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18/09/2014 | FRANCE | N°13LY00728

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 18 septembre 2014, 13LY00728


Vu la requête, enregistrée le 21 mars 2013, présentée pour la commune de Tracy-sur-Loire, représentée par son maire en exercice ;

La commune de Tracy-sur-Loire demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1101537 du 10 janvier 2013 du Tribunal administratif de Dijon, en tant qu'il limite à 17 250 euros le montant que l'Etat est condamné à lui verser et en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner in solidum la société Merlot TP, la société Esportec et le préfet de la Nièvre à lui verser la somme de 126 56

6,62 euros toutes taxes comprises au titre de la reprise des désordres constatés par l...

Vu la requête, enregistrée le 21 mars 2013, présentée pour la commune de Tracy-sur-Loire, représentée par son maire en exercice ;

La commune de Tracy-sur-Loire demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1101537 du 10 janvier 2013 du Tribunal administratif de Dijon, en tant qu'il limite à 17 250 euros le montant que l'Etat est condamné à lui verser et en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner in solidum la société Merlot TP, la société Esportec et le préfet de la Nièvre à lui verser la somme de 126 566,62 euros toutes taxes comprises au titre de la reprise des désordres constatés par l'expert, la somme de 34 500 euros au titre des pénalités de retard, la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral et la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 621-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux dépens de l'instance ;

Elle soutient que :

- l'expert a considéré qu'elle n'était pas responsable des désordres ;

- la société Esportec, fournisseur, a engagé sa responsabilité délictuelle en fournissant un élément incompatible avec le matériau de la carrière de GSM Subdray ; la juridiction administrative est compétente pour statuer sur les conclusions prononcées à son encontre, en absence de contrat de droit privé la liant à la commune et compte tenu de la loi du 28 pluviôse an VIII ; cette société ne peut utilement invoquer son sérieux ni le fait que le produit a été validé ;

- la société Merlot TP a commis des manquements en ne vérifiant pas la qualité des matériaux, en ne faisant pas procéder à un contrôle par un laboratoire, en n'appliquant pas le produit Enverr'paq sur l'épaisseur requise et sur tout l'ensemble des trottoirs, alors même qu'elle a effectué une surconsommation de produit ; sa responsabilité est engagée tant sur le fondement de sa responsabilité décennale, alors même que les relations contractuelles ont cessé avec la signature du procès-verbal de réception ; le non-respect de la teneur en eau et de l'épaisseur de produit Enverr'paq rend nécessairement l'ouvrage impropre à sa destination car le lien de causalité entre ces fautes et les désordres constatés est indiscutable et l'épaisseur de produit Enverr'paq était calculée de sorte que l'ouvrage puisse avoir la résistance nécessaire à sa destination, qui implique une certaine solidité et longévité ; la solidité de l'ouvrage est nécessairement compromise puisqu'une différence d'épaisseur de traitement, qui ne pouvait par définition être apparente, le fragilise nécessairement ; sa responsabilité est engagée au titre du dol, dès lors qu'elle a effectué une surconsommation anormale du produit Enverr'paq et a utilisé le surplus pour d'autres chantiers ; en avouant que le délai de garantie décennale n'est pas expiré, la société Merlot TP reconnaît sa responsabilité sur ce fondement ;

- à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité de l'Etat devrait être engagée, faute pour lui d'avoir vérifié le travaux réalisés par la société Merlot TP ; il a commis des erreurs dans la direction et le contrôle des travaux, dans le contrôle des comptes et en réceptionnant les travaux avec réserves sans pouvoir fournir le certificat définitif de levée des réserves, qui n'ont pas toutes été mentionnées dans leur intégralité ; les premiers juges n'ont pas pris en compte son obligation de conseil à l'occasion des opérations de réception, n'ayant procédé à aucune opération préalable à la réception des travaux efficace et à aucune vérification ; les moyens de défense invoqués par le préfet de la Nièvre en première instance doivent être écartés ; il n'existe aucun doute sur la personne morale mise en cause ; le préfet invoque des relations contractuelles alors qu'il ne produit ni contrat ni engagement écrit ; la commune n'aurait eu aucun intérêt à avoir recours à la maîtrise d'oeuvre de l'Etat si elle devait vérifier par elle-même la bonne exécution du chantier ; l'engagement de la responsabilité de la société Merlot TP n'est pas exclusif de la responsabilité de l'Etat ;

