Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B...A..., faisant état de l'accident médical dont a été victime leur filsC..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser, à titre de provision, la somme de 1 478 700 euros au titre du préjudice de leur fils et 18 000 euros à chacun d'eux au titre de leur préjudice propre.
Par une ordonnance n° 1404457 du 20 janvier 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a condamné l'ONIAM à verser à M. et Mme B...A...une indemnité provisionnelle de 325 240 euros en réparation du préjudice subi par leur fils mineur C...à raison d'un accident médical dont il a été victime à la suite d'une intervention chirurgicale aux Hospices civils de Lyon (HCL) en juin 2005, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 février 2015, l'ONIAM demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 20 janvier 2015 en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, aux articles 1er et 2ème de l'ordonnance, l'a condamné à verser à M. et Mme B...A...une indemnité provisionnelle de 325 240 euros en réparation du préjudice subi par leur fils mineur C...et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) de rejeter la provision demandée et, à tout le moins, de réduire l'indemnité provisionnelle à la somme de 42 376 euros.
Il soutient que :
- l'existence d'une obligation de réparer dans leur intégralité les préjudices subis par l'enfant est sérieusement contestable dès lors que seul le pneumothorax constitue un accident médical non fautif remplissant les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale, que le rôle de cet accident médical n'a été retenu qu'à hauteur de 25 % par les experts, que l'allocation provisionnelle est justifiée sur ce seul point, qu'une indemnité provisionnelle a été d'ailleurs versée à hauteur de 42 376 euros dans le cadre de la procédure de règlement amiable, que le bas débit est lié aux antécédents de l'enfant et est à l'origine des dommages subis par l'enfant à hauteur de 75 %, que pour cette dernière part l'existence de conséquences anormales au regard de la pathologie initiale et de son évolution prévisible ne peut être retenue ;
- pour le moins, la demande de provision sera réduite à proportion de ce que seul le pneumothorax a été regardé comme un accident médical à hauteur de 25 %, déduction de l'indemnité provisionnelle de 42 376 euros déjà versée ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2015, M. et Mme A... concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ONIAM d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- l'obligation de payer n'est pas sérieusement contestable dès lors que l'accident médical dont a été victime le jeune C...est survenu après le 5 septembre 2001, que l'état de l'enfant emporte une incapacité permanente de plus de 90 %, qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre des professionnels de santé, qu'il existe des conséquences anormales au regard de l'état de santé antérieur de l'enfant et de son évolution prévisible compte tenu de ce que l'un des deux évènements, le pneumothorax, à l'origine des dommages à hauteur de 25 % est de manière certaine un accident médical non fautif devant donner lieu pour cette part à indemnisation, de ce que l'évolution prévisible de sa pathologie ne saurait expliquer ces préjudices, de ce que le second évènement à l'origine des dommages, le bas débit cardiaque, a pour origine l'interaction de plusieurs facteurs dont non seulement l'évolution prévisible de son état de santé mais également le pneumothorax, et qu'il n'était pas ainsi une conséquence prévisible de sa maladie ;
- concernant le montant de l'allocation provisionnelle, la provision déjà versée au titre de la transaction a été prise en compte par le juge des référés du Tribunal et le montant alloué n'est pas excessif au regard de l'importance du préjudice, ce montant prenant en compte la limitation à hauteur de 25 % des préjudices et la provision déjà versée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Balestas, avocat de M. et MmeA....
1. Considérant que l'enfant C...A..., né le 17 septembre 2004, qui était atteint d'une malformation cardiaque consistant en une tétralogie de Fallot, a été hospitalisé le 6 juin 2005 au centre hospitalier universitaire de Lyon afin de bénéficier d'une intervention chirurgicale en vue de remédier à cette malformation ; que cette intervention s'est déroulée le 7 juin au matin ; qu'aucune complication n'ayant été relevée, C...est sorti du bloc opératoire à 11 heures 45 et a rejoint l'unité de réanimation pédiatrique ; qu'une radiographie pulmonaire a été réalisée en début d'après-midi montrant l'absence de pneumothorax, les autres paramètres contrôlés de l'enfant qui était resté sous une surveillance monitorisée cardio-respiratoire entre 11 heures et 18 heures se révélant normaux ; que, devant l'évolution favorable de l'enfant, il a été procédé à l'extubation à 18 heures 15, laquelle a été parfaitement tolérée par l'enfant ; que le lendemain, 8 juin 2005, l'état de santé de l'enfant s'est détérioré gravement ; qu'il a présenté un pneumothorax gauche et un bas débit cardiaque, suivis de complications neurologiques consistant en une encéphalopathie hypoxo-ischémique irréversible entraînant une tétraplégie et une cécité corticale ; qu'à la demande de M. et MmeA..., le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a ordonné le 28 novembre 2006 une expertise ; que le docteur Bovier-Lapierre a rendu son rapport le 21 mars 2008 ; que les consorts A...ont ensuite présenté une demande d'indemnisation à la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) Rhône-Alpes ; que cette commission a ordonné une nouvelle expertise en désignant un collège d'experts composé des docteurs Mselati et Goudot ; que ces experts ont déposé leur rapport le 8 novembre 