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26/01/2016 | FRANCE | N°15LY02040

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 26 janvier 2016, 15LY02040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la société Trabet à l'indemniser du préjudice résultant de désordres affectant l'autoroute A6 à la suite de la réfection de la chaussée réalisée par cette société.

Par un jugement n° 0701705 du 7 février 2013, le tribunal administratif de Dijon a condamné la société Trabet à verser à la société APRR la somme de 148 462,50 euros ainsi que la moitié des frais d'expertise.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la société Trabet à l'indemniser du préjudice résultant de désordres affectant l'autoroute A6 à la suite de la réfection de la chaussée réalisée par cette société.

Par un jugement n° 0701705 du 7 février 2013, le tribunal administratif de Dijon a condamné la société Trabet à verser à la société APRR la somme de 148 462,50 euros ainsi que la moitié des frais d'expertise.

Par un arrêt n° 13LY00617 du 28 mai 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du 7 février 2013 du tribunal administratif de Dijon, rejeté la demande de la société APRR et mis à la charge de cette dernière la totalité des frais d'expertise.

Par une décision n° 383203 du 17 juin 2015, enregistrée au greffe de la cour le 19 juin 2015 sous le n° 15LY02040, le Conseil d'Etat, sur la demande de la société APRR a, d'une part, annulé l'arrêt n° 13LY00617 du 28 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon et, d'autre part, renvoyé devant la cour de céans le jugement de cette affaire.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 mars 2013, le 13 août 2013, le 8 juillet 2015 et le 29 juillet 2015, la société Trabet demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701705 du tribunal administratif de Dijon du 27 février 2013 qui l'a condamnée à verser à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) une somme de 148 462,50 euros et à lui rembourser les frais d'expertise à hauteur de 15 370,57 euros ;

2°) de rejeter la demande de la société APRR ;

3°) de condamner la société APRR à lui verser la somme de 20 000 euros pour procédure abusive et frustratoire ;

4°) de mettre à la charge de la société APRR une somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de laisser les dépens à la charge de la société APRR au titre des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

La société Trabet soutient que :

Sur la garantie de parfait achèvement :

- que la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône n'est pas fondée à rechercher sa responsabilité au titre de la garantie de parfait achèvement dès lors que celle-ci n'est intervenue sur les voies que bien postérieurement au délai d'un an ou au délai prévu par le CCTP de 5 ans ;

- cette garantie ne peut faire supporter sur l'entrepreneur les conséquences financières d'un vice de conception imputable au maître d'ouvrage ou au maître d'oeuvre ; le choix des matériaux relève des missions du concepteur au même titre que le choix des procédés et techniques de construction ;

- l'acceptation par l'une des parties du choix d'un matériau fait peser sur elle la responsabilité des désordres constatés du fait de l'utilisation du matériau, et ce même si le choix des matériaux a été réalisé dans le cadre d'une variante au cahier des charges, proposée par l'entrepreneur, dès lors que cette dernière est conforme aux prescriptions du maître d'ouvrage, également maître d'oeuvre, et validée par ce dernier ; la société APRR l'avait accepté et formellement intégré dans le marché ;

- que le choix du produit liant M40 n'était pas, à la date à laquelle il a été proposé par la société Trabet, inapproprié, son caractère supposément inapproprié ne pouvant alors être décelé, ce matériau faisant l'objet d'un avis technique agrémenté et de contrôle de qualité conformes aux règles applicables ;

- que la société Trabet a réalisé les travaux conformément aux stipulations contractuelles ; elle n'a commis aucune erreur de réalisation ;

- la conception du projet, avec conservation des dalles californiennes non fragmentées est responsable, dans la même proportion que l'usage du liant M 40, de l'apparition des fissures transversales ;

- l'apparition de fissures longitudinales n'est pas imputable à la société Trabet ;

Sur la garantie décennale :

- les voies n'étaient pas impropres à leur destination, et les malfaçons, s'il y en avait, n'étaient pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage de simples travaux d'entretien étant de nature à y remédier ;

Sur les préjudices allégués :

