Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Nagla Peinture a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision en date du 30 décembre 2014 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne (DIRECCTE de Bourgogne) a rejeté sa demande d'autorisation de travail reçue le 20 novembre 2014 en faveur de M. B...A..., ressortissant tunisien, né le 24 février 1985 à Sousse, visant à permettre à ce dernier d'occuper au sein de cette entreprise un poste de conducteur de travaux.
Par un jugement n° 1500182 du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 30 décembre 2014 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne rejetant la demande d'autorisation de travail de M.A..., a enjoint à la DIRECCTE de Bourgogne de procéder à un nouvel examen de la situation de M.A..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a condamné l'Etat à verser à la société Nagla Peinture la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 20 août 2015, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter les conclusions de la Société Nagla Peinture présentées en première instance ;
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif doit être annulé en ce que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne était fondée à refuser l'autorisation de travail sollicitée au motif de l'inadéquation entre le niveau de qualification détenu par M. A...et celui requis pour tenir le poste pour lequel l'autorisation de travail a été sollicitée ;
- le moyen soulevé par la Société Nagla Peinture selon lequel la DIRECCTE de Bourgogne aurait commis une erreur de droit en se fondant sur l'article R. 5221-20 du code du travail pour refuser à M. A...l'autorisation de travail sollicitée, doit être écarté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2015, la société Nagla Peinture conclut au rejet du recours du ministre, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 25 juin 2015 et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 30 décembre 2014 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne ayant rejeté la demande d'autorisation de travail de M. A...est entachée d'illégalité pour méconnaissance des dispositions de l'accord franco-tunisien du 28 avril 2008 et des dispositions de l'article R.5221-20 du code du travail ;
- la décision du 30 décembre 2014 de la DIRECCTE de Bourgogne est entachée d'erreur d'appréciation au motif que le niveau d'études et de compétences de M. A...est en adéquation avec les qualifications requises pour le poste pour lequel l'autorisation de travail a été sollicitée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, ensemble le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne signé à Tunis le 28 avril 2008 et publié par décret du 24 juillet 2009, applicable à compter du 1er juillet 2009 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public.
1. Considérant que la société Nagla Peinture, dont le siège est à Véron (Yonne), a demandé l'autorisation de recruter un travailleur étranger, M.A..., de nationalité tunisienne, en qualité de conducteur de travaux BTP ; que par décision en date du 30 décembre 2014, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne (DIRECCTE de Bourgogne), a refusé cette autorisation ; que le ministre de l'intérieur demande l'annulation du jugement du 25 juin 2015, par lequel le tribunal administratif de Dijon a, à la demande de la société Nagla Peinture, annulé la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne ;
Sur la légalité de la décision de refus d'autorisation de travail :
2. Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " " ; que le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 23.3, que " le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorisé française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi(...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / (...) 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail " ; qu'aux termes de l'article L. 5221-5 du même code : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-1 dudit code : " Pour exercer une activité professionnelle en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail (...) : / 1° Etranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes de placement concourant au service public du placement pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule (...) " ; que les dispositions sus rappelées du code du travail relatives aux conditions de délivrance des autorisations de travail sont applicables aux demandes de titre de séjour portant la mention " salarié " et valables un an, formulées par les ressortissants tunisiens ;
4. Considérant que pour refuser de délivrer l'autorisation de travail sollicitée, la directrice régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi de Bourgogne a relevé, d'une part, que M. A...était titulaire d'un master de sciences, technologies, santé, mention mécanique, génie civil, génie mécanique, spécialité génie civil délivré par l'Université de Lille et que le poste de conducteur de travaux du BTP proposé était accessible avec un diplôme de niveau Bac + 2 et a relevé, d'autre part, que selon l'extrait
