Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 28 août 2015 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays de retour et l'a assignée à résidence.
Par le jugement n° 1505373 du 2 septembre 2015, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés et enjoint au préfet de la Haute-Savoie de délivrer à Mme C...une autorisation provisoire de séjour, de lui restituer son passeport dans un délai de huit jours et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 octobre 2015, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 septembre 2015 ;
2°) de rejeter les conclusions de Mme C...dirigées contre ses décisions du 28 août 2015.
Le préfet soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les décisions en litige ont méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés les 27 novembre et 21 décembre 2015, MmeC..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement contesté est bien fondé ;
- les décisions préfectorales du 28 août 2015 ont été signées par une autorité incompétente ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise sans qu'elle puisse exercer son droit à être entendue ; elle est entachée d'erreur de fait ; elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- le refus d'un délai de départ volontaire est entaché d'erreur de fait, car elle n'a jusqu'alors fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement ; en tout état de cause, un délai de 30 jours aurait dû lui être accordé ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale, car elle a été prise pour l'exécution de l'obligation de quitter le territoire, elle-même illégale ;
- la décision l'assignant à résidence est, elle aussi, illégale du fait de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin, rapporteur,
- et les observations de Me A..., représentant MmeC....
1. Considérant que MmeC..., née en août 1957, est ressortissante de la République de Maurice ; qu'après avoir passé 18 ans à Bahreïn, elle est entrée en France, selon ses déclarations, en mars 2005 sous couvert d'un visa Schengen valable six mois ; qu'à la suite de son interpellation par la police de l'air et des frontières, le 28 août 2015, le préfet de la Haute-Savoie, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et a fixé le pays de retour et, d'autre part, l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours ; que le préfet relève appel du jugement du 2 septembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant que si MmeC..., célibataire et sans enfant, conserve des attaches familiales à l'Île Maurice où résident ses six frères et soeurs, il ressort des pièces du dossier, comme l'a relevé le premier juge, qu'elle a quitté son pays en 1987 et entretient, au moins depuis son arrivée en France, une relation ancienne et stable avec M.B..., retraité vivant à Reignier (Haute-Savoie) ; que la circonstance qu'elle ne soit pas mariée ni pacsée avec lui et qu'ils résident parfois dans des domiciles différents et séparés géographiquement ne suffit pas à remettre en cause la réalité de cette relation qui n'est pas contredite par les pièces versées au dossier ; que Mme C...ne semble pas avoir pu créer de liens personnels et familiaux au Royaume du Bahreïn ou en Suisse où elle a exercé une activité professionnelle de gouvernante au sein de la même famille entre 1987 et 2005 ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision obligeant Mme C...à quitter le territoire français a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 28 août 2015 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État, sur le fondement de ces dispositions, la somme de 1 500 euros à verser à MmeC... ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Savoie est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Mme C...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2016 à laquelle siégeaient :
M. Mesmin d'Estienne, président,
Mme Gondouin, premier-conseiller,
Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2016.
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N° 15LY03225