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21/04/2016 | FRANCE | N°15LY02806

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 21 avril 2016, 15LY02806


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Versonnex a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les conventions conclues le 10 décembre 2001 et le 23 juillet 2003 avec la société France Télécom.

Par un jugement n° 1205160 du 30 juin 2015, le tribunal administratif de Lyon a annulé les stipulations de l'article VII de la convention du 10 décembre 2001 et celles du deuxième alinéa de l'article V de la convention du 23 juillet 2003 toutes deux conclues entre la commune de Versonnex et la société France Télécom,

a mis à la charge de la société Orange, venant aux droits de la société France Télé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Versonnex a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les conventions conclues le 10 décembre 2001 et le 23 juillet 2003 avec la société France Télécom.

Par un jugement n° 1205160 du 30 juin 2015, le tribunal administratif de Lyon a annulé les stipulations de l'article VII de la convention du 10 décembre 2001 et celles du deuxième alinéa de l'article V de la convention du 23 juillet 2003 toutes deux conclues entre la commune de Versonnex et la société France Télécom, a mis à la charge de la société Orange, venant aux droits de la société France Télécom, le versement d'une somme de 1 000 euros à la commune de Versonnex en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 août 2015 et le 12 février 2016, ainsi que par un mémoire enregistré le 16 février 2016 et non communiqué, la société Orange, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ou de réformer ce jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 30 juin 2015 ;

2°) de rejeter la demande de la commune de Versonnex ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Versonnex une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître du litige ; la convention n'a pas pour objet l'exécution même de travaux, ni en toute hypothèse de travaux publics ; elle n'entre pas dans le champ des contrats assimilés à des contrats de travaux publics ; elle ne remplit pas les autres critères de qualification d'un contrat administratif, ne porte pas sur l'occupation du domaine public, n'est ni un marché public, ni un contrat de partenariat, ni un bail emphytéotique administratif, est dépourvue de clause exorbitante du droit commun et n'est pas relative à l'exécution d'un service public local ;

- le jugement attaqué viole l'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire, qui a conclu à la propriété privée d'Orange sur les infrastructures de génie civil en litige ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait ni identité de parties, ni identité de cause juridique et n'ont pas reconnu d'autorité de chose jugée aux motifs des décisions des juges judiciaires qui étaient le soutien nécessaire de leur dispositif ;

- à titre subsidiaire, à supposer que la juridiction administrative soit compétente pour connaître du litige et qu'elle n'oppose pas l'autorité de chose jugée, elle devrait néanmoins constater que les matériels de génie civil ne sont pas la propriété de la commune de Versonnex et, a fortiori, ne relèvent pas de son domaine public en absence d'affectation à un service public et d'aménagement spécial ;

- le tribunal a fait une interprétation erronée de l'article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales, dont les dispositions impliquent, au regard des exigences constitutionnelles, que les ouvrages de génie civil utilisés pour l'enfouissement des réseaux pouvant faire l'objet de conventions n'appartiennent pas au domaine public ;

- c'est à tort qu'il a retenu que l'existence d'un contrat de travaux publics, à supposer qu'il puisse être qualifié ainsi, implique nécessairement que les biens construits appartiennent au domaine public ;

- c'est à tort qu'il a estimé que l'exposante était chargée d'une mission de service public, compte tenu des termes de la loi n° 2003-1365 ;

- le tribunal ne pouvait juger que les stipulations des conventions en cause relatives au transfert de propriété des ouvrages de génie civil étaient divisibles de leurs autres stipulations dès lors qu'elle n'aurait jamais pris en charge le financement et la maintenance, pour une durée indéterminée, d'ouvrages dont elle n'était ou ne serait pas à terme propriétaire ; à titre subsidiaire, le tribunal devait étendre les effets de l'annulation demandée à l'ensemble des stipulations des articles III et IV des conventions en cause, et notamment celles concernant les obligations à la charge de la société Orange d'assurer la maintenance et l'exploitation de ces ouvrages ;

- le jugement dénature les faits de l'espèce et est entaché de contradictions de motifs, dès lors qu'elle a assuré le financement du matériel de génie civil et en a défini les spécifications techniques et qu'elle disposait de certains attributs de la maîtrise d'ouvrage, alors même que la commune en avait défini la localisation en sa qualité de gestionnaire du domaine public ; les considérants nos 6 et 17 du jugement sont entachés de contradiction, la cour de cassation ayant retenu que les ouvrages destinés à accueillir les câbles de télécommunication constituaient des réseaux de communication électronique ;

