Vu la procédure suivante :
La commune du Grand-Bornand a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner, au titre de la non-conformité de la toiture du garage qui lui a été livrée, la SAS Alain Bouchet à lui verser la somme de 72 336,41 euros TTC, la SARL Archi'ingénierie Spelta-Ronjon la somme de 51 564,70 euros TTC et, solidairement, ces deux sociétés à lui verser la somme de 16 723,07 euros TTC, outre les intérêts moratoires sur chacune des sommes demandées, ainsi que 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par le jugement n° 1104417 du 25 mars 2014, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la SAS Alain Bouchet à lui verser la somme de 4 843,41 euros TTC, outre intérêts au taux légal à compter du 19 août 2011 et mis à sa charge les frais et honoraires d'expertise d'un montant de 5 808,32 euros.
Par une requête enregistrée le 3 juin 2014, la SARL Alain Bouchet représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 25 mars 2014 ;
2°) de rejeter la demande de la commune du Grand-Bornand en condamnation de la reprise des désordres affectant le lot n° 3, subsidiairement de la réduire à " de très justes proportions limitées à la somme de 10 000 euros " ;
3°) de confirmer le jugement sur son absence de responsabilité liée au défaut d'ouvrage de garde-neige sur la toiture ;
4°) de condamner la commune au paiement d'une somme de 95 093,63 euros TTC, somme qui produira intérêt " selon le taux de refinancement de la Banque centrale européenne augmenté de 7 points ", outre la capitalisation des intérêts ;
5°) de mettre à la charge de la commune du Grand-Bornand la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Alain Bouchet soutient que :
- le décompte général et définitif des travaux du 15 décembre 2008 a été renvoyé à la commune le 22 novembre 2010, celle-ci n'est donc plus recevable à réclamer le paiement de diverses sommes correspondant à des reprises de réserve qui n'ont pas été mentionnées dans ce décompte ;
- subsidiairement, au titre du lot n° 3, outre le fait que la commune n'a jamais fait réaliser ces travaux, elle aurait pu le faire pour un montant moins élevé que celui indiqué dans le jugement qui sera réformé en ce qu'il a mis à sa charge 58 387 euros correspondant à 60 % de la somme d'un devis qu'elle conteste totalement ;
- le jugement sera confirmé s'agissant la pose de garde-neige ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la commune ne s'est pas acquittée de la somme de 95 093,63 euros TTC.
Par un mémoire enregistré le 20 octobre 2014, la commune du Grand-Bornand, représentée par son maire, conclut à la confirmation du jugement, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Alain Bouchet la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
- contrairement à ce que soutient la requérante, aucun décompte général et définitif n'a a été établi ni ne lui a été transmis par le maître d'oeuvre et, qu'en tout état de cause, la société ne démontre pas, par les pièces qu'elle produit, que la commune lui devrait encore la somme de 95 093,63 euros TTC ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont jugé que la requérante était responsable contractuellement de la réalisation d'un ouvrage non conforme aux spécifications du marché conclu avec elle et que la société produit un devis qui ne correspond nullement à l'état de l'art en matière de réalisation d'ouvrage en haute montagne.
Par un mémoire enregistré le 28 novembre 2014, la SARL Alain Bouchet conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par un mémoire enregistré le 22 janvier 2015, la SARL Arch'Ingénierie Spelta Ronjon Laurent conclut au rejet de la requête, de lui donner acte qu'aucune demande n'est formée contre elle en cause d'appel et de condamner la SARL Alain Bouchet, ou qui mieux le devra, à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que ni la commune ni la requérante ne présentent de conclusions en appel contre elle s'agissant de la " prétendue non-conformité de la toiture ", c'est à juste titre que le tribunal administratif a jugé qu'aucun manquement contractuel ne pouvait lui être imputé ; qu'il en va de même pour l'absence d'arrêts de neige qui, au demeurant, n'étaient nullement prévus au marché de la société Bouchet.
Par un mémoire enregistré le 16 mars 2015, la commune du Grand-Bornand conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par une ordonnance du 25 mars 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 26 mai 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin, rapporteur,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de Me D...représentant la SARL Bouchet, de MeA..., représentant la commune de Grand Bornand et de MeB..., représentant la SARL Archi'Ingénierie ;
Vu la note en délibéré produite pour la commune du Grand Bornand, enregistrée le 16 juin 2015, et qui n'a pas été communiquée.