- la société APRR ne justifie pas d'un préjudice dû à un sous amortissement tenant au fait que les travaux réalisés par la société Trabet auraient dû être amortis sur une durée de 12 ans, ladite société n'établissant pas la durée d'amortissement normal de tels types de travaux ; les montants réclamés à la société APRR en réparation du préjudice allégué, à titre de non-amortissement de trois années, sur douze, de la chaussée ont présenté un caractère changeant, indéterminé et excessif ; la société n'a jamais produit la preuve que des travaux avaient dû être réalisés en 2010 et 2011, au lieu de 2013 et 2014 ;

- la facture SNEL a été intégrée par l'expert et le tribunal dans le montant de l'indemnisation matérielle ;

- l'expert a ventilé les frais de mission CEBTP conditionnellement susceptibles d'être laissés à la charge de la société Trabet à 13 303 euros pour tenir compte des conclusions de son rapport.

Par des mémoires enregistrés le 7 août 2013 et 17 juillet 2015, la société APRR demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de condamner la société Trabet à lui régler la somme de 231 230 euros hors taxes en réparation des désordres affectant la chaussée de l'autoroute A6, principalement sur le fondement de l'article 9.5.3 du cahier des clauses administratives particulières, et subsidiairement sur le fondement des articles 1792 et 2270 du code civil ;

3°) de mettre à la charge de la société Trabet la totalité des frais d'expertise au titre des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de la société Trabet la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société APRR soutient que :

- les chaussées sont affectées de fissures longitudinales et transversales ;

- les désordres sont partiellement imputables à la société Trabet qui a respecté les pièces contractuelles et n'a commis aucune erreur de réalisation mais a proposé et mis en oeuvre le joint M40 qui est plus fragile et n'a proposé aucune mesure particulière au droit du décaissé ; elle n'a demandé au tribunal que la réparation de la partie des désordres qui étaient imputables à la société Trabet ;

- les préjudices qu'elle a subi, qui ont été constatés par l'expert, sont constitués des dépenses de réfection de la chaussée qu'elle a dû anticiper, en raison de l'impossibilité d'amortir l'ouvrage sur douze ans, évalué à 143 055 euros hors taxes, et des frais induits par l'expertise qui n'a dû être diligentée qu'en raison de la carence de la société Trabet, ces derniers frais recouvrant l'intervention du CEBTP qui s'élèvent à 46 924 euros HT, et le coût des travaux de partage de la fissure longitudinale réalisés par la société SNEL qui s'élève à 41 250 euros HT.

Par ordonnance du 10 août 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 10 septembre 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.

1. Considérant que, par acte d'engagement en date du 16 août 2001, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a confié à la société Trabet un marché de réfection de voies de la section Avallon-Pouilly de l'autoroute A6 entre les PR 207,5 et 249,3 dans le sens Paris-Lyon (soit 41,8 kilomètres) et entre les PR 265 et 249 dans le sens Lyon-Paris (soit 16 kilomètres) ; que les travaux réalisés par la société Trabet ont consisté d'une part, à la réfection de la voie lente, par fraisage de la voie existante puis mise en place d'une nouvelle couche, sur la même épaisseur, de grave bitume et, d'autre part, sur toute la largeur de la voie, à la pose d'un béton bitumeux très mince ; que la réception a été prononcée le 30 août 2002 sans réserve ; qu'au cours de l'année 2005, la chaussée a été affectée de fissurations longitudinales et transversales ; que, sur demande de la société APRR, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise le 19 juillet 2007 ; que l'expert a déposé son rapport le 9 mars 2012 ; que la société APRR a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la société Trabet, à titre principal, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, et à titre subsidiaire, en application de la garantie décennale, à lui verser une indemnité de 231 230 euros hors taxes en réparation du préjudice résultant de l'exécution de ces travaux ; que, par un jugement du 7 février 2013, le tribunal administratif de Dijon a condamné la société Trabet à verser 148 462,50 euros à la société APRR sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ; que par une décision du 17 juin 2015, le Conseil d'Etat, sur la demande de la société APRR a, d'une part, annulé l'arrêt n° 13LY00617 du 28 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon qui avait annulé le jugement du tribunal et rejeté les conclusions indemnitaires de la société APRR et, d'autre part, renvoyé devant la cour de céans le jugement de cette affaire ;