- si la cour décide d'évoquer, elle devra rejeter la demande de la commune pour les motifs exposés dans ses écritures de première instance ;

- il convient de distinguer les travaux de génie civil, financés par la commune, du matériel de génie civil, financé par l'opérateur qui en avait la maîtrise d'ouvrage, et non réalisé pour le compte de la commune ;

- à supposer qu'une illégalité ait pu exister à la date de la conclusion de la convention, elle n'existe plus aujourd'hui, les infrastructures n'étant plus affectées à un service public et la loi ayant admis dès 2009 leur non-appartenance, par principe, au domaine public des collectivités locales ; eu égard au pouvoir du juge du contrat, à l'exigence de loyauté dans les relations contractuelles et alors que la commune a été d'une particulière mauvaise foi et que l'illégalité a disparu, l'annulation de ces contrats ou de l'une de leurs clauses n'est plus possible.

Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2015, ainsi que par un mémoire enregistré le 16 février 2016 et non communiqué, la commune de Versonnex, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Orange une somme de 5 000 euros, portée à 7 000 euros dans ses dernières écritures, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a écarté l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la société Orange, dès lors qu'est en cause un contrat administratif ayant pour objet l'exécution même de travaux, qui doivent être qualifiés de travaux publics comme ayant été réalisés pour le compte d'une personne publique dans un but d'intérêt général ou, à titre subsidiaire, comme réalisés par une personne publique, dans le cadre d'une mission de service public, pour le compte d'une personne privée ; ces conventions pourraient être assimilées à un contrat portant sur des travaux publics dès lors qu'elles prévoient le financement de tels travaux ; en toute hypothèse, le contrat est également administratif comme prévoyant les modalités d'exécution du service public et comme portant sur l'occupation du domaine public auquel sont rattachés les ouvrages de génie civil en cause ;

- les fourreaux et les chambres de tirage construits et financés par la commune étaient des biens du domaine public de la commune qui ne pouvaient être cédés en pleine propriété à France Télécom ;

- le tribunal n'a pas méconnu l'autorité de chose jugée ; le tribunal n'a pas commis d'irrégularité en s'abstenant de citer l'arrêt de la cour de cassation ; il n'y a ni identité de parties, ni identité de cause, ni identité d'objet, telles qu'elles doivent être appréciées au regard de la jurisprudence applicable ; l'extension aux motifs de ces décisions de justice de l'autorité de chose jugée ne peut être envisagée que si les autres conditions sont satisfaites ; en toute hypothèse, la question de la validité des contrats n'était pas déterminante pour le juge judiciaire ;

- le jugement n'est pas entaché d'erreur de droit dans l'application de l'article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales, qui porte notamment sur la question de l'occupation du domaine public ;

- les premiers juges ont démontré l'appartenance des biens au domaine public en se référant à l'affectation au service public moyennant un aménagement spécial ; la commune était propriétaire des ouvrages en cause, à l'origine ; les ouvrages de génie civil étaient affectés à une mission de service public, notamment assurée par France Télécom ; en tout état de cause, la convention litigieuse ayant été conclue avant l'abrogation des dispositions investissant France Télécom d'une mission de service public par la loi n° 2003-1365, le juge devait faire application des règles relatives à la domanialité publique alors applicables ;

- c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu une divisibilité des clauses des conventions en cause dès lors que la société France Télécom aurait pu convenir d'un entretien d'installations qui, indirectement, lui permettaient d'assurer son activité lucrative, la propriété du bien étant secondaire ;

- c'est à juste titre que les premiers juges ont reconnu à la commune la qualité de maître d'ouvrage ; les considérants n° 6 et n° 16 du jugement ne sont pas contradictoires, dès lors qu'ils utilisent les notions d'infrastructure de communication électronique et de réseau de communication électronique ; le seul fait que France Télécom ait financé des matériels ne retire pas à la commune sa qualité de maître d'ouvrage des travaux et de propriétaire ab initio ; ces biens n'ont été ni désaffectés ni déclassés ;

- si la cour devait annuler le jugement et décidait d'évoquer, elle maintient ses conclusions de première instance ;

- l'objet du contrat est illicite, dès lors qu'il méconnaît le principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public ; c'est seulement après désaffectation et déclassement que les ouvrages pourraient être cédés ; il n'y a pas eu de régularisation rétroactive.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des postes et télécommunications ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- les observations de MeA..., représentant la société Orange et de MeB..., représentant la commune de Versonnex.