1. Considérant qu'en 2005 la commune du Grand-Bornand a fait construire un garage pour les véhicules et équipements de déneigement ; qu'elle a confié la maîtrise d'oeuvre à la SARL Archi'Ingénierie et l'exécution des lots n°s 3 " Charpente - Couverture - Zinguerie " et 5 " Menuiserie " à la société Alain Bouchet ; que la réception des travaux a été prononcée le 21 décembre 2007, assortie de réserves sur le mode de pose de la couverture sur l'isolation ; que la SARL Alain Bouchet n'ayant pas effectué les travaux de reprise avant le 15 juin 2008, délai qui lui avait été fixé, la commune du Grand-Bornand a sollicité du tribunal administratif de Grenoble la nomination d'un expert ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise en mai 2010, elle a ensuite demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la SARL Alain Bouchet et la SARL Archi'Ingénierie à lui verser, respectivement, la somme de 72 336,41 euros TTC (58 158,47 euros HT) et 51 564,70 euros TTC (41 458,01 euros HT) au titre des travaux de reprise de la non-conformité de la couverture du garage et de l'absence d'arrêts de neige et de les condamner, solidairement, à lui verser la somme de 16 723,07 euros TTC (13 982,50 euros HT) au titre de la pose des arrêts de neige ; que la SARL Alain Bouchet a demandé au tribunal administratif de condamner la commune à lui verser 108 100,88 euros en règlement du solde des lots n°s 3 et 5 ; que, par son jugement du 25 mars 2014 dont la SARL Alain Bouchet relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a condamné cette dernière à verser à la commune du Grand-Bornand la somme de 4 843,41 euros TTC portant intérêts au taux légal à compter du 19 août 2011 et a mis à sa charge les frais et honoraires d'expertise ;
Sur le décompte général du marché :
En ce qui concerne le caractère définitif du décompte :
2. Considérant que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties ; que, si le maître d'ouvrage notifie le décompte général d'un marché public de travaux alors même que des réserves relatives à l'état de l'ouvrage achevé n'ont pas été levées et qu'il n'est pas fait état des sommes correspondant à la réalisation des travaux nécessaires à la levée des réserves au sein de ce décompte, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes, même si un litige est en cours devant le juge administratif ;
3. Considérant que la SARL Alain Bouchet soutient que la commune ne peut réclamer le paiement de diverses sommes correspondant à des reprises de réserves qui n'ont pas été mentionnées dans le décompte général et définitif ; que, toutefois, par les pièces qu'elle produit, un " certificat de paiement n° 5 - Décompte général définitif " daté du 15 décembre 2008, signé par le seul maître d'oeuvre et un autre document intitulé " décompte définitif des travaux " qu'elle seule a signé et daté du 22 novembre 2010, elle ne démontre pas que ce décompte a été établi et lui a été notifié ; que, dès lors, comme l'ont relevé les premiers juges, en l'absence de décompte général devenu définitif, il appartient au juge du contrat de statuer sur les réclamations pécuniaires de chacune des parties et de déterminer le solde de leurs obligations contractuelles respectives ;
En ce qui concerne la reprise des réserves formulées à la réception de la couverture :
4. Considérant qu'au titre de l'exécution du lot n° 3, il est reproché à la SARL Alain Bouchet d'avoir posé directement les liteaux sur la couche d'étanchéité " sans contre-lattes dans le sens de la pente sur les chanlattes trapézoïdales " créant ainsi " un risque d'infiltrations au droit du clouage des liteaux sur les chanlattes " ; que le devis descriptif quantitatif qui a valeur contractuelle dès lors que l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières s'y réfère, prévoit en son article 1. 10 la fourniture et la pose d'un écran de sous-toiture comprenant le contre-lattage 40/60 ; que le contre-lattage, ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise, n'ayant pas été posé, la commune du Grand-Bornand est fondée à obtenir réparation du préjudice que lui a causé la méconnaissance par la SARL Alain Bouchet de ses obligations contractuelles ;
5. Considérant qu'un devis d'un montant de 97 312 euros HT avait été produit par la commune du Grand-Bornand, correspondant aux frais de reprise de la toiture du garage communal ; qu'en se fondant sur ce devis établi en février 2010, le jugement attaqué a réintégré au débit du décompte du marché du lot n° 3 la somme de 58 387,20 euros ; qu'il a considéré que la décote de 40 % correspondait au moins au coût de pose du contre-lattage qui aurait été facturé à la commune au titre de l'exécution du lot n° 3 ; que, pour contester cette somme de 58 387,20 euros laissée à son débit, la SARL Alain Bouchet produit un devis établi en 2014 par une autre société ; qu'il ne résulte toutefois pas de ce dernier que les prestations auraient été équivalentes à celles proposées et chiffrées dans celui établi en 2010 dont l'expert avait d'ailleurs retenu le montant ; que les conclusions de la requérante, insuffisamment étayées sur ce point, doivent être rejetées ;
