Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de la décision du 16 mars 2012 par laquelle le ministre chargé du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 25 octobre 2011 refusant à la société Thalès Avionics l'autorisation de le licencier et a autorisé cette société à procéder à son licenciement.
Par un jugement n° 1202707 du 8 novembre 2013, le tribunal a annulé la décision du ministre chargé du travail et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2014, la société Thalès Avionics demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 novembre 2013 annulant la décision du 16 mars 2012 du ministre chargé du travail ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les documents découverts n'étaient pas identifiés comme personnels, étaient présumés professionnels et ne relevaient pas de la vie privée de M. A...;
- le contenu de la photothèque, et non seulement une seule image comme l'a indiqué le tribunal, ainsi que le fichier univers_parallèle2.doc révèlent leur caractère pédopornographique et zoophile et en tout cas pornographique, tant par les images que par leur écrit ;
- le salarié a manqué à ses obligations découlant de son contrat de travail et n'a pas respecté le règlement intérieur et la charte du groupe tant en ce qui concerne les connexions internet que les fichiers figurant sur son ordinateur professionnel au regard de la nature de ces informations et sites ainsi que de la réalisation de ces documents pendant son temps de travail, et a créé un trouble objectif pour l'entreprise en faisant ainsi un usage abusif et frauduleux de son matériel informatique ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2014, M. B...A...conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Thalès d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'enquête menée par le ministre dans le cadre de l'examen du recours hiérarchique a méconnu le principe du contradictoire dès lors qu'il a été auditionné en présence de son employeur et qu'il n'a pu s'exprimer librement ;
- la société a obtenu des éléments de preuve de manière illicite ;
- il n'a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles et n'a pas commis de faits susceptibles de porter atteinte au crédit ou à la réputation de l'employeur ;
- le ministre a commis une erreur de fait en estimant que la fréquence, l'ampleur et la régularité des connexions sur les sites internet à caractère érotique par le salarié démontrent une utilisation abusive à des fins non professionnelles et alors qu'à tout le moins, eu égard à son ancienneté et l'absence de passé disciplinaire, ce grief ne saurait justifier son licenciement ;
- le document photothèque n'est pas à caractère pédopornographique et zoophile ;
- le document " univers_parrallèle " est un roman érotique purement privé dont la détention et la production n'est pas répréhensible, ces écrits ne sont pas prohibés ni pénalement sanctionnés, n'ont pas été diffusés, n'ont pas portée atteinte à l'image de la société, et la photographie ne concerne pas une mineure et n'est pas pornographique ;
- les faits reprochés ne sont pas liés à l'exécution de son contrat de travail et ne pouvait faire l'objet d'un licenciement disciplinaire ;
- les faits ne peuvent enfin être qualifiés de suffisamment graves pour justifier un licenciement.
Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2014, la société Thalès Avionics conclut aux mêmes fins que précédemment.
Elle soutient en outre que la procédure suivie par le ministre n'est pas entachée d'irrégularité ;
Par une ordonnance en date du 21 juillet 2014, la clôture d'instruction a été fixée au 20 août 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté pour M. A...a été enregistré le 16 septembre 2015 postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Doumith, avocat de la société Thales Avionics.