Sur la garantie de parfait achèvement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux : " Le délai de garantie est, sauf stipulation différente du marché et sauf prolongation décidée comme il est dit au 2 du présent article, d'un an à compter de la date d'effet de la réception, ou de six mois à compter de cette date si le marché ne concerne que des travaux d'entretien ou des terrassements. Pendant le délai de garantie, indépendamment des obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application du 4 de l'article 41, l'entrepreneur est tenu à une obligation dite "obligation de parfait achèvement" au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux 5 et 6 de l'articles 41 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; / c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément au CCAP ; / d) Remettre au maître d'oeuvre les plans des ouvrages conformes à l'exécution dans les conditions précisées à l'article 40. / Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre ayant pour l'objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. / L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. " ; qu'aux termes de l'article 9.5.1 du cahier des clauses administratives particulières : " par dérogation à l'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales, le délai de garantie contractuelle est fixé à cinq (5) ans à compter de la réception, pour les travaux devant respecter les obligations de résultat particulières (...). Si pendant la période de garantie contractuelle, il est constaté que les obligations de résultats particulières fixés au C.C.T.P. ne sont pas respectées, l'entrepreneur, suivant les conditions fixées au C.C.T.P. et aux articles 44.1 et 44.2 du C.C.A.G. peut se voir soit appliquer des réfactions de prix, soit être mis en demeure d'effectuer des réparations en supportant les frais correspondants, soit être mis en demeure de démolir et reconstruire les ouvrages incriminés en supportant les frais correspondants " ;

En ce qui concerne la prescription de la garantie de parfait achèvement :

3. Considérant qu'il résulte des stipulations précitées que les parties ont porté le délai de garantie de parfait achèvement à cinq ans à compter de la réception s'agissant des travaux qui devaient respecter des obligations de résultat particulières, comme c'est le cas des travaux litigieux ; qu'il résulte de l'instruction que la réception a été prononcée avec effet à la date du 30 août 2002 ; que, dés le 17 octobre 2005 la société APRR a adressé à la société Trabet un ordre de service portant " notification d'apparition de remontées de fissures sur la totalité de la section ", demandant à la société, dans le cadre de ses obligations de résultat sur cinq ans, de réparer les dégradations constatées ; qu'un nouvel ordre de service a été adressé à la société le 12 décembre 2005, la mettant en demeure de procéder immédiatement à des travaux de réfection au droit des fissures longitudinales au moyen d'un pontage et de présenter, dans un délai d'un mois, un mode de reprise des fissures transversales ; qu'une nouvelle mise en demeure a été adressée à la société Trabet le 25 avril 2007, lui demandant de nouveau de réparer les vices en cause ; qu'ainsi, les malfaçons litigieuses ont donné lieu à plusieurs mises en demeure intervenues dans le cours du délai prévu par l'article 9.5.1 du cahier des clauses administratives particulières ; que, par suite, l'action du maître de l'ouvrage n'était pas prescrite, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si la société APRR a procédé, avant la fin de ce délai, à des travaux de reprise permettant de mettre fin aux désordres constatés ;

En ce qui concerne la responsabilité de la société Trabet :

4. Considérant que les clauses particulières du contrat relatives aux obligations de résultat renforcées, qui figuraient à l'article 9.5.1 du cahier des clauses administratives particulières, n'ont pas eu pour effet de remettre en cause l'exigence d'imputabilité des désordres énoncée par l'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché ;

5. Considérant que la société APRR fait grief à la société Trabet d'avoir manqué à ses obligations contractuelles, en ayant failli à son devoir de conseil et à son obligation de réaliser les travaux commandés selon les règles de l'art, en ayant proposé et fait usage d'un matériau, le M40, qui s'est avéré être plus fissurogène que le matériau qui avait été initialement demandé par la société APRR ; qu'il résulte de l'instruction, que le matériau practiplast M 40 avait fait l'objet d'avis techniques agrémentés et de contrôles qualité concluants lorsque la société Trabet l'a proposé à la société APRR ; que s'il ne saurait dès lors être reproché à la société Trabet d'avoir manqué à son devoir de conseil, toutefois, les circonstances que l'utilisation de ce matériau avait été acceptée par le maître de l'ouvrage, sur sa proposition, et qu'elle n'avait pas connaissance des défauts de ce matériau à la date des travaux, ne sont pas de nature à l'exonérer entièrement de son obligation de remédier aux désordres imputables à l'insuffisante qualité du matériau, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la double qualité de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre de la société APRR, la société Trabet doit être déclarée responsable de 50 % des désordres imputables à l'usage du matériau practiplast M 40 lequel n'a contribué à la formation que des fissures transversales, à l'exclusion des fissures longitudinales ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal, rendu le 9 mars 2012, que l'usage du matériau M 40 n'est responsable que de 30 à 50 % des fissures transversales apparues ; qu'il y a lieu de fixer à 40 % l'usage du matériau M 40 dans la survenance des fissures transversales ; que le reste des fissures transversales est dû à l'état de la chaussée existante qui présentait, compte tenu de l'entretien qui en avait alors jusque là été fait par la société APRR, une disparité de fragmentation et dont certains joints sont remontés ; que, s'agissant des fissures longitudinales, aucun manquement contractuel n'est invoqué à l'encontre de la société Trabet ; qu'ainsi, la société Trabet doit être déclarée responsable, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, pour les seules fissures transversales, de 20 % des désordres qui sont apparus ;

