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11/06/2015 | FRANCE | N°13LY00341

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 11 juin 2015, 13LY00341


Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Florentin, représentée par son maire en exercice, a demandé au Tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement la société Mondo France et la direction départementale des territoires de l'Yonne à lui verser la somme de 118 236 euros au titre des frais de remise en état de la piste d'athlétisme et la somme de 20 000 euros au titre de la perte de jouissance et du préjudice moral, soit la somme totale, sauf à parfaire, de 138 236 euros, outre intérêts de droit à compter de l'enregistrement de la présente demande, de c

ondamner les mêmes, et dans les mêmes conditions, à prendre en charge...

Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Florentin, représentée par son maire en exercice, a demandé au Tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement la société Mondo France et la direction départementale des territoires de l'Yonne à lui verser la somme de 118 236 euros au titre des frais de remise en état de la piste d'athlétisme et la somme de 20 000 euros au titre de la perte de jouissance et du préjudice moral, soit la somme totale, sauf à parfaire, de 138 236 euros, outre intérêts de droit à compter de l'enregistrement de la présente demande, de condamner les mêmes, et dans les mêmes conditions, à prendre en charge le montant des frais d'expertise à hauteur de 20 385,55 euros qu'elle a exposés et de les condamner solidairement à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par le jugement n° 1102095 du 12 novembre 2012, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté la requête de la commune et mis à sa charge les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 20 385,55 euros.

Par la requête enregistrée le 8 février 2013, la commune de Saint-Florentin, représentée par MeA..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Dijon en date du 12 novembre 2012 ;

2°) de condamner solidairement la société Mondo France et la direction départementale des territoires de l'Yonne à lui verser la somme de 118 236 euros au titre des frais de remise en état de la piste d'athlétisme et la somme de 20 000 euros au titre de la perte de jouissance et du préjudice moral, soit la somme totale, sauf à parfaire, de 138 236 euros, outre intérêts de droit à compter de l'enregistrement de la présente requête ;

3°) de condamner les mêmes, et dans les mêmes conditions, à prendre en charge le montant des frais d'expertise à hauteur de 20 385,55 euros qu'elle a exposés et ayant abouti au rapport de M. E...B...le 10 juin 2010 ;

4°) de les condamner solidairement à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) et de les condamner, enfin, à lui verser la somme de 35,00 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 1635 bis Q du code général des impôts et des articles R. 411-2 et R. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que les désordres liés au décollement du revêtement du sol n'étaient pas de nature à engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale puisque ces nombreux désordres sont graves et rendent l'équipement sportif impropre à sa destination peu important, à cet égard, que l'équipement continue à être utilisé ;

- le préjudice subi est double, il est lié d'une part aux frais de remise en état de la piste d'athlétisme et peut être chiffré à un montant de 118 236 euros, d'autre part au trouble de jouissance d'un montant qui peut être fixé à 20 000 euros.

Par ordonnance du 26 août 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2013 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2013, la société Mondo France conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que soit retenue la solution qu'elle propose pour un montant de 88 236 euros actualisé à la somme de 118 236 euros et de juger que la DDE de l'Yonne sera tenue à indemnisation à hauteur de 50 % du préjudice et dans tous les cas de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal administratif a rejeté le principe d'une responsabilité décennale des constructeurs en l'espèce, la piste incriminée étant toujours utilisée sans discontinuité depuis sa livraison et qu'elle est toujours conforme à sa destination ;

- à titre subsidiaire, à supposer que la demande de la commune soit recevable, elle ne pourrait en aucun cas donner lieu à une réfection intégrale de la piste, les désordres étant aléatoires et n'affectant pas l'intégralité de cette dernière ;

- la demande de 20 000 euros présentée par la commune pour perte de jouissance et préjudice moral n'est pas fondée puisque l'équipement a toujours été utilisé et qu'il aurait dû de toute façon être immobilisé au bout de 10 ans pour son entretien régulier ;

- la responsabilité de la DDE devra être retenue, ses services n'ayant pas effectué de surveillance du chantier pendant les périodes d'encollage alors même que le risque était parfaitement connu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2013, le ministre de l'égalité des territoires et du logement et le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie concluent à titre principal à la mise hors de cause de l'État et au rejet de la requête de la commune dirigée contre l'État et, à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement attaqué, à la condamnation de la société Mondo France à garantir l'État de la totalité des condamnations prononcées à son encontre.

