Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Nagla Peinture a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision en date du 22 juillet 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne) a rejeté sa demande d'autorisation de travail d'un travailleur étranger dans le cadre d'un changement de statut.
Par un jugement n° 1502463 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 22 juillet 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne a rejeté la demande d'autorisation de travail d'un travailleur étranger dans le cadre d'un changement de statut, a enjoint à la DIRECCTE de Bourgogne de statuer à nouveau sur la demande présentée par la société Nagla Peinture dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a condamné l'État à verser à la société Nagla Peinture la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 22 janvier 2016, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter les conclusions de la Société Nagla Peinture présentées en première instance.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif doit être annulé en ce que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne était fondée, sans commettre d'erreur d'appréciation, à refuser l'autorisation de travail sollicitée au motif de l'inadéquation entre le niveau de qualification détenu par M. A...et celui requis pour tenir le poste pour lequel l'autorisation de travail a été sollicitée ;
- le moyen soulevé par la Société Nagla Peinture selon lequel la DIRECCTE de Bourgogne aurait commis une erreur de droit en se fondant sur le 2° de l'article R. 5221-20 du code du travail pour refuser à M. A...l'autorisation de travail sollicitée, doit être écarté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2016, la société Nagla Peinture, représentée par MeB..., conclut au rejet du recours du ministre, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 26 novembre 2015 et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en date du 22 juillet 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne a rejeté sa demande d'autorisation de travail d'un travailleur étranger dans le cadre d'un changement de statut est entachée d'illégalité pour méconnaissance des dispositions de l'accord franco-tunisien du 28 avril 2008 et des dispositions de l'article R.5221-20 du code du travail ;
- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation au motif que le niveau d'études et de compétences de M. A...est en adéquation avec les qualifications requises pour le poste pour lequel l'autorisation de travail a été sollicitée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, ensemble le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne signé à Tunis le 28 avril 2008 et publié par décret du 24 juillet 2009, applicable à compter du 1er juillet 2009 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mesmin d'Estienne, président,
- et les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public.
1. Considérant que la société Nagla Peinture, dont le siège est à Véron (Yonne), a demandé l'autorisation de recruter un travailleur étranger, M.A..., de nationalité tunisienne, en qualité de conducteur de travaux BTP ; que, par décision du 30 décembre 2014, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne, a refusé cette autorisation ; que, par jugement du 25 juin 2015 le tribunal administratif de Dijon, à la demande de la société Nagla Peinture, a annulé cette décision du 30 décembre 2014 et a enjoint à la DIRECCTE de procéder à un nouvel examen de la situation de M.A..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement ; que, par arrêt du 11 février 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté le recours du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 25 juin 2015 ; qu'à l'issue du nouvel examen de la situation de l'intéressé et de la société Nagla Peinture, la DIRECCTE de Bourgogne a pris une seconde décision de refus ; que le ministre de l'intérieur demande l'annulation du jugement du 26 novembre 2015, par lequel le tribunal administratif de Dijon, à la demande de la société Nagla Peinture, a annulé la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne du 22 juillet 2015 ;
Sur la légalité de la décision de refus d'autorisation de travail :
2. Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention "salarié" " ; que le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 23.3, que " le titre de séjour portant la mention "salarié", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorisé française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi(...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / (...) 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail " ; qu'aux termes de l'article L. 5221-5 du même code : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-1 dudit code : " Pour exercer une activité professionnelle en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail (...) : / 1° Étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes de placement concourant au service public du placement pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule (...) " ; que les dispositions sus-rappelées du code du travail relatives aux conditions de délivrance des autorisations de travail sont applicables aux demandes de titre de séjour portant la mention " salarié " et valables un an, formulées par les ressortissants tunisiens ;