1. Considérant que la société Thales Avionics, qui a pour activité la fabrication d'équipements d'aide à la navigation, a, le 1er février 1986, embauché M.A... ; que celui-ci a été chargé à compter du 1er juillet 2004 des fonctions de gestionnaire au sein du service relations clients de la direction des systèmes d'information de la société ; qu'il a assumé les mandats de délégué du personnel titulaire, de membre suppléant du comité d'établissement et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail depuis le 5 juin 2009 ; que, par une lettre du 29 septembre 2011, reçue le 30 septembre 2011, la société Thales Avionics a demandé à l'inspecteur du travail de l'autoriser à licencier ce salarié pour faute, au motif de violations du règlement intérieur de l'entreprise, de la charte informatique et des règles internes de bonne conduite de la société ; que par une décision du 25 octobre 2011, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licenciement sollicitée ; que, le 17 novembre 2011, la société Thalès Avionics a formé un recours hiérarchique contre cette décision ; que le 16 mars 2012, le ministre chargé du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de licenciement de M.A... en estimant que les faits étaient matériellement établis, que les moyens de preuve utilisés par l'employeur étaient licites, que les griefs reprochés étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement et qu'il n'existait aucun lien avec les mandats du salarié ; que par un jugement du 8 novembre 2013, le tribunal administratif de Grenoble, saisi par M.A..., a annulé cette décision du ministre chargé du travail et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que la société Thalès Avionics relève appel de ce jugement ;
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l'appartenance syndicale des intéressés ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
3. Considérant, d'autre part, que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; qu'ainsi, si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s'ils s'avèrent relever de sa vie privée ; que par ailleurs, si l'employeur peut reprocher au salarié un manquement à ses obligations contractuelles en raison d'un usage abusif de l'outil informatique à des fins privées, ou encore en raison du contenu de documents établis à partir de ce matériel et susceptibles de nuire aux intérêts de l'entreprise, il ne peut en revanche reprocher au salarié un fait de vie personnelle qui, comme tel, ne peut être regardé ni comme un manquement à ses obligations contractuelles ni, par conséquent, comme une faute disciplinaire ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que M. A...avait le statut de cadre autonome travaillant sous le régime du forfait et disposait à ce titre d'une complète liberté d'organisation, qu'il travaillait seul dans un bureau situé à Valence et disposait d'un ordinateur portable mis à sa disposition par son employeur de façon permanente, y compris durant les périodes de congés, payés ou de maladie, et les fins de semaine ; que cet appareil n'était accessible qu'à l'intéressé à partir de ses identifiant et code personnel, et au " responsable sécurité " du service informatique par un code administrateur spécifique ; qu'alors que M. A...était en arrêt maladie, l'une de ses collègues, qui recherchait un document professionnel, a aperçu, placé sur le bureau de l'intéressé au vu de chacun, un dossier papier intitulé " Photothèque " et qui contenait des photographies et des écrits qui lui ont paru choquants ; qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du constat d'huissier établi le 12 septembre 2011 que l'ordinateur mis à la disposition de M. A...avait été utilisé pour produire ce document papier ; que l'employeur, estimant que les fichiers temporaires figurant sur ledit ordinateur n'avaient pas été identifiés par le salarié comme revêtant un caractère personnel et qu'ils pouvaient de ce fait être présumés avoir un caractère professionnel, a ouvert lesdits fichiers temporaires pour constater que ces moyens informatiques avaient été utilisés pendant les heures de présence de M. A... au bureau pour établir le document Photothèque ; qu'il ressort cependant des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la société requérante et à ce qu'a indiqué le ministre dans la décision litigieuse, ni les photographies figurant dans ce document, alors qu'une seule de celles-ci revêt un caractère pornographique, ni les mentions écrites qui y sont portées, ne permettent de le regarder comme étant de nature pédopornographique ou zoophile et comme revêtant alors un caractère délictueux susceptible de porter atteinte à la réputation de la société ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait un risque de diffusion de ce document de nature à porter atteinte à la réputation de l'entreprise ; qu'il ne peut être tenu comme établi, et n'est d'ailleurs pas mentionné dans la décision litigieuse, que le temps consacré à la création de ce document, alors même qu'il a été confectionné par le salarié à l'aide d'un matériel appartenant à l'entreprise, l'aurait été au préjudice de son