En ce qui concerne le solde du marché :
6. Considérant, en premier lieu, que la commune du Grand Bornand produit, pour justifier du paiement des travaux, une édition du grand livre, détail par détail, dont il résulte qu'elle a effectué des paiements pour un total de 288 849, 62 euros TTC ; qu'il résulte en outre du document établi par le maître d'oeuvre le 15 décembre 2008, intitulé à tort " décompte général définitif ", que les travaux réalisés l'ont été pour un montant de 367 681,69 euros TTC ; que la commune ne démontre pas qu'il conviendrait de procéder sur ce montant à d'autres réfactions que celles résultant de la reprise des réserves au titre de l'exécution du lot n° 3 ; que, dès lors, la commune restait débitrice à l'égard de la SARL Bouchet d'une somme de 78 832,07 euros TTC ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la commune n'établit ni n'allègue l'existence d'autres malfaçons que celles pour lesquelles la SARL Bouchet a déjà été constituée débitrice ; qu'il convient donc de rajouter à cette somme de 78 832,07 euros TTC la somme de 20 270,74 euros TTC correspondant au montant de la retenue de garantie (16 892,29 euros HT) ;
8. Considérant, en troisième lieu, que la commune restait donc redevable à l'égard de la société d'une somme d'un montant de 99 102,81 euros TTC ; que, compte tenu de la somme de 58 387,29 euros HT laissée au débit de la SARL Alain Bouchet (70 064,64 euros TTC), le montant de la somme dont la commune reste débitrice à son égard s'élève à un montant de 29 038,17 euros TTC ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Alain Bouchet est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir réglé le solde du marché, l'a condamnée à verser la somme de 4 843,41 euros TTC à la commune du Grand-Bornand et à demander la réformation de ce jugement dans cette mesure ;
En ce qui concerne les intérêts moratoires et leur capitalisation :
10. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article 5 du décret du 21 février 2002 susvisé, alors applicable : " Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. Ce taux est celui de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points. / À défaut de la mention de ce taux dans le marché, le taux applicable est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne, à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points. / (...) " ; qu'il résulte de l'instruction que le cahier des clauses administratives particulières ne comportait pas de référence au taux des intérêts moratoires ; que, dès lors, le taux applicable doit être fixé conformément aux dispositions du 2ème alinéa du paragraphe II de l'article 5 précité ; que la somme de 29 038,17 euros TTC portera intérêts selon ces modalités à compter du 11 mars 2013, date certaine de la demande de règlement du solde du marché devant le tribunal administratif de Grenoble ;
11. Considérant que, pour l'application de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée, pour la première fois devant la cour, le 3 juin 2014 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 11 mars 2014, date à laquelle était due pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Alain Bouchet qui n'est pas en l'espèce partie perdante, quelle que somme que ce soit ; qu'il y a lieu en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de la commune du Grand-Bornand ;
DÉCIDE :
Article 1er : La commune du Grand-Bornand versera à la SARL Alain Bouchet la somme de 29 038,17 euros TTC, somme portant intérêts au taux de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne, à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points, à compter du 11 mars 2013. Les intérêts échus au 11 mars 2014 et à chaque échéance annuelle suivante seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune du Grand-Bornand versera à la SARL Alain Bouchet la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à SARL Alain Bouchet, à la commune du Grand-Bornand et à la SARL Arch'Ingénierie Spelta Ronjon Laurent.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2015 où siégeaient :
- M. Mesmin d'Estienne, président,
- Mme Gondouin et MmeC..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 2 juillet 2015.
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