4. Considérant que, pour refuser de délivrer l'autorisation de travail sollicitée, le directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi de Bourgogne a relevé, d'une part, que M. A... était titulaire d'un master de sciences, technologies, santé, mention mécanique, génie civil, génie mécanique, spécialité génie civil délivré par l'Université de Lille alors que le poste de conducteur de travaux du BTP proposé était accessible avec un diplôme de niveau Bac + 2 et a relevé, d'autre part, que selon les documents en sa possession la société Nagla Peinture était une petite entreprise spécialisée dans les travaux de peinture et de vitrerie déclarant vouloir embaucher un agent de maîtrise n'exerçant pas de responsabilités du niveau de celles devant être confiées à un cadre ; qu'il en a déduit qu'eu égard à sa nature, au regard notamment du contexte et des fonctions demandées, il y avait une inadéquation entre le poste proposé et la qualification de l'intéressé ;
5. Considérant, en premier lieu, que l'offre d'emploi publiée par la société Nagla Peinture et validée par Pôle Emploi exigeait une " expérience de deux ans " et mentionnait la nécessité pour le candidat à l'embauche de présenter un " Niveau bac + 3, bac + 4 ou équivalent souhaité, Domaine : BTP conception organisation " ;
6. Considérant, d'une part, que M. A... peut se prévaloir d'avoir complété la formation théorique qu'il a reçue par la réalisation de stages, d'abord en qualité d'ouvrier ou de technicien entre 2008 et 2010, puis en qualité d'élève ingénieur entre 2011 et 2013 ; qu'il n'est pas contesté par le préfet que cette expérience professionnelle, acquise à l'occasion de l'exercice d'emplois " étudiant ", n'était pas manifestement dépourvue de tout lien avec le diplôme que M. A... préparait et qu'elle enrichissait son profil professionnel ; que M. A...atteste avoir eu, par ailleurs, une expérience professionnelle spécifique en qualité de conducteur de travaux, de janvier 2014 à janvier 2015 ; que M. A...justifie ainsi avoir bénéficié d'une succession de périodes de formation pratique dont le contenu et la durée cumulée étaient de nature à répondre à l'exigence d'expérience professionnelle stipulée dans l'offre d'emploi de la société ;
7. Considérant, d'autre part, que l'offre publiée par la société Nagla Peinture pour un emploi de conducteur de travaux, bien que mentionnant un niveau de formation requise allant jusqu'à Bac+4 ou équivalent souhaité, renvoyait, s'agissant de ce métier, à la fiche ROME F1201, laquelle indique que ce type d'emploi est accessible à un candidat en possession d'un diplôme à partir d'un niveau Bac + 2, soit un diplôme d'un niveau inférieur à celui détenu par M. A... ; que, toutefois, cette circonstance ne permet pas, à elle seule d'établir le défaut d'adéquation entre la qualification dont M. A...peut se prévaloir compte tenu du diplôme dont il est titulaire et l'emploi proposé par la société ;
8. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'importance et la diversité des travaux de BTP que réalise la société Nagla Peinture, qui atteste employer une vingtaine de salariés, lui a permis d'atteindre au titre des exercices 2012-2013, 2013-2014 et 2014-2015, des montants de chiffres d'affaires dépassant le million d'euros ; qu'en outre cette entreprise, si elle propose essentiellement la réalisation de travaux de peintures et de pose de revêtements, réalise néanmoins des chantiers portant sur la construction de dizaines de logements, nécessitant dès lors une organisation du chantier et la direction de celui-ci par un agent ayant une qualification supérieure à celle que pourrait détenir un simple agent de maîtrise ; qu'enfin, les conditions de rémunération qui étaient proposées par l'entreprise à l'intéressé pour cet emploi, décrit comme celui de conducteurs de travaux, sont comparables à celles offertes à des salariés occupant un emploi de même nature dans la même branche professionnelle ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'inadéquation alléguée par le ministre entre les critères énumérés au 2° de l'article R. 5221-20 précité et l'emploi sollicité n'est pas établie ; que le ministre de l'intérieur n'est, par suite, pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement du 26 novembre 2016, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 22 juillet 2015 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne, refusant l'autorisation de travail à la Société Nagla Peinture pour l'embauche de M. A... sur un poste de conducteur de travaux ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à la société Nagla Peinture au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : L'État versera à la Société Nagla Peinture la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Nagla Peinture est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Nagla Peinture.
Copie en sera adressée à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne (DIRECCTE de Bourgogne).
Délibéré après l'audience du 26 mai 2016 à laquelle siégeaient :
M. Mesmin d'Estienne, président,
Mme Gondouin, premier conseiller,
Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 juin 2016.
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N° 16LY00276