Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association " Les amis du patrimoine tonnerrois ", l'association " Les amis de Viviers " et Mme D...C..., notamment, ont demandé au tribunal administratif de Dijon l'annulation de deux arrêtés en date du 5 septembre 2011 par lesquels le préfet de l'Yonne a accordé à la société Eole Res deux permis de construire six éoliennes et une structure de livraison sur le territoire de la commune de Collan, et quatre éoliennes et deux structures de livraison sur le territoire de la commune de Serrigny, ensemble les décisions de rejet de leur recours gracieux contre ces arrêtés.
Par un jugement n° 1200510 du 26 septembre 2013 le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 28 novembre 2013 et les 15 avril, 9 juillet et 8 août 2014, l'association " Les amis du patrimoine tonnerrois ", l'association " Les amis de Viviers " et Mme C...demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 26 septembre 2013 en tant qu'il a rejeté leur demande ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du préfet de l'Yonne du 5 septembre 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Eole Res le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens ;
Elles soutiennent que :
- leur mémoire complémentaire, produit le 15 avril 2014, a été présenté dans le délai imparti ;
- les associations ont été déclarées avant le dépôt des demandes de permis de construire ;
- elles ont intérêt à agir, comme Mme C...;
- le jugement contesté n'est pas suffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré de l'insuffisance de l'étude chiroptérologique ;
- l'exigence de consultation des communes limitrophes prévue par le XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 trouvait à s'appliquer ;
- en violation de l'article R. 122-3 du code de l'environnement, l'étude d'impact est insuffisante sur de nombreux points, notamment s'agissant des chiroptères, des études acoustique ou hydrogéologique ;
- l'article R. 431-7 du code de l'urbanisme a été méconnu, les photomontages ne rendant pas compte de la réalité ;
- les communes limitrophes devaient être consultées en application du XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 ;
- l'accord du ministre de la défense comme celui du maire des communes d'implantation n'ont pas été joints au dossier soumis à l'enquête publique ;
- la commission d'enquête, bien qu'ayant analysé les observations du public, n'a, en méconnaissance de l'article R. 123-22 du code de l'environnement, énoncé aucun avis lui étant propre, notamment du point de vue de la préservation de l'environnement ;
- il y a violation des articles L. 110-1 du code de l'environnement et R. 111-15 du code de l'urbanisme du fait, en particulier, des risques d'atteintes aux chiroptères résultant de la proximité des boisements.
Par un mémoire enregistré le 2 juillet 2014, le ministre du logement et de l'égalité des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- faute d'avoir produit le mémoire ampliatif dans le délai prescrit, la requête est irrecevable ;
- ni les associations requérantes ni Mme C...n'ont intérêt à agir ;
- le jugement est suffisamment motivé ;
- l'étude d'impact répond aux exigences des articles L. 553-2 et R. 122-3 du code de l'environnement ;
- le contenu des demandes de permis de construire est suffisant ;
- les dispositions du XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 étaient inapplicables ;
- aucun texte n'impose de soumettre à enquête publique les avis des maires des communes concernées ;
- la commission d'enquête a rendu un avis circonstancié au vu de ses réponses aux observations ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme est infondé.
Par des mémoires enregistrés les 9 juillet et 5 août 2014, la société Eole Res conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les requérants sont dépourvus d'intérêt à agir ;
- les modifications des statuts intervenues postérieurement à l'affichage en mairie des récépissés de demande de permis de construire sont demeurées sans incidence ;
- le tribunal a suffisamment motivé son jugement ;
- les études chiroptérologique, acoustique et hydrologique sont suffisantes ;
- les dossiers de permis sont complets, l'impact visuel des machines n'étant pas minimisé ;
- le moyen tiré de la méconnaissance du XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 est inopérant ;
- le dossier d'enquête publique est complet ;
- l'absence des avis de l'armée de l'air et des maires de Collan et de Serrigny est, en l'espèce, sans effet ;
- l'avis de la commission d'enquête est suffisant et complet ;
- les permis contestés ne sont entachés d'aucune erreur d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- vu le code de l'environnement ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président-assesseur,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant " Les amis du patrimoine tonnerrois ", l'association " Les amis de Viviers " et Mme C..., et de Me A...représentant la Selarl CGR Legal, avocat de la société Eole Res.
Une note en délibéré présentée pour la société Eole Res a été enregistrée le 28 septembre 2015.