Les ministres font valoir que :

- la requête de la commune est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre la DDE de l'Yonne qui n'est pas dotée de la personnalité morale ;

- à titre subsidiaire, c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté le fondement de la garantie décennale et la requête de la commune ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'appel en garantie de l'État présenté par la société Mondo France devra être rejeté car la DDE de l'Yonne ne devait remplir qu'une simple mission de maîtrise d'oeuvre de type M6 (la direction de l'exécution des travaux en était exclue), la société Mondo France devait exécuter les travaux prévus selon les règles de l'art et mettre en place les contrôles nécessaires.

Par ordonnance du 19 septembre 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 7 octobre 2013.

Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2013, la commune de Saint-Florentin conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, tout en demandant que ses conclusions dirigées contre la DDE de l'Yonne soient regardées comme dirigées contre l'État.

Par un mémoire enregistré le 2 octobre 2013, la société Mondo France conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Par ordonnance du 2 octobre 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2013.

Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2013, la commune de Saint-Florentin conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, tout en soulignant que la société Mondo France a entendu lui offrir, par le contrat qu'elles ont conclu, une garantie spécifique pour élargir matériellement les conditions d'application de la garantie décennale.

Par ordonnance du 22 octobre 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 12 novembre 2013.

Par un mémoire enregistré le 6 novembre 2013, la société Mondo France conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et demande en outre à la Cour de déclarer irrecevables, comme nouvelles en appel, les conclusions de la commune de Saint-Florentin présentées sur le fondement d'une obligation contractuelle et donc sur les principes dont s'inspirent les articles 1147 et suivants du code civil.

Par ordonnance du 18 novembre 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 4 décembre 2013.

Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2013, la commune de Saint-Florentin conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens et soutient qu'un moyen tendant à se prévaloir d'une extension contractuelle de la garantie décennale est fondé sur une cause juridique identique à celle du moyen tendant à se prévaloir de l'application de la garantie décennale.

Par ordonnance du 9 décembre 2013, la clôture d'instruction a été fixée au 26 décembre 2013.

Un mémoire produit par la société Mondo France, enregistré le 4 mai 2015, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 13 mai 2015:

- le rapport de Mme Gondouin, rapporteur,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la commune de Saint-Florentin et de MeC..., représentant la société Mondo France.

1. Considérant que la commune de Saint-Florentin, pour la rénovation de son parc des sports et en particulier de sa piste d'athlétisme, a confié le 28 mars 2000 les lots n° 1 (travaux préparatoires, terrassements, réseaux) n° 2 (piste et aires de concours) et n° 3 (revêtements imperméables synthétiques piste et aires de concours) à la société Mondo France, la maîtrise d'oeuvre étant assurée par la direction départementale de l'équipement de l'Yonne dans le cadre d'une mission M6 ; qu'après avoir été refusée une première fois le 31 août 2001, la réception a été prononcée sans réserve le 23 avril 2002, avec effet rétroactif au 4 décembre 2000 pour le lot n° 2, au 4 janvier 2001 pour le lot n° 1 et au 23 juin 2001 pour le lot n° 3 ; que les premiers désordres affectant la piste d'athlétisme, en particulier des décollements du revêtement, se sont manifestés en octobre 2005 ; que la commune de Saint-Florentin a tout d'abord obtenu du juge des référés du Tribunal administratif de Dijon la désignation d'un expert le 12 décembre 2007 puis, à la suite du dépôt du rapport d'expertise en juin 2000, a recherché la responsabilité de la société Mondo France et de l'État sur le fondement de la garantie décennale ; que, par son jugement du 12 novembre 2012, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 20 385,55 euros ; que la commune de Saint-Florentin relève appel de ce jugement ;

Sur la responsabilité décennale :

2. Considérant que, sauf cas de force majeure ou faute du maître de l'ouvrage, les constructeurs sont responsables de plein droit sur le fondement des principes dont s'inspirent les dispositions aujourd'hui codifiées aux articles 1792 et 1792-4-1 du code civil des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou, qui l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination, dès lors que les dommages en cause n'étaient ni apparents ni prévisibles lors de la réception dudit ouvrage ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les désordres affectant la piste d'athlétisme du parc des sports de la commune de Saint-Florentin consistent en des cloques, boursouflures et décollement du revêtement synthétique ; qu'il résulte du rapport d'expertise que les désordres, très nombreux mais d'importance variable, se situent aussi bien dans les différents couloirs des pistes d'athlétisme (lignes droites et courbes) que dans les aires des pistes d'élan (javelot, saut en longueur et perche) que dans des zones hors pistes ; que ces décollements " qui se produisent soit en extrémité de laies, soit au bord et le long des laies de chaque couloir, formant même à certains endroits des cloques, des zones sonnant le creux ou une ouverture dans les parties de joints (...) ne font que se dégrader dans le temps " ; que, quand bien même ils n'ont jamais empêché le déroulement de compétitions, ces désordres, par leur nombre et leur caractère évolutif, sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ; que, dès lors, la commune de Saint-Florentin est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que ces désordres ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité décennale qui incombe à la société Mondo France et à l'État dont les services de la Direction départementale de l'Équipement assuraient la maîtrise d'oeuvre de l'opération ;

