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24/11/2016 | FRANCE | N°15LY00292

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 24 novembre 2016, 15LY00292


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Locam a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 126 164,23 euros.

Par un jugement n° 1203204 du 12 novembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 janvier, 1er juin et 28 août 2015, la société Locam, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble d

u 12 novembre 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, une somme de 126 164,23 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Locam a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 126 164,23 euros.

Par un jugement n° 1203204 du 12 novembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 janvier, 1er juin et 28 août 2015, la société Locam, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 novembre 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, une somme de 126 164,23 euros au titre des impayés de loyer et des loyers restant à courir, ou, à titre subsidiaire, une somme de 70 279 euros au titre de son manque à gagner outre intérêts, à compter du 20 avril 2008, au taux de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a estimé qu'elle avait droit à la réparation du préjudice résultant de la résiliation du contrat et que le litige pouvait se régler sur le terrain contractuel ;

- elle a droit aux loyers impayés et aux loyers restant dus jusqu'au terme du contrat, en application de l'article 13 du contrat, soit 87 707,75 euros au titre des loyers échus impayés du 30 mars 2009 au 30 mars 2012, 26 987 euros au titre des loyers à échoir du 30 juin 2012 au 30 mars 2013 et 11 469,47 euros au titre d'indemnité et clause pénale ;

- elle a droit, à titre subsidiaire, à une indemnisation au titre de son manque à gagner que le tribunal a estimé à tort ne pas être en mesure de déterminer ; elle a droit à ce titre à 53 400 euros, représentant la valeur nette comptable, et à 16 879 euros hors taxe au titre de la charge financière ;

- elle a droit aux intérêts contractuels qui ont commencé à courir 6 mois après la date de résiliation du contrat, et à leur capitalisation.

Par des mémoires enregistrés les 9 avril, 10 juillet et 29 septembre 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et demande à la cour, à titre subsidiaire, de n'accorder qu'une indemnisation parcimonieuse.

Il soutient que :

- les stipulations de l'article 13 du contrat, qui ne concernent que la résiliation par le loueur, ne sont pas applicables à une résiliation pour un motif d'intérêt général, ainsi que l'a estimé à bon droit le tribunal ;

- la société n'apporte aucun élément permettant d'établir la réalité et l'étendue de son préjudice, s'agissant de son manque à gagner, les éléments transmis aux premiers juges et l'argumentation développés comportant des éléments contradictoires ;

- à titre subsidiaire, les conclusions indemnitaires sont manifestement disproportionnées ; les clauses du contrat, en tant qu'elles prévoient une indemnisation disproportionnée, sont illégales ; la perte éventuellement subie doit être minorée du fait du comportement de la société requérante, qui n'a pas été diligente pour récupérer les matériels ; la société a conclu un nouveau contrat avec l'Etat dès le 25 février 2009, pour un montant de 31 648 euros HT pour du matériel similaire ; la majorité des matériels était déjà amortie ; le montant allégué du manque à gagner est manifestement excessif ;

- les intérêts ne sauraient courir, conformément à l'article 1153 du code civil, qu'à compter de la notification à l'administration de la demande indemnitaire préalable, soit le 16 février 2012.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics, alors en vigueur ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002, alors en vigueur ;

- le code de justice administrative ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye, rapporteur,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant la société Locam.

Une note en délibéré présentée pour la société Locam a été enregistrée le 3 novembre 2016.

1. Considérant que la direction des renseignements généraux du département de l'Isère a conclu, le 27 novembre 2007, avec la société Locam, un contrat portant sur la location de photocopieurs et télécopieurs avec option d'achat pour vingt et un trimestres, correspondant à un terme au 30 mars 2013 ; que, par courriers du 20 octobre 2008, le directeur départemental du renseignement intérieur de l'Isère a informé la société Locam qu'en raison de la réorganisation des missions de ses services entre plusieurs autres services du ministère de l'intérieur, il souhaitait mettre fin au contrat à compter du 31 décembre 2008 ; qu'il doit, ce faisant, être regardé comme ayant résilié le contrat pour un motif d'intérêt général ; que par un courrier du 14 février 2012, la société Locam a saisi l'administration d'une demande d'indemnisation du fait de la résiliation de ce contrat, réclamant un montant de 126 164,23 euros ; que suite au silence gardé par l'administration sur cette demande, la société Locam a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser cette somme ; qu'elle relève appel du jugement par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Considérant que si, devant les premiers juges, le ministre de l'intérieur prétendait contester la recevabilité de la demande de la société Locam, les moyens qu'il développait au soutien de cette prétention relevaient du bien-fondé de l'action indemnitaire et ne sont pas de nature à mettre en cause sa recevabilité ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la légalité du contrat :

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter les moyens, développés par le ministre de l'intérieur en première instance, tirés de ce que le contrat serait entaché d'illégalités faisant obstacle au règlement du litige sur le terrain contractuel ;

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de la société Locam :