- la reprise des travaux implique la mise en oeuvre de la solution n° 3 retenue par l'expert, consistant en la fabrication d'un enrobé beige pour un montant de 126 166,62 euros toutes taxes comprises ; l'enrobé noir n'est pas satisfaisant ; l'entreprise Merlot TP n'est pas fondée à soutenir que le coût des reprises est surévalué et qu'elles constitueraient un enrichissement sans cause ;

- la direction départementale des territoires n'a pas proposé d'infliger des pénalités de retard à la société Merlot TP alors que les travaux ont été achevés en août et ont été réceptionnés le 2 novembre 2004 et que les pénalités auraient pu atteindre 34 500 euros ; elle n'a pas commis d'imprudence fautive de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité, dès lors qu'il relevait de la mission du maître d'oeuvre d'appliquer les pénalités de retard, qu'elle n'est pas professionnelle dans le domaine des travaux publics et qu'elle n'avait pas à vérifier l'exactitude ou la validité des décomptes ; le préfet n'est pas fondé à soutenir qu'il y a lieu de retenir la date d'achèvement des travaux et non celle de la réception ; elle justifie d'un préjudice ;

- les retards et les désordres ont causé un préjudice moral à la commune en raison de la perte de crédibilité des élus et du mécontentement des administrés ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance du 26 août 2013 prononçant la clôture de l'instruction au 28 octobre 2013 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2013, présentée pour la société Merlot TP qui demande à la Cour :

1°) de rejeter de la requête ;

2°) de rejeter les conclusions dirigées à son encontre présentées par la société Esportec et l'Etat ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum la société Esportec et l'Etat à la garantir de l'ensemble des condamnations, en principal, intérêts, frais et accessoires, qui pourraient être prononcées à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Tracy-sur-Loire une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la commune ne définit pas précisément les désordres dont elle demande réparation ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que les travaux ont été réceptionnés et que le marché a fait l'objet d'un décompte général définitif ; les réserves se bornaient à faire mention d'imperfections s'agissant de la reprise de 200 mètres carrés de revêtement de surface Enverr'paq pour teinte non conforme et il a été procédé à une reprise dans le délai de parfait achèvement ; la commune ne justifie d'aucun acte interruptif de prescription dans ce délai ;

- l'ouvrage ne bénéficie, compte tenu de sa nature, pas de la garantie décennale mais de la garantie biennale ; en tout état de cause, sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors que les désordres étaient apparents à la réception ; elle n'a pas reconnu sa responsabilité sur ce fondement ; il n'est pas démontré que le désordre aurait un caractère décennal ; le produit utilisé a été imposé par le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement du dol, notion ne trouvant aucune application en matière de marchés de travaux publics et caractérisant un vice du consentement dont l'existence s'apprécie au seul stade de la formation du contrat ; le dol ne peut être utilement invoqué qu'à l'expiration du délai de garantie décennale et un tel régime n'est applicable que si le désordre est apparu après la réception, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; il n'est pas établi de manquement intentionnel et délibéré aux règles de l'art ; une éventuelle surconsommation de produit ne saurait démontrer d'intention dolosive, l'intégralité du produit ayant été déployée sur le site et ne pouvait, s'agissant d'un produit spécifique, être déployée sur d'autres chantiers ; elle conteste la pertinence des carottages ayant fondé l'analyse de l'expert judiciaire ; aucune faute ne peut lui être reprochée s'agissant du défaut de qualité du produit Enverr'paq, qui est prêt à l'emploi ; il était impossible de réaliser une planche d'essai ;

- la solution retenue par l'expert est différente des choix initialement réalisés par la commune, qui avait opté pour un ouvrage stabilisé renforcé, moins coûteux qu'un enrobé ;

- elle ne peut être condamnée au titre des pénalités de retard dès lors que le décompte général de son marché, devenu définitif, ne lui applique pas de telles pénalités ;

- l'existence d'un préjudice moral pour la commune, qui est une personne morale distincte des élus, personnes physiques, n'est pas justifiée ; la jurisprudence n'admet l'indemnisation d'un préjudice moral qu'en ce qui concerne les personnes physiques ; à titre subsidiaire, elle devrait être garantie d'une condamnation à ce titre par l'Etat, qui a été un maître d'oeuvre défaillant, et par la société Esportec, qui a commis des manquements contractuels à l'origine du désordre ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 octobre 2013, présentée pour la société Merlot TP, qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 octobre 2013, présenté pour la commune de Tracy-sur-Loire, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Elle fait valoir en outre que :