En ce qui concerne le préjudice subi par la société APRR :

6. Considérant que la société APRR demande la condamnation de la société Trabet à l'indemniser du préjudice lié à l'anticipation qu'elle a dû faire des travaux de réfection de la chaussée et des frais qu'elle a dû engager auprès du centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics (CEBTP) et de la société SNEL à la suite de l'apparition des fissures ;

7. Considérant que l'expert désigné par le tribunal administratif a chiffré à 2 018 294 euros HT le coût de travaux nécessaires pour reprendre, sur l'ensemble de la zone traitée par la société Trabet, la couche de roulement, affectée par les fissures transversales ; qu'il résulte de l'instruction que sur les 57,80 kilomètres de voies sur lesquelles la société Trabet est intervenue, seulement 32,80 kilomètres présentaient un taux de fissures transversales anormalement élevé par rapport au taux moyen observable sur des chaussées de même ancienneté ; que le coût des travaux nécessaires à la réfection de la couche de roulement dans la section de route affectée par ces fissurations ont été de 1 145 329,47 euros ; qu'il convient, pour calculer, à partir de ces données, le préjudice indemnisable de la société APRR, non pas, comme l'a fait l'expert à la demande de la société APRR, de déterminer le coût financier que représenterait l'anticipation, à partir de 2010 et 2011, années aux cours desquelles elle allègue, sans toutefois l'établir, avoir dû exécuter des travaux de reprise de ces voies, alors qu'elle indique qu'elle n'avait prévu de les réaliser qu'au bout de douze ans, mais de déterminer le coût de l'ensemble des travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché, en appliquant un taux de vétusté ; que la durée normale de réfection des voies de 12 ans avancée par la société APRR ne repose sur aucune statistique ou recommandation officielle, mais résulte seulement d'une note interne de la société APRR, postérieure aux travaux, alors que la société Trabet fait valoir, sans être utilement contredite, que le guide technique Sétrat-LCPC fait état de la nécessité de réaliser des travaux d'entretien de la couche de roulement avant 10 ans ; que les fissures étant intervenues au cours de l'année 2005, il y a lieu d'appliquer un abattement de vétusté de 35 % ; que le montant du préjudice de la société APRR s'élève donc, sur ce chef de préjudice à 148 893 euros HT ;

8. Considérant que si la société APRR a dû diligenter la société SNEL afin que celle-ci réalise, en urgence, des travaux de pontage pour remédier à l'apparition des fissures longitudinales, il résulte du rapport d'expertise que les fissures longitudinales trouvent exclusivement leur origine dans la façon dont a été conçue par la société APRR, sans traitement particulier, la liaison de la couche de grave bitume anti-ornierante avec la partie non décaissée de la chaussée ; que, par suite, le préjudice allégué, sans lien avec l'usage du liant practiplast M 40, ne saurait être indemnisé sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ;