Sur le montant du préjudice :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et, comme le demande la société Mondo France dans ses conclusions présentées à titre subsidiaire, le montant des réfections et reprises de l'ensemble des pistes d'athlétisme par cette dernière doit être fixé à 118 236 euros TTC ;

5. Considérant, en second lieu, que si la commune demande également que lui soit versée par les constructeurs une somme de 20 000 euros au titre de la perte de jouissance et du préjudice moral depuis 2005, en faisant valoir qu'elle a été contrainte de renoncer aux compétitions qui comportaient des épreuves de saut et de saut à la perche, elle n'établit toutefois, par les pièces qu'elle produit, ni la perte de jouissance de ces équipements ni le préjudice moral qui a pu en résulter ; que, dès lors, ses conclusions tendant à ce que les constructeurs soient condamnés à lui verser la somme de 20 000 euros doivent être rejetées ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner solidairement la société Mondo France et l'État à verser à la commune de Saint-Florentin la somme de 118 236 euros TTC, somme qui portera intérêts au taux légal à compter, comme le demande la commune, de l'enregistrement de sa requête au Tribunal administratif de Dijon le 16 septembre 2011 ;

Sur les dépens :

7. Considérant que les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, taxés et liquidés à la somme de 20 385,55 euros, ont été mis par le juge de première instance à la charge de la commune de Saint-Florentin ; qu'il y a lieu de les mettre à la charge solidaire de la société Mondo France et de l'État ;

8. Considérant qu'avant sa modification par le décret du 29 décembre 2013 relatif à la suppression de la contribution pour l'aide juridique, l'article R. 761-1 du code de justice administrative rangeait cette contribution au nombre des dépens mis en principe à la charge de toute partie perdante ; que, dès lors, il y a également lieu de mettre à la charge solidaire de la société Mondo France et de l'État la contribution à l'aide juridique requise lors de l'enregistrement de la requête, d'un montant de 35 euros, dont s'est acquittée la commune ;

Sur les appels en garantie :

9. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que les colles utilisées " à base d'adhésif époxy-polyuréthanique et de durcisseur type PU 300 " ne peuvent être appliquées lorsque la température est inférieure à 10° C, que de nombreuses bulles d'air se sont retrouvées enfermées dans la colle, qu'un " phénomène de fines contenues dans le support bitumeux de l'enrobé support " a conféré un défaut d'adhérence, que " les conditions climatiques rencontrées lors de la seconde couche d'enrobé et dès le début de l'encollage du revêtement de sol synthétique, étaient particulièrement inadaptées pour ces travaux... " ; que si les services de l'État n'étaient pas investis d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, il résulte toutefois de l'instruction que la mission M6 qui leur était confiée comportait l'élément contrôle général des travaux ; que, comme le relève l'expert, la Direction départementale de l'équipement de l'Yonne a manqué de vigilance lors des périodes climatiques défavorables au cours desquelles la société Mondo France n'aurait pas dû poursuivre la pose du revêtement incriminé ; qu'il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives en condamnant l'État à garantir la société Mondo France à hauteur de 30 % des condamnations mises à sa charge ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Mondo France la somme de 1 500 euros et la même somme à la charge de l'État qu'ils verseront à la commune de Saint-Florentin ; que les conclusions dirigées à ce titre à l'encontre de celle-ci, qui n'est pas en l'espèce partie perdante, doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1102095 du Tribunal administratif de Dijon en date du 12 novembre 2012 est annulé.

Article 2 : La société Mondo France et l'État sont condamnés solidairement à verser à la commune de Saint-Florentin la somme de 118 236 euros TTC. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2011.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif taxés et liquidés à la somme de 20 385,55 euros, ainsi que la contribution pour l'aide juridique, d'un montant de 35 euros, seront supportés solidairement par la société Mondo France et l'État.

Article 4 : La société Mondo France et l'État verseront, chacun, à la commune de Saint-Florentin la somme de 1 500 euros en application de l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La société Mondo France et l'État sont respectivement condamnés à supporter 70 % et 30 % des condamnations prononcées à leur encontre aux articles 2 et 3.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Florentin, à la société Mondo France et au ministre de l'égalité des territoires et du logement et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2015 où siégeaient :

- M. Wyss, président de chambre,

- Mme Gondouin et MmeD..., premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 11 juin 2015.

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