2010 ; qu'au vu notamment de ce document, la CRCI a émis un avis le 11 janvier 2011 par lequel elle estimait que le dommage subi par l'enfant satisfaisait aux conditions d'indemnisation par la solidarité nationale prévue au II. de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et demandait à l'ONIAM d'indemniser ces préjudices et de présenter une offre aux représentants légaux de l'enfant ; qu'un protocole d'indemnisation transactionnelle provisionnelle a été conclu le 5 juillet 2011 entre l'ONIAM et les consortsA..., portant uniquement sur l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de l'enfant et des souffrances endurées par celui-ci, à hauteur d'un montant total de 42 376 euros ; que M. et Mme B...A...ont ensuite demandé, le 18 juillet 2014 , au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de condamner l'ONIAM à leur verser, à titre de provision, la somme de 1 478 700 euros au titre des préjudices de leur fils et 18 000 euros à chacun d'eux au titre de leur préjudice propre ; que l'ONIAM relève appel de l'ordonnance du 20 janvier 2015 du juge des référés en tant que, par ses articles 1er et 2ème, il l'a condamné à verser à M. et Mme B...A...une indemnité provisionnelle de 325 240 euros en réparation du préjudice subi par leur fils mineur C...et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ;
3. Considérant que, d'autre part, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret (...) apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret " ; qu'aux termes de l'article L. 1142-22 du même code, l'ONIAM " est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1 (..) des dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique ;
5. Considérant que la condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu'ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage ;
6. Considérant que l'ONIAM ne conteste en appel ni l'absence de faute médicale dans la prise en charge de l'enfant, l'intervention chirurgicale du 7 juin ayant été nécessaire pour remédier au grave danger qu'il courrait du fait de sa pathologie cardiaque, ni le caractère d'accident médical non fautif remplissant les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale, les deux expertises ayant à ce sujet relevé que les dommages ainsi survenus dans la période post-opératoire constituaient des complications imprévisibles et inattendues, qui sont rares dans ce type de chirurgie et dans les soins ainsi prodigués ; que l'ONIAM fait cependant valoir en appel que le rôle de cet accident médical n'a été retenu qu'à hauteur de 25 % par les experts désignés par la CRCI et que le bas débit cardiaque, qui a contribué à hauteur de 75 % des dommages selon ces experts, est imputable à l'état antérieur de l'enfant et ne saurait ouvrir droit à indemnisation par la solidarité nationale ni, par suite, revêtir le caractère d'une obligation non sérieusement contestable pour l'ONIAM ;
7. Considérant qu'il résulte toutefois de l'instruction et notamment des deux rapports des expertises que le dommage subi par l'enfant C...résulte de la conjonction du bas débit cardiaque dû à la cardiopathie opérée, et donc à l'état antérieur de l'enfant, et du pneumothorax compressif dont cet enfant a été victime et qui a constitué, selon ces différents experts ainsi d'ailleurs que le reconnaît l'ONIAM, un accident médical non fautif associé aux soins qui lui ont été prodigués ; que c'est " l'association " ou " l'interaction " de ces deux facteurs qui a provoqué les dommages dont souffre ainsi cet enfant ; que ces experts ont en outre précisé que l'accident survenu dans la période post-opératoire a été la conséquence de cette cascade de complications imprévisibles, qui sont rares dans ce type de chirurgie, et que rien ne pouvait laisser présager ; que, dès lors que les conséquences dommageables de l'intervention sont imputables directement à l'accident médical du pneumothorax et qu'elles remplissent les conditions d'anormalité et de gravité ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, le droit à réparation en découlant ne saurait être limité à une fraction seulement du dommage en raison de l'état initial du patient ; qu'enfin, le juge des référés a pris en compte l'indemnité provisionnelle proposée par l'ONIAM et acceptée par les consorts A...pour indemniser le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances endurées par C...en regardant l'existence d'une créance relative à ces chefs de préjudice comme étant de ce fait contestable ; que, par suite, l'existence de l'obligation de l'ONIAM de réparer la totalité des conséquences dommageables pour cet enfant de l'accident post-opératoire dont il a été victime, à l'exception des préjudices déjà indemnisés par l'accord transactionnel, présente en l'état de l'instruction un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ; qu'enfin, et compte tenu de ce qui a été dit précédemment, le montant de la provision à allouer ne saurait, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, être limité à 25 % de la somme totale correspondant à la réclamation ; que l'indemnité allouée par le juge des référés, qui a pris en compte la transaction conclue entre les parties, ne saurait être regardée comme excessive ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble l'a condamné, par l'ordonnance attaquée, à verser à M. et Mme A... une provision de 325 240 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM le paiement à M. et Mme A...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : L'ONIAM versera à M. et Mme A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à M. et Mme B...A....
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2015 à laquelle siégeaient :
M. Faessel, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2015.
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N° 15LY00378