- trois réunions d'expertise et des démarches particulièrement approfondies et complexes ont été nécessaires pour déterminer les désordres constatés, qui ne pouvaient être regardés comme apparents ;

- la contestation de l'entreprise Merlot TP sur l'absence de dol est sans fondement et non argumentée ;

- seule la direction départementale des territoires était compétente pour calculer les pénalités de retard, en distinguant retard dû aux entreprises et retard lié aux intempéries ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2013, présenté pour la société Esportec qui conclut au rejet de la requête et de toutes conclusions formées à son encontre et demande à la Cour de condamner toute partie perdante à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- elle n'est intervenue qu'en qualité de fournisseur de la société Merlot TP et ne saurait être considérée comme un sous-traitant ; n'étant pas liée à la commune par un contrat de louage d'ouvrage, elle ne peut voir sa responsabilité contractuelle engagée ;

- en toute hypothèse, la responsabilité décennale de la société Merlot TP ne pouvant être engagée, dès lors qu'il ne résulte pas du rapport d'expert que les désordres compromettraient l'ouvrage ou le rendraient impropre à sa destination, sa responsabilité en tant que simple fournisseur ne peut être engagée ;

- l'appel en garantie formé à son encontre par la société Merlot TP ne pourrait qu'être rejeté, dès lors qu'elle a fourni un produit validé par le maître d'ouvrage et par son cocontractant ; c'est à tort que l'expert a retenu sa responsabilité, dès lors que son produit a été utilisé à plusieurs reprises sur des ouvrages circulés et des sites à forte contrainte, qu'elle avait réalisé un aménagement dans une autre commune avec le sable GSM du Subdray et que c'est l'utilisation de quantités insuffisantes de produit qui a occasionné le dommage ; retenir les mesures de réparation préconisées par l'expert représenterait un enrichissement pour la commune, qui obtiendrait un enrobé de couleur alors qu'elle avait initialement assumé le coût d'un stabilisé renforcé ;

- elle n'est pas partie au contrat prévoyant des pénalités de retard et a livré son produit en temps et en heure ;

- le préjudice moral allégué par la commune n'est pas établi ;

Vu l'ordonnance en date du 25 octobre 2013 reportant la clôture de l'instruction au 13 novembre 2013 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2014, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet des conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire visant à la condamnation in solidum de l'Etat et des sociétés Merlot TP et Esportec et des conclusions d'appel en garantie présentées par la société Merlot TP ;

Il soutient que :

- la commune, qui met en avant la concomitance du procès-verbal des opérations de réception et de la proposition de réceptionner les travaux, ne démontre pas avoir contesté à l'époque la proposition du maître d'oeuvre tant sur la nature des réserves que sur la date d'achèvement des travaux, alors que la décision lui incombait en tant que personne responsable du marché ;

- si les désordres sont intervenus au moment des élections municipales de mars 2008, soit plus de trois ans après la date d'achèvement des travaux, il est inexact de prétendre que les vices étaient aisément décelables ou que l'ouvrage était impropre à sa destination ;

- la réception des travaux, prononcée avec une réserve ne portant pas sur les désordres dont il est demandé réparation, a éteint toute possibilité légale d'engager la responsabilité contractuelle de la société Merlot TP ou de la direction départementale de l'Etat ;

- les défauts qui étaient décelables, tenant à la différence de teinte sur une partie des surfaces aménagées, ont fait l'objet d'une réserve lors de la réception des travaux, ultérieurement levée ; il est paradoxal de soutenir que la DDT aurait eu connaissance de vices en cours de chantier tout en lui reprochant de ne pas avoir conduit les actions nécessaires pour les détecter ; s'il revenait à l'Etat d'effectuer le contrôle des mesures de compactage, il appartenait à la société Merlot TP de diligenter les vérifications qualitatives des matériaux ; la circonstance que le maître d'oeuvre n'ait pas rempli certaines de ses tâches n'ayant pu, à elle seule, avoir causé directement l'ensemble des désordres dont se plaint la commune, la responsabilité du maître d'oeuvre au titre de son devoir de conseil ne peut être engagée ;

- l'Etat ne peut être condamné au titre des pénalités de retard, dès lors que la commune a accepté le décompte général alors qu'elle savait que la fin des travaux était intervenue plus tard que prévu, que des pénalités pouvaient être encourues et calculées, sans nécessité de compétences techniques ou financières spécifiques ; la connaissance de ces informations par le maître d'ouvrage démontre qu'il a commis une imprudence et exonère le maître d'oeuvre ;