1. Considérant que l'association " Les amis du patrimoine tonnerrois ", l'association " Les amis de Viviers " et Mme C...relèvent appel d'un jugement du tribunal administratif de Dijon du 26 septembre 2013 qui a rejeté leur demande d'annulation de deux arrêtés en date du 5 septembre 2011 par lesquels le préfet de l'Yonne a accordé à la société Eole Res deux permis de construire dix éoliennes d'une hauteur de 150 mètres en bout de pâle et trois structures de livraison, sur le territoire des communes de Collan et de Serrigny, ainsi que les décisions de rejet de leur recours gracieux contre ces arrêtés ;
Sur le désistement d'office :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 612-5 du code de justice administrative : " Devant (...) les cours administratives d'appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n'a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l'envoi (...) il est réputé s'être désisté " ;
3. Considérant que les requérants, dont la requête sommaire a été enregistrée au greffe de la cour le 28 novembre 2013, ont produit le mémoire complémentaire dont ils avaient annoncé l'envoi le 15 avril 2014, soit avant l'expiration du délai d'un mois que la cour, par une mise en demeure datée du 7 mars 2014, mais adressée à leur conseil le 17 mars suivant, leur avait imparti pour procéder à une telle production ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, il ne saurait donc être donné acte du désistement d'office prévu par les dispositions précitées ;
Sur les fins de non-recevoir opposées devant le tribunal administratif :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme : " Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire " ; qu'il en résulte que, pour apprécier l'intérêt à agir des associations " Les amis du patrimoine tonnerrois " et " Les amis de Viviers ", ne peuvent être pris en compte que leurs statuts tels qu'ils ont été déposés en préfecture antérieurement à l'affichage dans les mairies de Serrigny et de Collan, le 15 juillet 2010, des récépissés de dépôt des demandes de permis de construire présentées par la société Eole Res, à l'exclusion des modifications apportées à ces statuts en 2012 ;
5. Considérant que l'article 2 des statuts de l'association " Les Amis du Patrimoine Tonnerrois " lui assigne " pour but de valoriser le patrimoine local bâti et paysager à caractère public ou privé, en particulier le patrimoine architectural, jardinier, viticole et agricole, de promouvoir le savoir-faire, le savoir-vivre et les traditions du terroir, d'oeuvrer, par toute possibilité légale, et à la hauteur des moyens de l'association, à la sauvegarde, à la préservation et à l'inventaire de ce patrimoine culturel et environnemental, en coopération avec les pouvoirs publics et les entreprises privées, de mettre en place, de conduire ou de soutenir des chantiers visant à la réalisation de ces objectifs, de réaliser tout projet susceptible d'obtenir des aides et/ou des subventions publiques ou privées permettant d'atteindre ces objectifs ", ajoutant que " par cet objet, l'association participe pleinement à la vie de la collectivité locale et territoriale dans un but d'intérêt général " et qu'elle " participe aux actions et aux activités professionnelles ou en voie de professionnalisation dans un champ d'intervention artistique, culturel, éducatif, sportif ou social " ; que l'article 3 de ces statuts précise que " le domaine principal d'activité de l'association (...) est culturel " ; que si cette association, qui a son siège social à Tonnerre et dont l'objet statutaire ne peut qu'être regardé comme intéressant la défense du patrimoine de la commune de Tonnerre, rien dans ses statuts ne permettant d'affirmer que son ressort géographique couvrirait, au-delà du territoire communal, l'ensemble du " pays du Tonnerrois ", il ressort des pièces du dossier que les éoliennes projetées seront directement visibles depuis plusieurs fermes ou lieux-dits sur le territoire de la commune de Tonnerre ; que, du fait des atteintes susceptibles d'être ainsi portées au patrimoine bâti ou paysager de la ville de Tonnerre et de son territoire rural, qu'elle a vocation à défendre, l'association " Les Amis du Patrimoine Tonnerrois " justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester les permis en litige ;
6. Considérant que l'article 2 des statuts de l'association " Les amis de Viviers " indique qu'elle a notamment pour objet de " protéger l'environnement et le patrimoine de Viviers ", " préserver les espaces naturels et les paysages de Viviers ", " défendre l'identité culturelle des paysages " et " prévenir la dégradation des ressources naturelles " ; que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, le champ d'action de cette association n'est pas limité aux seules conséquences de projets envisagés sur le territoire de la commune de Viviers mais s'étend également aux atteintes portées aux espaces naturels ou paysages visibles depuis cette commune, même s'ils sont situés en dehors de son territoire ou résultent de mesures d'urbanisme ; qu'il apparaît que le projet d'éoliennes contesté, visible depuis différents secteurs de la commune, est de nature à affecter les paysages de Viviers, que l'association " Les amis de Viviers " s'est donné pour mission de défendre ; que, dans ces conditions, cette association justifie également d'un intérêt à demander l'annulation des autorisations contestées ;
7. Considérant que MmeC..., qui est propriétaire sur le territoire de la commune de Viviers d'une maison et de parcelles d'où sont visibles plusieurs des éoliennes en litige, et plus spécialement les machines n° 1 à n° 5, a au moins intérêt à demander l'annulation des permis de construire correspondants ;
8. Considérant qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent la société Eole Res et le ministre du logement et de l'égalité des territoires, même si Mme C... ne paraît pas directement affectée par l'ensemble du projet litigieux, la demande présentée devant le tribunal administratif était recevable ;
Sur la légalité des décisions en litige :