1. Considérant que le tribunal administratif de Lyon a annulé, à la demande de la commune de Versonnex, les conventions du 10 décembre 2001 et du 23 juillet 2003 la liant à la société France Télécom, portant sur des travaux de dissimulation de réseau, en ce que ces conventions transféraient à cette société la propriété des ouvrages de génie civil construits par la commune, consistant en des gaines et chambres de tirage destinées à accueillir les câbles de la société France Télécom ; que la société Orange, venant aux droits de la société France Télécom, relève appel de ce jugement ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Orange, les conventions en litige portent sur la réalisation de travaux immobiliers, dont elles organisent l'enchaînement, la maîtrise d'oeuvre et la prise en charge financière ; que les conventions litigieuses prévoient que les travaux de génie civil sont menés par la commune de Versonnex ; qu'ils doivent être regardés comme réalisés pour le compte de la société France Télécom, à laquelle les ouvrages, réalisés selon ses spécifications, doivent être remis après leur achèvement ; que ces travaux, concourant à l'enfouissement de lignes de télécommunication, relèvent d'une mission de service public, conformément à l'article 3, en vigueur à la date de la convention en litige, de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom, aux termes duquel " France Télécom a pour objet [...] d'assurer tous services publics de télécommunication [...] d'établir, de développer et d'exploiter les réseaux publics nécessaires à la fourniture de ces services " ; que l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable, prévoit quant à lui la possibilité, sous condition, que les collectivités concourent à ce service public par la création d'infrastructures destinées à supporter les réseaux ; que la circonstance que la commune ne remplissait pas effectivement les conditions pour exercer une telle mission de service public ne peut être utilement invoquée dans le cadre de la détermination de l'ordre juridictionnel compétent ; que, dans ces conditions, le contrat litigieux étant relatif à des travaux publics, c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté l'exception d'incompétence opposée par la société Orange ;

Sur la propriété des ouvrages litigieux :

3. Considérant que, pour solliciter l'annulation des conventions litigieuses, la commune se bornait à soutenir devant le tribunal que le bien transféré à la société France Télécom relevait de son domaine public et qu'il avait été transféré sans déclassement préalable, ce en méconnaissance du principe d'inaliénabilité ; que les premiers juges ont accueilli ce moyen ;

4. Considérant cependant qu'il ressort des conventions en litige que la société France Télécom devait être in fine propriétaire des ouvrages de génie civil ; qu'il ressort de l'économie générale de ces contrats que, malgré certaines maladresses rédactionnelles, la société France Télécom avait seulement entendu transférer à la commune, qui avait sollicité l'enfouissement de ses réseaux, certains attributs de la maîtrise d'ouvrage de la réalisation des ouvrages de génie civil, et en particulier lui en confier la garde jusqu'à la réception de l'ouvrage ; que, dès lors, l'ouvrage doit être regardé comme étant devenu, dès son achèvement, la propriété de la société France Télécom ; que, cet ouvrage n'ayant jamais été la propriété d'une personne publique, il ne saurait relever du domaine public de la commune ;

5. Considérant qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens développés par la société Orange, qu'elle est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé certaines clauses des conventions conclues le 10 décembre 2001 et le 23 juillet 2003 avec la commune de Versonnex ; qu'aucun autre moyen n'étant invoqué par la commune et aucune autre irrégularité n'étant susceptible d'être relevée d'office par le juge, les conclusions de la commune de Versonnex présentées devant le tribunal en contestation de la validité de ces deux conventions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens :

6. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de la commune de Versonnex doivent être rejetées ;

7. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Orange ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1205160 du tribunal administratif de Lyon en date du 30 juin 2015 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Versonnex en première instance et en appel sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Orange est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange et à la commune de Versonnex.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2016 à laquelle siégeaient :

M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,

Mme Gondouin, premier conseiller,

Mme Samson-Dye, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 avril 2016.

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N° 14LY00768

N° 15LY02806 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY02806
Date de la décision : 21/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel - Contrats - Contrats administratifs.

Domaine - Domaine public.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge.


Composition du Tribunal
Président : M. MESMIN d'ESTIENNE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON DYE
Rapporteur public ?: M. DURSAPT
Avocat(s) : MCDERMOTT WILL et EMERY

Origine de la décision
Date de l'import : 06/05/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-04-21;15ly02806 ?
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