- s'agissant du préjudice moral, la commune n'explique pas le montant qu'elle revendique, ni combien d'élus seraient concernés ; la perte de crédibilité alléguée n'a pas empêché le maire d'être réélu en mars 2008 ;

Vu l'ordonnance du 13 janvier 2014 reportant la clôture de l'instruction au 28 janvier 2014 ;

Vu le courrier adressé aux parties le 3 juillet 2014, en application de l'article L. 611-7 du code de justice administrative ;

La Cour a informé les parties qu'elle était susceptible de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire dirigées contre la société Esportec, ayant la qualité de fournisseur de la société Merlot TP et n'étant pas participante à une opération de travaux publics, ainsi que l'irrégularité du jugement en tant qu'il statue au fond sur les conclusions de la commune dirigées contre la société Esportec ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 juillet 2014, présenté pour la commune de Tracy-sur-Loire, qui présente ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office ;

Elle fait valoir que la société Esportec a la qualité de participant à l'opération de construction de l'ouvrage public, dès lors qu'elle a délivré un produit spécifique et non des matériaux standardisés ;

Vu le courrier adressé aux parties le 21 août 2014, en application de l'article L. 611-7 du code de justice administrative ;

La Cour a informé les parties qu'elle était susceptible de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de la société Merlot TP dirigées contre la société Esportec, ayant la qualité de fournisseur de et n'étant pas participante à une opération de travaux publics ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 août 2014, présenté pour la société Merlot TP, qui présente ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office ;

Elle fait valoir que la société Esportec a la qualité de fournisseur d'un élément d'équipement, qu'un constructeur peut introduire une action d'appel en garantie à son encontre devant la juridiction administrative, que la société Esportec a la qualité de participant à une opération de travaux publics ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 août 2014 :

- le rapport de Mme Samson-Dye, premier conseiller,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- les observations de MeB..., représentant la commune de Tracy-sur-Loire, et de MeC..., représentant la société Esportec ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 10 septembre 2014 présentée pour la société Merlot TP ;

1. Considérant que, par jugement du 10 janvier 2013, le Tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat, maître d'oeuvre de l'opération d'aménagement de la place du 8 mai 1945, à verser à la commune de Tracy-sur-Loire la somme de 17 250 euros, en réparation du préjudice tenant à l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP, qui était titulaire de ce marché de travaux publics, après avoir retenu que la commune, qui avait commis une imprudence fautive, était responsable pour moitié du dommage ; que le Tribunal a, par ailleurs, rejeté comme non fondé le surplus des conclusions de la demande de la commune de Tracy-sur-Loire, tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Merlot TP, de la société Esportec et de l'Etat à lui verser la somme de 191 066,62 euros en réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant la chaussée de cette place ; qu'il a enfin mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise ; que la commune de Tracy-sur-Loire relève appel de ce jugement ;

Sur les conclusions dirigées contre la société Esportec :

2. Considérant que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Esportec ne saurait être regardée comme ayant la qualité de sous-traitant ; qu'elle n'a pas davantage la qualité de fabricant d'un équipement pouvant entraîner une responsabilité solidaire, au sens des principes dont s'inspire l'article 1792-4 du code civil, dès lors que le produit qu'elle livre, alors même qu'il répondrait à une formulation spécifiquement étudiée pour ce marché, n'est pas lui-même un ouvrage, ni une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement mais un matériau ; qu'elle avait, dès lors, simplement la qualité de fournisseur de la société Merlot TP ; que le contrat de droit privé qui l'unissait à la société Merlot TP n'a pas eu pour effet de conférer à la société Esportec la qualité de participant à l'exécution du travail public ; qu'un contrat conclu entre un entrepreneur de travaux publics et l'un de ses fournisseurs est soumis aux règles du droit privé ; que, par suite, il appartient aux juridictions judiciaires de connaître des demandes de la commune de Tracy-sur-Loire dirigées contre la société Esportec, qui ont pour seul fondement un éventuel manquement de cette société aux obligations résultant pour elle de son contrat de fourniture ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il incombait au Tribunal administratif de Dijon de décliner, pour ce motif, la compétence de la juridiction administrative, pour statuer sur ces conclusions ; que le jugement attaqué doit, par suite, être annulé, en tant qu'il statue sur les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de la société Esportec ;

5. Considérant qu'il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer, de statuer immédiatement sur ces conclusions et, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, de les rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

Sur la responsabilité du maître d'oeuvre :