9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 123-22 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête entend toute personne qu'il lui paraît utile de consulter ainsi que le maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies. Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l'opération. " ; qu'il résulte de ces dispositions que si le commissaire-enquêteur ou la commission d'enquête n'est pas tenu de répondre à chacune des observations présentées lors de l'enquête publique, il doit indiquer, au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis ;
10. Considérant que, en l'occurrence, la commission d'enquête, constituée de trois membres, dont le rapport est d'environ 80 pages, a émis un avis favorable assorti de deux réserves relatives au risque de pollution des eaux et à la remise en état du site, et d'une recommandation relative à la perturbation des chauves-souris ; que, malgré le nombre d'observations collectées dans les registres ou par courriers séparés, qui représentent un total de 133 pages, toutes défavorables au projet, et souvent argumentées, la commission s'est bornée, dans son avis, à en justifier le caractère favorable par des considérations générales et non circonstanciées tenant à ce que la plupart de ces observations étaient injustifiées, que le projet répondait à des orientations gouvernementales et s'inscrivait dans le cadre du développement durable, que l'impact environnemental paraissait acceptable et que la procédure n'avait révélé aucun obstacle essentiel au projet ; que si, dans son rapport, la commission a émis, sur certains des neuf thèmes au sein desquels ont été regroupées les observations du public, un avis motivé, il apparaît que, s'agissant de la question des atteintes au paysage, qui figure au nombre des enjeux majeurs que pose, comme en l'espèce, un projet d'implantation de dix éoliennes de grande hauteur, elle a retenu, en particulier, le caractère subjectif des notions de paysage et de nuisance visuelle, relevant que cette dernière ne " saurait être discutée ou interprétée ", sans se livrer à la moindre analyse critique qui, même exprimée en termes concis, aurait permis de connaître, compte tenu notamment des caractéristiques du paysage et de la manière dont les aérogénérateurs pouvaient être perçus dans leur environnement proche ou plus lointain, son avis sur ce point ; que, dans ces conditions, et à supposer même que la commission puisse être regardée comme ayant fait sien, dans son avis sur le projet, le contenu du rapport, ses conclusions ne sauraient être considérées comme répondant à l'exigence de motivation énoncée par les dispositions précitées ;
11. Considérant que la méconnaissance de l'article R. 123-22 du code de l'environnement ayant ainsi été de nature à nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération, les arrêtés litigieux sont, dès lors, entachés d'illégalité ;
12. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 : " Hors des zones de développement de l'éolien définies par le préfet, pour les projets éoliens dont les caractéristiques les soumettent à des autorisations d'urbanisme, les communes et établissements de coopération intercommunale limitrophes du périmètre de ces projets sont consultés pour avis dans le cadre de la procédure d'instruction de la demande d'urbanisme concernée " ;
13. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, même en l'absence d'un texte réglementaire, qu'elles ne prévoient d'ailleurs pas, l'application de ces dispositions n'était pas manifestement impossible ;
14. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, préalablement à la délivrance des permis contestés, le préfet aurait consulté les communes limitrophes du périmètre du projet de parc éolien ou que celles-ci, par l'intermédiaire de leurs assemblées délibérantes, auraient été mises à même de présenter utilement leurs observations ; qu'il apparaît ainsi, en l'espèce, compte tenu en particulier de l'importance de ce projet et de la configuration des lieux, qu'une telle omission a privé effectivement les communes intéressées d'un garantie ; que les permis en litige sont également illégaux pour ce motif ;
15. Considérant, enfin, que, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît, en l'état de l'instruction, susceptible de fonder l'annulation des permis contestés ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen relatif à la régularité du jugement attaqué, les associations " Les amis du patrimoine tonnerrois " et " Les amis de Viviers " ainsi que Mme C... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande ;
17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Eole Res le paiement, chacun, aux associations " Les amis du patrimoine tonnerrois " et " Les amis de Viviers " ainsi qu'à Mme C..., d'une somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, y compris la contribution pour l'aide juridique qu'elles ont acquittées ; que les conclusions que la société Eole Res a présentées sur ce même fondement ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 26 septembre 2013 et les arrêtés du préfet de l'Yonne du 5 septembre 2011 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera aux associations " Les amis du patrimoine tonnerrois " et " Les amis de Viviers " ainsi qu'à Mme C...la somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la contribution pour l'aide juridique.
Article 3 : La société Eole Res versera aux associations " Les amis du patrimoine tonnerrois " et " Les amis de Viviers " ainsi qu'à Mme C...la somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la contribution pour l'aide juridique.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Les amis du patrimoine tonnerrois ", à l'association " Les amis de Viviers ", à Mme D...C..., à la société Eole Res et au ministre du logement et de l'égalité des territoires et de la ruralité.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2015, à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Picard, président-assesseur,
M. Chenevey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2015.
''
''
''
''
2
N° 13LY03083
mg