activité professionnelle ; que, par suite, la décision litigieuse du ministre, qui a cru pouvoir retenir que M. A...avait commis une faute de nature à justifier son licenciement en élaborant, au moyen d'un matériel de l'entreprise, un document de contenu pédopornographique et zoophile susceptible de porter atteinte à la réputation de celle-ci, est fondée sur des circonstances matériellement inexactes ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort également des pièces du dossier et notamment du constat d'huissier établi le 12 septembre 2011 que le disque dur de l'ordinateur de M. A...contenait un fichier intitulé " univers_parallèle2.doc " ; que ce fichier, du fait de son enregistrement sur l'ordinateur professionnel de M.A..., pouvait être présumé avoir un caractère professionnel ; qu'il ne figurait pas d'ailleurs dans le dossier personnel du salarié dénommé " perso " et n'avait pas été identifié comme personnel ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme le prétend M.A..., ce fichier aurait, à la suite de la " fouille " de son ordinateur le 6 septembre 2011 par le responsable de la sécurité informatique et le responsable du site, été déplacé hors du " dossier perso " par son employeur de façon à pouvoir justifier qu'il soit ouvert sans sa présence ; qu'en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de l'extrait qui en est produit, que ce document rédigé par M. A... contenait des photographies de nature délictueuses pouvant être qualifiées de pédopornographiques ou de zoophiles ; que les seuls écrits de l'intéressé, quand bien même ils auraient été réalisés au moyen d'un matériel informatique de l'entreprise, ont été effectués à des fins purement personnelles sans qu'ils aient été diffusés par l'intéressé ou qu'ils aient été accessibles ; qu'ils n'étaient ainsi pas susceptibles de porter atteinte à la réputation de la société ; que ces écrits ne sauraient ainsi par eux-mêmes caractériser un manquement de l'intéressé à ses obligations professionnelles ; que dès lors, et contrairement à ce qu'a estimé le ministre, la confection et la conservation de ce document ne sauraient être regardées comme caractérisant une faute de nature à justifier le licenciement de M.A... ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du relevé des connexions internet produit par la société que, comme l'indique le ministre dans la décision litigieuse, M. A...s'est connecté sur plusieurs sites électroniques à caractère érotique à partir de son ordinateur professionnel, et alors qu'il était présent dans les locaux de la société ; que ces connexions, effectuées à partir d'un matériel mis à disposition par son employeur revêtent, contrairement à ce que soutient l'intimé, un caractère professionnel ; qu'en se connectant ainsi à ces sites avec une adresse IP identifiant l'entreprise, quand bien même ces connexions ne revêtaient pas un caractère délictueux ni un caractère pornographique, la décision litigieuse n'ayant d'ailleurs pas porté une telle qualification, M. A... a méconnu la charte définissant l'utilisation de l'outil informatique et le règlement intérieur, et a eu un comportement de nature à nuire à l'image de la société ; que toutefois, M.A..., qui gérait librement son temps de travail, qu'il accomplissait en partie à son domicile à l'aide du même ordinateur, a toujours déclaré sans être sérieusement contredit par la société qu'il pratiquait une amplitude horaire de travail importante et compensait par une prolongation de sa durée de travail le temps qu'il passait à la consultation de ces sites ; que son employeur n'a jamais remis en cause la qualité de son travail ni le fait qu'il consacrait un temps suffisant à l'accomplissement de ses obligations professionnelles ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, ainsi que de l'ancienneté importante dans l'entreprise de M. A..., lequel n'avait jusque là fait l'objet d'aucun reproche, les manquements relevés, pour fautifs qu'ils soient, ne présentaient pas une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé ;
7. Considérant que si la société Thalès Avionics demande qu'aux motifs erronés de la décision attaquée soit substitué un motif tiré de ce que M. A...a commis une faute en raison de la présence sur son ordinateur professionnel d'un fichier " site2.xls " qui recenserait des sites internet de caractère pornographique, il n'y a pas lieu de procéder à une telle substitution de motifs qui ne peut être demandée au juge de l'excès de pouvoir que par l'administration auteur de la décision attaquée, laquelle s'est abstenue de produire à l'instance ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Thalès Avionics n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige ;
9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Thalès Avionics, ensemble les conclusions présentées par M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Thalès Avionics, à M. B...A...et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2015 à laquelle siégeaient :
M. Faessel, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2015.
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N° 14LY00059