K Bis de la société Nagla peinture, cette société avait pour principales activités la réalisation de travaux de peinture intérieure et extérieure et de pose de revêtement de murs et de sols ; qu'elle en a déduit qu'il y avait ainsi une inadéquation entre le niveau du master de sciences, technologies, santé, mention mécanique, génie civil, génie mécanique, spécialité génie civil détenu par l'intéressé et le poste de conducteur de travaux qui lui était proposé ;
5. Considérant, en premier lieu et comme l'ont justement relevé les premiers juges, que la circonstance que la fiche ROME F1201 correspondant à l'emploi sollicité de conducteur de travaux ait indiqué que cet emploi était accessible à un candidat en possession d'un diplôme à partir d'un niveau Bac + 2, soit un diplôme d'un niveau inférieur à celui détenu par
M.A..., ne permet pas, à elle seule, d'établir le défaut d'adéquation entre les critères énumérés au 2° de l'article R. 5221-20 précité et l'emploi sollicité, alors que ladite fiche précise, en outre, qu' " (...) un diplôme d'ingénieur en construction peut être demandé " et que la fiche de poste détaillé APEC afférente à ce type d'emploi indique, quant à elle, que pour le poste de conducteur travaux, les diplômes requis sont d'abord ceux d'ingénieur spécialisé, puis ceux d'ingénieur généraliste et enfin, les " formations techniques bac + 2 et 3 à bac + 5 " ;
6. Considérant, en second lieu, que l'offre d'emploi publiée par la société Nagla Peinture et validée par Pôle Emploi mentionnait la nécessité pour le candidat à l'embauche de présenter un " Niveau bac + 3, bac + 4 ou équivalent souhaité " ; que si le diplôme français dont M. A...peut se prévaloir correspond à un niveau bac + 5, ce master est notamment propre à la spécialité " génie civil " ; que si le rapport de l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) relatif au master en cause mentionne que celui-ci " forme des ingénieurs et des chercheurs capables de travailler en bureaux d'études, services techniques, agences d'urbanisme, collectivités, sur des problèmes de transport, géotechnique, conception/gestion d'infrastructures, maitrise d'ouvrage, environnement, matériaux ", ce rapport indique, ainsi que le fait valoir le ministre lui-même, que " les six spécialités [du master] sont toutes professionnelles " ; que M. A...qui est, par ailleurs, titulaire d'un diplôme d'ingénieur en génie civil délivré en Tunisie, dont il n'est pas établi qu'il n'aurait pu être admis en équivalence d'un diplôme français, peut en outre se prévaloir d'un début d'expérience professionnelle dans le domaine spécifique de suivi de chantiers, ainsi que la société Nagla l'atteste par la production des relevés des stages que celui-ci a effectués au cours de l'année 2014 ; qu'il résulte enfin des pièces du dossier, d'une part, que l'importance et la diversité des travaux de BTP que réalise la société Nagla, qui atteste employer une vingtaine de salariés, lui a permis d'atteindre en 2013 et en 2014 un montant de chiffre d'affaires dépassant le million d'euros et, d'autre part, que cette entreprise, si elle propose essentiellement la réalisation de travaux de peintures et de pose de revêtements, réalise néanmoins des chantiers de plus de 100 000 euros HT portant sur la construction de plus d'une dizaine de logements nécessitant dès lors une organisation du chantier et la direction de celui-ci par un agent ayant une qualification de conducteur de travaux, devant posséder à cette fin un savoir à la fois théorique et pratique ; qu'enfin, les conditions de rémunération qui étaient proposées par l'entreprise à l'intéressé sont comparables à celles offertes à des salariés occupant un emploi de même nature dans la même branche professionnelle ; qu'ainsi l'inadéquation alléguée par le ministre entre le niveau du diplôme dont M. A...peut se prévaloir et l'emploi proposé par la société Nagla et offert à ce dernier, n'est pas établie ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 30 décembre 2014 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne, refusant l'autorisation de travail à la Société Nagla Peinture pour l'embauche sur un poste de conducteur de travaux de M.A... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Nagla Peinture au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la Société Nagla Peinture une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Nagla Peinture est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Nagla Peinture.
Copie en sera adressée à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne (DIRECCTE de Bourgogne).
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2016 à laquelle siégeaient :
Mme Verley-Cheynel, président de chambre,
M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,
Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 février 2016.
''
''
''
''
2
N° 15LY02881