d'imposition, en sorte que la méthode est radicalement viciée et suffit à justifier que lui soit accordée la décharge des impositions sans qu'il ait à apporter la preuve de l'exagération ou du caractère infondé des bases d'imposition ; d'ailleurs contrairement à ce que soutient l'administration fiscale, il démontre le caractère exagéré et infondé des impositions litigieuses, du fait de l'annulation des procès verbaux qui démontre le caractère sommaire de la méthode de calcul employée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2016, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses écritures.
Il expose, en outre, que le procès verbal comportant les informations fondant les redressements que l'administration fiscale a joint aux propositions de rectification du 21 juin 2011 et du 27 juillet 2011 n'a fait l'objet d'aucune annulation par les juridictions pénales ; l'administration fiscale était fondée à s'en prévaloir tant pour caractériser l'existence d'une activité de négoce de stupéfiants que pour procéder à la reconstitution de ses recettes.
Par une ordonnance en date du 24 juillet 2016, la clôture d'instruction a été reportée au 20 mai 2016.
Par une ordonnance en date du 28 novembre 2016, la clôture d'instruction a été reportée au 19 décembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la décision du Conseil Constitutionnel n°20133-679 DC du 4 décembre 2013 ;
- l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 2015 n° 373269, 9e et 10e s.-s., Sté Car Diffusion 78 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'arrêt n° 12/133 du 6 février 2013 de la cour d'appel de Riom devenu définitif, que M. C... a été reconnu coupable d'exercice illicite d'une activité de négoce de stupéfiants (héroïne et cannabis) pour laquelle il a été condamné pénalement ; qu'il a par ailleurs fait l'objet, en 2011, d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 pour cette activité illicite pour laquelle il n'avait déposé aucune déclaration auprès de l'administration fiscale ainsi que d'un contrôle sur pièces au titre de l'année 2010 sur les revenus réalisés à raison de cette même activité ; que l'administration fiscale a mis en oeuvre la procédure d'évaluation d'office et lui a notifié à l'issue du contrôle des cotisations supplémentaires en matière d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre de ces trois années, assorties d'intérêts de retard et de pénalités ; que, par la présente requête, M. C... relève appel du jugement du 10 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : / (...) 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite ; (...) " ; qu'en application des dispositions de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des bénéfices industriels et commerciaux peut être évalué d'office en l'absence de dépôt de déclarations annuelles ; qu'aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) " et qu'aux termes de l'article L. 82 C de ce livre : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " ; que, eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans l'exercice de son droit de communication prévu aux articles précités L 81 et L. 82 C du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a eu régulièrement connaissance des pièces de procédure relatives à l'instance pénale diligentée à l'encontre de M. C... à l'issue de laquelle par jugement du tribunal correctionnel de Clermont Ferrand du 2 août 2011, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Riom du 6 février 2013, ce dernier a été reconnu coupable de trafic de stupéfiants au titre de la période contrôlée ; que pour établir les impositions litigieuses, l'administration fiscale s'est appuyée sur les déclarations retranscrites dans le procès verbal d'audition de l'intéressé lors de sa garde à vue le 23 novembre 2010, PV 02725/2010 pièce n°05-02, qu'elle a joint en annexe de la proposition de rectification du 21 juin 2011 et de la proposition de rectification du 27 juillet 2011, et qui consigne les éléments relatifs aux quantités achetées et revendues et aux prix de vente des produits stupéfiants à partir desquels elle a évalué le bénéfice réalisé par M. C... au titre de la période contrôlée ; que le requérant ne conteste pas s'être livré, au cours de la période vérifiée, à une activité illicite de négoce de stupéfiants dont les profits sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au sens de l'article 34 du code général des impôts ; qu'il ne conteste pas davantage le recours par l'administration fiscale à la procédure d'évaluation d'office des recettes tirées de cette activité illicite ; que, par suite, la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions litigieuses lui incombe ; que, toutefois, il soutient que l'évaluation d'office de son bénéfice imposable sur le fondement de pièces de procédure ultérieurement annulées par le juge pénal en méconnaissance du principe dégagé par le conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013 n°2013-679 DC et repris par le Conseil d'Etat dans un arrêt n°373269 du 15 avril 2015, est radicalement viciée dans son principe sans qu'il ait à apporter la preuve que la méthode suivie aurait conduit à une exagération de ses bases d'imposition ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le procès verbal d'audition PV 02725/2010 pièce n°05-02 du 23 novembre 2010 sur lequel l'administration fiscale s'est fondée pour évaluer le bénéfice réalisé par M. C... dans le cadre de son activité illicite de trafic de stupéfiants a été annulé par jugement du tribunal correctionnel de Clermont Ferrand du 2 août 2011, confirmé par l'arrêt devenu définitif de la cour d'appel de Riom du 6 février 2013, pour violation des droits de la défense garantis par les stipulations de l'article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intéressé n'ayant pas bénéficié d'un conseil dès le début de sa garde à vue, ni été informé de son droit de se taire ; qu'il n'est ni établi, ni même allégué que l'administration fiscale aurait fondé les redressements litigieux sur d'autres éléments que ceux issus de ce procès verbal d'audition obtenus selon le juge pénal dans des conditions irrégulières ; que si le ministre soutient que le procès verbal d'inventaire des pièces à conviction effectué dans le cadre de la garde à vue n'a pas été annulé par le juge pénal, il résulte de l'instruction que la cour d'appel de Riom, dans son arrêt du 6 février 2013, après avoir rappelé qu'une telle pièce ne constituait pas un acte de procédure annulable en soi, a jugé que " compte tenu des mentions relatives aux pièces dont la nullité a été accueillie [par elle, dont le procès verbal d'audition 02725/2010] et faisant grief à M. C..., il conv[enait] d'annuler partiellement les passages de ce procès-verbal relatif aux pièces annulées, au titre des nullités en conséquence " ; que le ministre n'établit, ni même n'allègue que cette pièce, dans sa partie non annulée par le juge pénal, aurait suffit à l'administration fiscale pour fonder les redressements contestés, ni que l'administration fiscale se serait fondée sur d'autres éléments pour établir l'imposition litigieuse ; que, dans ces conditions, nonobstant la circonstance que le juge pénal l'a reconnu coupable de trafic de stupéfiants, M. C... est fondé à soutenir que, eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'administration fiscale ne pouvait se prévaloir pour établir l'imposition litigieuse de pièces de procédure obtenues dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge pénal ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande de décharge ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. C... au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 10 mars 2015 est annulé.
Article 2 : M. C... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008, 2009 et 2010.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2017, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 janvier 2017.
2
N° 15LY01621