9. Considérant que la société APRR a dû faire intervenir, à la suite de l'apparition des fissures, le CEBTP pour réaliser des prélèvements et des essais afin de déterminer les causes des désordres et trouver les solutions pour y remédier ; que ce préjudice présente un caractère réel et certain ; que la société APRR a produit dans le cadre de l'expertise une facture d'un montant de 46 925 euros HT ; que les études ainsi réalisées par le CEBTP ayant eu pour objectif à la fois de rechercher les causes des fissures longitudinales et transversales, la société Trabet étant responsable, seulement pour les fissures transversales, de 20 % des désordres apparus, il convient de condamner la société Trabet à indemniser la société APRR de ce préjudice à hauteur de 4 692 euros HT ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, par suite, de condamner la société Trabet à verser à la société APRR la somme de 153 585 euros HT sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ; que les sociétés d'autoroute étant assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée depuis le 30 décembre 2000, il n'y a pas lieu de majorer le montant de cette indemnité de la taxe sur la valeur ajoutée ;

Sur la garantie décennale :

11. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ; qu'il appartient à la partie qui invoque un préjudice d'établir la réalité de ce préjudice ainsi que le lien direct de causalité qui le relie au fait générateur ;

12. Considérant que si les désordres résultant de l'apparition de fissures longitudinales ont contraint la société APRR à faire réaliser en urgence des travaux de pontage, ce qui permet de présumer que ces désordres pouvaient avoir un impact sur la solidité de l'ouvrage ou le rendre impropre à sa destination, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été précédemment indiqué, que ces désordres sont exclusivement imputables à la conception des travaux, laquelle relevait de la responsabilité de la société APRR qui avait la double qualité de maitre d'ouvrage et de maître d'oeuvre ; que s'agissant de l'apparition des fissures transversales, il ne résulte pas de l'instruction que ces désordres auraient contraint le maitre de l'ouvrage à modifier les conditions d'utilisation de l'autoroute, en y limitant la circulation, la vitesse ou en mettant en place une signalisation supplémentaire ; qu'il ne résulte pas plus de l'instruction que ces désordres entraineraient des risques pour les usagers de l'autoroute qui seraient de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ; que si la société APRR a fait valoir qu'elle avait dû réaliser des travaux de façon anticipée, l'expert a relevé que les travaux d'entretien réalisés en 2010 et 2011 n'ont fait l'objet en cours d'expertise d'aucune présentation ou discussion ; qu'il ne résulte ni du rapport de l'expert ni des autres pièces produites au cours de l'instruction que les désordres en cause auraient contraint le gestionnaire de la route à des réparations prématurées ou ayant excédé l'entretien normal de l'ouvrage ; qu'ainsi il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qui a été déposé en mars 2012, quelques mois avant l'expiration du délai d'épreuve de dix ans, qui correspond également approximativement à la durée de vie de la couche de roulement, que l'ouvrage avait été rendu impropre à sa destination ou que les fissures avaient eu un impact sur sa solidité ; que, par suite, la demande présentée par la société APRR sur le fondement de la garantie décennale doit être écartée ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 153 585 euros HT le montant de l'indemnité due par la société Trabet à la société APRR et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Dijon ;

Sur la demande d'indemnisation pour procédure abusive dirigée contre la société APRR :

14. Considérant que la demande présentée devant le tribunal administratif par la société APRR tendant à ce que l'entreprise Trabet l'indemnise des désordres constatés sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale ne présentait aucun caractère abusif ; que les conclusions susvisées de la société Trabet ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;

Sur les dépens de première instance :

15. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : "Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties " ;

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu tant de l'étendue de la mission de l'expert que de la part de responsabilité de chaque partie sur la totalité des préjudices, de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, et taxés et liquidés à la somme de 30 741,14 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à hauteur de 27 667,03 euros et de la société Trabet à hauteur de 3 074,11 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

18. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre quelle que somme que ce soit à la charge de l'une des parties sur le fondement de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La somme de 148 462,50 euros que la société Trabet a été condamnée à verser à la société des autoroutes Paris Rhin-Rhône est portée à 153 585 euros.

Article 2 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône à hauteur de 27 667,03 euros et de la société Trabet à hauteur de 3 074,11 euros.

Article 3 : Le jugement n° 0701705 du tribunal administratif de Dijon du 7 février 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Trabet et le surplus des conclusions de la société APRR présentées par la voie de l'appel incident sont rejetés.

Article 5: Le présent arrêt sera notifié à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et à la société Trabet.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2016 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Mear, président-assesseur,

Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 janvier 2016.

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N° 15LY02040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY02040
Date de la décision : 26/01/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : RUHLMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-01-26;15ly02040 ?
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