6. Considérant, tout d'abord, qu'il n'est pas contesté qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que la réception de l'ouvrage avait mis fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et fait obstacle à ce que l'Etat soit condamné, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, pour les fautes qu'il aurait commises au titre de la conception de l'ouvrage et de la surveillance des travaux ;

7. Considérant, ensuite, que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, soit à l'occasion des opérations de réception, soit en cours de chantier, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ;

8. Considérant cependant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'oeuvre aurait eu connaissance des désordres en cours de chantier ; que, si l'expert déplore que le maître d'oeuvre n'ait pas constaté au cours de la réception certains vices, tenant à l'absence d'application de traitement de surface sur une partie des ouvrages et à l'insuffisance d'épaisseur de ce traitement pour une autre partie, il ne résulte pas de l'instruction que les vices ayant occasionné les dommages étaient apparents à la date des opérations de réception ; que, par suite, la commune n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat au titre de son manquement à son obligation de conseil ;

9. Considérant, enfin, qu'il est constant que le décompte général du marché de travaux est devenu définitif et qu'il ne comporte aucune pénalité de retard ; que la commune, en sa qualité de maître d'ouvrage, avait seule compétence pour approuver le décompte général définitif du marché de la société Merlot TP, qui lui était simplement proposé par le maître d'oeuvre ; qu'il lui appartenait, dès lors, de veiller à ce qu'il comporte l'ensemble des éléments devant y figurer et notamment, les pénalités de retard ; que la commune ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait l'existence d'un retard, s'agissant d'un projet important se déroulant sur son propre territoire, par rapport à la durée des travaux qui avait été contractuellement définie ; qu'alors même qu'elle n'aurait pas été effectivement en mesure de déterminer précisément le nombre de jours de retard à retenir, compte tenu de la prise en compte de jours d'intempérie, elle avait à tout le moins vocation à interroger le maître d'oeuvre à ce sujet ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a retenu qu'elle avait commis une imprudence fautive exonérant l'Etat de sa responsabilité à hauteur de 50 % ;

Sur la responsabilité de la société Merlot TP :

10. Considérant qu'en vertu des principes dont s'inspirent l'article 1792 du code civil, et l'article 2270, alors applicable, du même code, les constructeurs tenus à la garantie décennale sont responsables de plein droit des dommages non apparents à la réception qui compromettent la destination de l'ouvrage à la construction duquel ils ont participé et qui leur sont imputables, même partiellement ;

11. Considérant toutefois qu'il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier pas du rapport d'expertise, que les vices constatés compromettent la solidité de l'ouvrage, dans sa généralité, ou le rendent impropre à sa destination ;

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Merlot TP a appliqué un revêtement de surface sur une épaisseur insuffisante, pour une partie des surfaces à traiter, et qu'elle a par ailleurs oublié de l'appliquer sur une partie du trottoir ; que, pour dommageable qu'elle fût, cette faute contractuelle ne présente pas, par sa nature, et compte tenu de l'absence de conséquences graves, effectivement constatées ou prévisibles, suffisamment établies, le caractère d'un dol ou d'une fraude ; que, si la commune fait état d'une surconsommation anormale de ce revêtement, il ne peut être exclu qu'il y ait eu une utilisation du revêtement excessive sur d'autres parties de la place ; qu'ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la société Merlot TP aurait utilisé une partie du produit commandé pour l'opération en litige au profit d'autres chantiers ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions présentées sur les fondements de la garantie décennale et de la fraude et du dol ;

Sur les frais d'expertise :

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'il n'y a pas lieu de modifier la dévolution des frais d'expertise décidée par les premiers juges ;

Sur les dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'à supposer que la commune ait, en réalité, en visant l'article L. 621-1 du code de justice administrative, inexistant, entendu se référer à l'article L. 761-1 du même code, ces dispositions font obstacle à ce que les sociétés Merlot TP et Esportec, qui ne sont pas parties perdantes, soient condamnées à verser à la commune la somme qu'elle demande sur ce fondement ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par les sociétés Merlot TP et Esportec ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1101537 du Tribunal administratif de Dijon du 10 janvier 2013 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de la société Esportec.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de la société Esportec sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés Esportec et Merlot TP tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tracy-sur-Loire, au ministre de l'intérieur, aux sociétés Esportec et Merlot TP.

Copie en sera adressée au préfet de la Nièvre et à M.A..., expert.

Délibéré après l'audience du 28 août 2014, où siégeaient :

M. Wyss, président de chambre,

M. Gazagnes, président-assesseur,

Mme Samson-Dye, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 septembre 2014.

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N° 13LY00728

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