Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2014 par lequel le préfet de l'Isère lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois, et a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire.
Par un jugement n° 1501832 du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de sa notification, mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à Me B... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 août 2015, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les conclusions de première instance de M.A....
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé, dès lors qu'il n'indique pas précisément les raisons pour lesquelles il écarte les éléments produits en défense et ne répond pas aux arguments de l'administration ;
- l'arrêté ne méconnaît pas les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 10° de l'article L. 511-4 du même code, car le préfet n'est pas lié par l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, l'intéressé peut bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine ; le document du laboratoire Novo Nordisk produit par M. A...est postérieur à l'arrêté litigieux et ne précise pas qu'il n'existerait pas en Guinée de médicaments à effet thérapeutique identique au Novomix, l'intéressé n'établit pas que seul ce médicament peut lui être prescrit, il pourrait au demeurant être commandé de Paris ; le document de l'organisation mondiale de la santé (OMS) et le courrier de l'ambassade de Guinée en France ne réfutent pas l'existence d'un réseau de prise en charge médicale dans ce pays ; il n'est pas établi que la pathologie serait liée à des évènements vécus dans le pays d'origine, une telle circonstance étant par elle-même sans incidence sur la disponibilité du traitement ;
- les décisions en litige ne portent pas d'atteinte disproportionnée au droit de M. A...au respect de sa vie privée et familiale et ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 26 janvier 2016, M. E...A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de confirmer le jugement attaqué ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 23 octobre 2014, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à tout le moins de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient, à titre principal, que c'est à juste titre que le tribunal a annulé l'arrêté préfectoral car il n'existe pas de traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, les documents produits par le préfet n'étant pas de nature à établir une telle disponibilité.
Il soutient, à titre subsidiaire, que :
- le refus de titre de séjour viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; cette décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de la mesure d'éloignement.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Samson-Dye.
1. Considérant que le préfet de l'Isère relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 23 octobre 2014 portant refus de titre de séjour à M.A..., ressortissant guinéen, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, lui a enjoint de lui délivrer un titre de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ;
3. Considérant que, contrairement à ce que soutient le préfet de l'Isère, le jugement en litige, qui énumère les différents documents que celui-ci a produits, en indiquant pour certains d'eux les raisons pour lesquelles il les estime non pertinents, pour conclure que ces éléments ne suffisent pas à remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins résultant de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, corroborée par un document établi par l'ambassade de Guinée en France et un certificat médical d'un praticien hospitalier guinéen, est suffisamment motivé ;
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (... ) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (... ) le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général ( ...) " ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011, publié au journal officiel de la République française le 11 décembre 2011 : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : / si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) " ;
5. Considérant que sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ; que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
6. Considérant que, par un avis du 17 décembre 2013, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de M. A...nécessitait une prise en charge dont le défaut pouvait entraîner pour ce dernier des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'un traitement approprié n'existait pas dans son pays d'origine ; que, pour refuser de renouveler le titre de séjour de M. A...en qualité d'étranger malade, le préfet, qui n'était pas lié par cet avis, a estimé qu'un traitement approprié existait dans son pays d'origine ; que ce motif a été censuré par le jugement attaqué ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il l'a lui même indiqué dans ses écritures, M. A...souffre de diabète et d'un syndrome de stress post-traumatique ; que le préfet a produit des informations, datant pour les plus récentes de 2012 et 2013, recueillies en particulier auprès de l'ambassade de France en Guinée et émanant du ministère de l'intérieur néerlandais, dont il ressort qu'existent dans ce pays des traitements susceptibles de traiter les deux pathologies dont est atteint M. A...; que si le document provenant des autorités néerlandaises est rédigé en langue anglaise, aucun texte ni aucune règle générale de procédure n'interdit au juge d'en tenir compte, les parties pouvant joindre à leurs écrits des pièces annexes rédigées dans une langue étrangère ; que, compte tenu de ces éléments, il appartient à M. A...de démontrer en quoi les traitements dont le préfet a établi l'existence ne constitueraient pas des soins appropriés à sa pathologie, étant précisé qu'un traitement approprié n'est pas nécessairement identique à celui dont l'intéressé bénéficie en France ; que la circonstance que M. A...a obtenu antérieurement un titre de séjour en qualité d'étranger malade ne saurait être regardée comme apportant une telle justification ; qu'en l'espèce, le requérant ne produit pas d'éléments suffisamment probants pour démontrer que les traitements dont le préfet a établi l'existence dans son pays d'origine ne seraient pas adaptés à sa situation ; que, par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les troubles dont il souffre découleraient d'évènements traumatisants vécus en Guinée de nature à rendre impossible un traitement approprié dans ce pays ; que, dès lors, c'est à tort que le tribunal a retenu qu'il n'existait pas de traitement approprié dans le pays d'origine de M. A...;
8. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.A..., tant en première instance qu'en appel ;
9. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté litigieux a été signé par le secrétaire général de la préfecture de l'Isère, M. D...C..., qui avait reçu délégation pour signer, notamment, les décisions litigieuses, par arrêté préfectoral du 17 avril 2014, régulièrement publié ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de l'absence de consultation du médecin de l'agence régionale de santé manque en fait ; que la circonstance que cet avis ne précise pas si l'état de santé de M. A... lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine n'est pas susceptible d'entraîner l'irrégularité de cet avis, dès lors que cette mention constitue, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011, une simple faculté pour le médecin, qu'en l'espèce, le médecin avait estimé que l'intéressé devait demeurer en France pour sa prise en charge médicale et qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que son état se santé susciterait une interrogation sur sa capacité à supporter le voyage ;
11. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne ressort ni des mentions de l'arrêté litigieux, ni des autres pièces du dossier, que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen de la situation personnelle de l'intéressé ;
12. Considérant, en quatrième lieu, qu'eu égard à l'existence de traitements appropriés dans son pays d'origine, M. A...n'est fondé à soutenir ni que le refus de titre de séjour méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni que la mesure d'éloignement dont il fait l'objet méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du même code ; que, pour le même motif, le moyen tiré de ce que la décision désignant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui se borne à évoquer son état de santé, ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant, en cinquième lieu, que si M.A..., entré en France en 2009, y a résidé sous couvert de titres de séjours temporaires valables du 2 mars 2010 au 5 novembre 2013, et y a exercé une activité professionnelle, il ne conteste pas avoir conservé des liens dans son pays d'origine, où il a passé la majeure partie de son existence ; que, s'il évoque la naissance d'un enfant sur le territoire national le 15 juin 2015, il ne peut utilement s'en prévaloir, dès lors que cette circonstance est postérieure à l'arrêté litigieux ; qu'il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que la mère de cet enfant pouvait être regardée comme étant en situation régulière à la date dudit arrêté ; que, dans ces conditions, et compte tenu de l'existence de traitements appropriés en Guinée, les décisions litigieuses ne portent pas d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; qu'il n'est donc pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, ces décisions ne sont pas davantage entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
14. Considérant, en sixième et dernier lieu, qu'en absence de démonstration de l'illégalité du refus de titre de séjour ou de la mesure d'éloignement, M. A...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de ces décisions ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté litigieux et que ses conclusions aux fins d'injonction, d'astreinte et relatives aux frais non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées ; que le préfet de l'Isère est, en revanche, fondé à soutenir que c'est à tort que l'arrêté litigieux a été annulé ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1501832 du tribunal administratif de Grenoble du 2 juillet 2015 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de M. E...A...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Isère et à M. E... A....
Délibéré après l'audience du 23 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Mesmin d'Estienne, président,
- Mme Gondouin, premier conseiller,
- Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juillet 2016.
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N° 15LY02761