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06/12/2016 | FRANCE | N°16LY01005

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 06 décembre 2016, 16LY01005


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 février 2016 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" avec autorisation de travail et de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'ar

ticle 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 février 2016 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" avec autorisation de travail et de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1600871 du 5 mars 2016, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 10 février 2016 par lequel le préfet de l'Isère a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé, a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mars 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1600871 du 5 mars 2016 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande de première instance de M. A....

Il soutient que c'est à tort que le juge de première instance a considéré que l'obligation de quitter le territoire français en litige avait revêtu un caractère précipité, avait pour motif déterminant de prévenir le mariage de l'intéressé et était, ainsi, entaché de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2016, M. B... A..., représenté par Me Alampi, avocat, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer sans délai une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" avec autorisation de travail ;

3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que l'obligation de quitter le territoire français en litige est illégale en ce que :

- il n'a pas bénéficié du droit d'être entendu préalablement, garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne ;

- la décision en litige n'est pas motivée ;

- le préfet n'a pas examiné sa situation personnelle ;

- le préfet a commis une erreur de droit en considérant qu'il agissait sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision en litige est entachée d'erreur de fait en ce qu'il y est mentionné qu'il a rencontré sa future épouse un mois avant l'édiction de cette décision, alors qu'ils vivaient ensemble depuis septembre 2015 chez le père de sa future épouse ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale, dès lors qu'il est entré régulièrement en France sous couvert d'un visa Schengen, qu'était imminent son mariage avec une ressortissante française avec laquelle il vit depuis l'été 2015, qu'il est soutenu moralement et financièrement par sa compagne, par la famille de celle-ci et par son frère qui l'embauchera dès qu'il aura une autorisation de travail ;

- elle est entachée de détournement de pouvoir, dès lors qu'elle a eu pour but de faire échec à la célébration imminente de son mariage avec une ressortissante française.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Drouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Sur l'appel du préfet de l'Isère :

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; / (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré sur le territoire français le 13 février 2015 sous couvert d'un visa valable jusqu'au 4 avril 2015, n'a effectué, avant l'intervention de la décision en litige l'obligeant à quitter le territoire français, aucune démarche en vue de régulariser sa situation administrative à la suite de l'expiration de la durée de validité de son visa ; que le préfet de l'Isère n'a appris le caractère irrégulier de son séjour en France que le 10 février 2016 par la transmission du procès-verbal dressé le même jour par les services de police judiciaire sur réquisition du parquet de Grenoble dans le cadre d'une enquête préliminaire "aussi précise que possible permettant d'établir éventuellement l'existence d'un mariage blanc" ; que la date du mariage de M. A... avec une ressortissante française, dont la célébration était soumise à une absence d'opposition du procureur de la République, ne pouvait être déjà fixée lorsqu'est intervenue la décision préfectorale litigieuse, en raison de l'enquête préliminaire de police précitée en cours ; que, dans ces conditions, la décision contestée obligeant M. A... à quitter le territoire français ne saurait être regardée comme ayant eu pour but de faire obstacle à la célébration imminente de ce mariage ; que, par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler cette décision, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'elle était entachée de détournement de pouvoir ;

3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour ;

4. Considérant, en premier lieu, que la décision litigieuse a été signée par Mme Anne Coste de Champeron, secrétaire générale adjointe de la préfecture de l'Isère, qui disposait d'une délégation de signature du préfet de l'Isère, par arrêté du 27 août 2015 régulièrement publié le 31 août 2015 au recueil des actes administratifs n° 50 de la préfecture de l'Isère, à l'effet de signer notamment, dans le cadre des permanences du corps préfectoral, les "arrêtés d'obligation de quitter le territoire français (...) et fixant le pays de destination d'un ressortissant étranger" ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte contesté doit être écarté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que, toutefois, ce droit n'oblige l'autorité nationale compétente, préalablement à l'audition organisée en vue de l'adoption de la mesure d'éloignement, à communiquer les éléments sur lesquels elle entend fonder celle-ci ni à lui laisser un délai de réflexion avant de recueillir ses observations, dès lors qu'il a la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue au sujet de l'irrégularité de son séjour et des motifs pouvant justifier, en vertu du droit national, que cette autorité s'abstienne de prendre une décision d'éloignement ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'audition de M. A... le 10 février 2016 par les services de police, laquelle portait également sur sa situation administrative sur le territoire national, l'intéressé a été en mesure de présenter ses observations tenant à sa situation personnelle et susceptibles de faire obstacle à une mesure d'éloignement ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de présenter spontanément des observations avant que ne soit prise la mesure d'éloignement, ni même qu'il disposait d'éléments pertinents tenant à sa situation personnelle susceptibles d'influer sur le sens de cette décision ; que, par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé du droit d'être entendu ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la décision en litige énonce les considérations de droit et les éléments de fait propres à la situation personnelle de l'intéressé qui en constituent le fondement ; que, dans ces conditions, le préfet a suffisamment motivé sa décision contestée portant obligation de quitter le territoire français ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier ni des motifs de sa décision litigieuse, que le préfet de l'Isère ne se serait pas livré à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... ;

9. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions de la décision en litige, que celle-ci n'est pas fondée sur l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, nonobstant la circonstance qu'un des procès-verbaux établis le 10 février 2016 par les services de police judiciaire vise cet article, la décision contestée n'est, à cet égard, pas entachée d'erreur de droit ;

10. Considérant, en sixième lieu, qu'il ressort des deux procès-verbaux d'audition de M. A... établis le 10 février 2016 par les services de police que l'intéressé a déclaré qu'il vivait avec une ressortissante française depuis janvier 2016 ; que, dans ces conditions, la décision du 10 février 2016 en litige, qui comporte la mention selon laquelle M. A... a indiqué vivre avec sa compagne "depuis seulement un mois", n'est pas entachée d'erreur de fait ;

11. Considérant, en dernier lieu, que M. A..., né le 21 juin 1984 et de nationalité tunisienne, fait valoir qu'il est entré régulièrement en France sous couvert d'un visa Schengen, qu'était imminent son mariage avec une ressortissante française avec laquelle il vit depuis l'été 2015, qu'il est soutenu moralement et financièrement par sa compagne, par la famille de celle-ci et par son frère qui l'embauchera dès qu'il aura une autorisation de travail ; que, toutefois, il est constant qu'il est entré en France moins d'un an avant la décision en litige, après avoir vécu jusqu'à l'âge de trente ans en Tunisie où vivent ses parents et ses frères et soeurs ; que s'il se prévaut d'une relation avec une ressortissante française qu'il projette d'épouser, il ne démontre pas, en produisant des attestations de proches et une facture d'électricité datée du 13 septembre 2013 portant une adresse commune, l'ancienneté et l'intensité de cette relation ; qu'il ne justifie pas d'autres liens privés sur le territoire français à l'exception de la présence de son frère qui a rédigé une promesse d'embauche à son intention ; que, par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision contestée obligeant M. A... à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs de cette décision et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle et familiale du requérant ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 10 février 2016 obligeant M. A... à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination duquel il sera renvoyé, lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions de M. A... à fin d'injonction sous astreinte :

13. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la demande de première instance de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. A... doivent, dès lors, être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600871 du 5 mars 2016 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- M. Drouet, président assesseur,

- Mme Peuvrel, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 décembre 2016.

6

N° 16LY01005


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY01005
Date de la décision : 06/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Hervé DROUET
Rapporteur public ?: M. CLEMENT
Avocat(s) : ALAMPI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-12-06;16ly01005 ?
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