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18/06/2015 | FRANCE | N°14LY03155

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 18 juin 2015, 14LY03155


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, la communication de son entier dossier par le préfet de la Haute-Savoie, l'annulation des décisions en date du 19 mars 2014, par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a décidé son placement en rétention administrative et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à

la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 ...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, la communication de son entier dossier par le préfet de la Haute-Savoie, l'annulation des décisions en date du 19 mars 2014, par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a décidé son placement en rétention administrative et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que son conseil renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

Par un jugement n° 1401920 du 24 mars 2014, le magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon a rejeté la requête de MmeB....

Par une requête enregistrée le 13 octobre 2014, MmeB..., représentée par Me Petit, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions susmentionnées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- c'est à tort que le premier juge a, à la demande du préfet, procédé à une substitution de base légale en fondant la décision, non pas sur l'alinéa 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais sur l'alinéa 3° dudit article ;

- la décision est insuffisamment motivée par la seule mention du fait que la requérante a été interpellée pour des faits de recel de vol ;

- la décision est entachée d'erreur de droit dès lors que son comportement n'est pas constitutif d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société alors que la requérante qui n'avait pas fait l'objet de condamnations pénales antérieures n'a été interpellée que pour des faits de recel de vol et qu'aucune urgence tirée d'un trouble à l'ordre public n'avait conduit l'autorité judiciaire à la faire comparaître dans le cadre d'une comparution immédiate ; que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît ainsi l'article L. 511-3-1 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant refus d'octroyer un délai de départ volontaire :

- la décision est illégale en conséquence de l'illégalité de décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision est insuffisamment motivée au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979 et de l'article 30.3 de la directive 2004/38, dès lors que ces motifs notamment ne permettent pas de caractériser l'urgence justifiant qu'il soit dérogé au délai de départ volontaire de trente jours ;

- la décision est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation alors que la requérante devait comparaître le 11 septembre 2014 devant le Tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains pour répondre des faits qui lui étaient reprochés et qu'elle n'a pu dès lors organiser la préparation de sa défense ;

S'agissant de la décision portant placement en rétention administrative :

- la décision est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision ne pouvait être prise sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'agissant d'un ressortissant de l'Union européenne alors que cet article, comme l'article L. 561-2 du même code, qui résultent de la transposition de la directive 2008/115/CE, ne concerne que les seuls ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et non les ressortissants communautaires ;

- la décision est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que le placement en rétention administrative n'était au surplus pas nécessaire, alors que le risque de fuite ou de menace à l'ordre public n'est nullement mentionné dans la décision ;

- la décision a été prise en violation du principe de liberté de circulation des ressortissants de l'Union tel que garanti par les articles 21 §1 du traité fondamental de l'Union européenne, des articles 45 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de la directive 2004/38 et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'union européenne ;

La requête a été notifiée au préfet de la Haute Savoie qui n'a pas produit d'observations ;

Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 septembre 2014.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive européenne n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,

1. Considérant que Mme A...B..., née le 2 avril 1993 à Pitesti (Roumanie), de nationalité roumaine, est entrée en France le 17 mars 2014 ; que, par décisions en date du 19 mars 2014 le préfet de la Haute Savoie a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ainsi qu'un arrêté ordonnant son placement en rétention ; que Mme B...demande l'annulation du jugement n° 1401920, du 24 mars 2014, par lequel le magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Haute Savoie, du 19 mars 2014 ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 susvisée : " 1. Les citoyens de l'Union ont le droit de séjourner sur le territoire d'un autre Etat membre pour une période allant jusqu'à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l'exigence d'être en possession d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité. ( ...) " ; qu'aux termes de l'article 27 de la même directive : " 1. (...) les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. (...) / 2. Les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. (...) " ; et qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : (...) 3° Ou que, pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France, son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel il est renvoyé en cas d'exécution d'office. Les articles L. 512-1 à L. 512-4 sont applicables aux mesures prises en application du présent article " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le comportement de MmeB..., ressortissante roumaine entrée en France depuis moins de trois mois, a été signalé à la suite de son interpellation à Annemasse (Haute-Savoie) le 19 mars 2014 pour recel de vol de trois produits de parfumerie et d'un accessoire vestimentaire ; qu'à supposer même les faits établis, ceux-ci ne suffisent pas, en l'absence de circonstances particulières ou de tout autre fait délictueux reproché à l'intéressée, inconnue par ailleurs des services de police, à établir que sa présence en France constituerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française et que son éloignement présenterait un caractère d'urgence ; qu'il suit de là que le préfet de la Haute-Savoie ne pouvait légalement obliger l'intéressée à quitter le territoire français pour ce motif sur le fondement des dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il a demandé la substitution à celles du 1° dudit article ; que, dès lors, l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et doit être annulée ; que cette annulation entraîne, par voie de conséquence, celle de la décision de refus d'octroi de délai de départ volontaire et de la décision de placement en rétention administrative prises à son encontre ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions en date du 19 mars 2014, par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a décidé son placement en rétention administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à Mme B...une somme quelconque au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1401920 du 24 mars 2014 du magistrat délégué du Tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les décisions en date du 19 mars 2014, par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a obligé Mme A...B...à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a décidé son placement en rétention administrative sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...B...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2015 à laquelle siégeaient :

M. Wyss, président de chambre,

M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,

Mme Samson Dye, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 juin 2015.

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N° 14LY03155


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14LY03155
Date de la décision : 18/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. WYSS
Rapporteur ?: M. Olivier MESMIN d'ESTIENNE
Rapporteur public ?: M. DURSAPT
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2015-06-18;14ly03155 ?
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