4. Considérant, en premier lieu, que les stipulations de l'article 13 du contrat, invoquées par la société requérante, identifient diverses hypothèses de résiliation du contrat par le seul loueur, avant de préciser : " Les cas sus-indiqués emporteront les conséquences suivantes : (...) Outre la restitution du matériel, le locataire devra verser au loueur une somme égale au montant des loyers impayés au jour de la résiliation majorée d'une clause pénale de 10% ainsi qu'une somme égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu'à la fin du contrat telles que prévue à l'origine majorée d'une clause pénale de 10% (sans préjudice de tous dommages et intérêts qu'il pourrait devoir) (...) " ; qu'il ressort de la lettre même de ces stipulations qu'elles ne trouvent à s'appliquer que lorsque le contrat est résilié par le loueur, et non en cas de résiliation décidée par l'Etat, qui tient des règles générales applicables aux contrats administratifs, et même en l'absence de clause contractuelle le prévoyant, le pouvoir de résilier unilatéralement un contrat pour des motifs d'intérêt général, sous réserve des droits à indemnité du co-contractant ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune intention des parties aurait été de rendre ces stipulations également applicables à une résiliation par l'administration pour motif d'intérêt général ; que, dès lors, la société Locam n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont refusé d'en faire application au présent litige ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que la légalité de la décision de résiliation n'est plus contestée en appel ; que l'existence d'un motif d'intérêt général justifiant la résiliation n'est pas davantage discutée ; que la société Locam a, dans ces conditions, droit à la réparation intégrale du préjudice qui en résulte ;

6. Considérant que la requérante, dont les allégations relatives à une " charge financière " ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier la réalité et le bien-fondé, n'établit pas l'existence de dépenses exposées du fait de cette résiliation ;

7. Considérant que, dès lors que l'administration justifie ne pas avoir utilisé le matériel après le 31 décembre 2008, et qu'il n'est pas allégué qu'elle aurait fait obstacle à sa restitution à compter de cette date, la société Locam ne saurait solliciter le paiement des loyers postérieurs à cette date ;

8. Considérant que la requérante a seulement droit, au titre de son manque à gagner, à la marge nette qu'aurait engendrée la complète exécution des prestations prévues par le marché résilié, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des autres contrats qu'a pu, ou qu'auraient pu conclure la société requérante, du fait de la résiliation ; que, s'agissant de biens qui lui ont été restitués, la société ne saurait revendiquer une indemnisation à leur valeur nette comptable ; que, si les documents qu'elle produit ne permettent pas d'établir avec précision le montant de la marge perdue, aucun élément ne fait présumer que l'exécution du marché l'aurait privée de tout bénéfice ; que, son préjudice étant établi dans son principe, il sera fait une juste appréciation de la perte de marge nette subie par la société Locam en retenant un montant de 10 000 euros, cette indemnité, qui ne constitue pas la rémunération d'une prestation, n'entrant pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il suit de là que c'est à tort que les premiers juges ont intégralement rejeté les prétentions indemnitaires de la société Locam ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 100 du code des marchés publics, alors applicable : " En cas de résiliation du marché ouvrant droit à indemnisation, si les parties ne parviennent pas à un accord dans un délai de six mois à compter de la date de la résiliation sur le montant de l'indemnité, le pouvoir adjudicateur verse au titulaire, qui en fait la demande, le montant qu'il a proposé " ; que l'article 26 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat en litige, prévoit " (...) II. - Les marchés et accords-cadres peuvent aussi être passés selon une procédure adaptée, dans les conditions définies par l'article 28, lorsque le montant estimé du besoin est inférieur aux seuils suivants : 1° 135 000 Euros HT pour les fournitures et les services de l'Etat (...) VII. - Les marchés sans formalités préalables mentionnés dans le code général des collectivités territoriales sont les marchés d'un montant inférieur aux seuils fixés au II ". ; qu'aux termes de l'article 5 du décret n° 2002-232 , alors en vigueur : " I. - Le défaut de paiement dans les délais prévus par le décret du 7 mars 2001 susvisé fait courir de plein droit, et sans autre formalité, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant payé directement. /Les intérêts moratoires courent à partir du jour suivant l'expiration du délai global jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse./ Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation. /Les intérêts moratoires ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. /II. - Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. Ce taux est celui de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points./A défaut de la mention de ce taux dans le marché, le taux applicable est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points./Toutefois, pour les marchés sans formalités préalables, la mention du taux des intérêts moratoires est facultative, le taux applicable est le taux d'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points." ;

10. Considérant qu'en application de ces dispositions combinées, qui dérogent sur ce point au régime de droit commun défini par le code civil, la société Locam, qui avait sollicité une indemnisation de son préjudice découlant de la résiliation, avait droit aux intérêts contractuels, à l'expiration d'un délai de 6 mois suivant la date de la décision de résiliation, dès lors que les parties n'étaient pas parvenues à un accord sur le droit à indemnisation, soit à compter du 20 avril 2009 ; que, s'agissant d'un marché d'un montant inférieur au seuil des procédures formalisées alors applicable, le taux des intérêts contractuels est le taux d'intérêt légal en vigueur au 20 avril 2009, augmenté de deux points ;

11. Considérant, en second lieu, que la capitalisation des intérêts a été demandée le 14 juin 2012 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à la société requérante d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Locam une somme de 10 000 euros. Cette somme portera intérêt à compter du 20 avril 2009, au taux d'intérêt légal en vigueur à cette date, augmenté de deux points. Les intérêts échus à compter du 14 juin 2012 et à chaque échéance annuelle suivante seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Locam en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1203204 du 12 novembre 2014 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Locam est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Locam et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2016 à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme Samson-Dye, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 novembre 2016.

6

N° 15LY00292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY00292
Date de la décision : 24/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02-03 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation. Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON DYE
Rapporteur public ?: M. DURSAPT
Avocat(s) : SCP MAURICE- RIVA-VACHERON

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-11-24;15ly00292 ?
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