Vu enregistrée au greffe de la Cour, le 9 décembre 2013, sous le n° 13LY03223, la décision n° 354650, en date du 2 décembre 2013, ainsi que les documents visés par celle-ci, par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, à la suite du pourvoi de M. B... et des pourvois incidents du centre hospitalier universitaire de Grenoble et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, a :
1°) en son article 1er, annulé l'arrêt n°11LY00219 du 6 octobre 2011 de la Cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur la requête de M. B...et les appels incidents du centre hospitalier universitaire de Grenoble et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère tendant à la réformation du jugement n° 0701409 du 26 novembre 2010 du Tribunal administratif de Grenoble, en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. B...tendant à l'indemnisation de pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle et a alloué à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère la somme de 17 585,85 euros en remboursement d'une part de la rente d'accident du travail versée à l'intéressé ;
2°) renvoyé à la Cour l'affaire dans la mesure définie à l'article 1er de la décision ;
Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2011, présentée pour M. A...B..., domicilié..., complétée par un mémoire enregistré le 12 juillet 2011 ;
M. B...demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0701409 du 26 novembre 2010 du Tribunal administratif de Grenoble en tant seulement qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une indemnité au titre des pertes de revenus futurs ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une somme supplémentaire de 118 583,73 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient qu'il ne peut plus porter d'objets lourds, ce qui implique une inaptitude au poste de monteur en installations thermiques, emploi exigeant de porter les éléments de l'installation ; qu'il a été licencié et a dû suivre une formation professionnelle ; qu'il occupe actuellement un emploi de monteur en télécommunications, moins bien rémunéré ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 avril 2011, présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser la somme de 44 845,82 euros au titre de ses débours, l'indemnité forfaitaire de 980 euros ainsi que les intérêts et leur capitalisation, et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 juin 2011, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble tendant au rejet de la requête et, à titre incident, à l'annulation du jugement en tant que le Tribunal l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble la somme de 17 585,85 euros ;
Il soutient que M. B...n'a pas apporté la preuve de l'existence d'une incidence professionnelle indemnisable ; qu'il utilise normalement son avant-bras et son poignet gauches ; qu'il a retrouvé un emploi similaire qui exige l'usage normal des deux mains ; que son emploi actuel est rémunéré au SMIC, comme son emploi précédent ; que la caisse n'est pas non plus susceptible de démontrer l'existence d'un lien de causalité entre la rente d'accident du travail et la faute de l'hôpital ; qu'elle ne justifie pas plus en appel qu'en première instance que les frais de santé sont en rapport avec la faute ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 septembre 2011, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 janvier 2014, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Il soutient, en outre, que :
- la Cour devra rejeter les demandes de la caisse tendant à ce qu'il soit condamné à lui rembourser des arrérages et du capital représentatif de la rente d'invalidité servie à M. B... dès lors que le Conseil d'Etat, dans sa décision du 2 décembre 2013, a fait droit à son moyen tiré de ce que le juge du fond ne pouvait, ayant considéré que M. B...n'avait pas établi que la faute de l'hôpital fût la cause d'un préjudice professionnel, décider que la caisse aurait droit au remboursement d'une rente destinée à contribuer à la réparation du préjudice subi par l'intéressé dans sa vie professionnelle du fait du handicap ;
- c'est à bon droit que la Cour a rejeté la demande de M. B...tendant à ce qu'il soit indemnisé d'un préjudice professionnel au motif que le lien de causalité entre l'erreur de diagnostic imputable au centre hospitalier et la perte de revenus alléguée n'était pas établi et a estimé que devait être écarté le moyen tiré de ce que cette erreur de diagnostic aurait été à l'origine d'une perte de chance de bénéficier de revenus plus importants dès lors qu'il n'était pas certain qu'il aurait pu continuer d'occuper son emploi de monteur en installations thermiques ;
- l'appréciation ainsi portée par la Cour n'a pas été censurée par le Conseil d'Etat ;
- en tout état de cause, l'existence d'un préjudice professionnel n'est pas établie, M. B... ayant retrouvé un emploi faisant appel aux mêmes compétences que celles dont il avait besoin pour son emploi précédent, ce nouvel emploi étant un emploi similaire au précédent qui n'a aucune raison d'être moins rémunéré ;
Vu l'ordonnance en date du 25 février 2014 fixant la clôture d'instruction au 14 mars 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'arrêté du 10 décembre 2013 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 avril 2014 :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
1. Considérant qu'à la suite d'un accident de travail survenu le 19 août 2004, M. B... a été transporté au centre hospitalier universitaire de Grenoble où une plaie à son avant-bras gauche a été explorée et suturée ; qu'en raison de douleurs persistantes, une échographie a été pratiquée le 15 septembre 2004 qui a décelé une lésion du tendon du grand palmaire ; qu'il a alors présenté, en invoquant un retard fautif de diagnostic, un recours indemnitaire contre cet établissement, aux fins d'obtenir réparation de ses préjudices personnels et des pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle liée au fait qu'il est désormais incapable de porter des objets lourds ; que, par un jugement du 26 novembre 2010, le Tribunal administratif de Grenoble a estimé que le centre hospitalier universitaire de Grenoble était responsable d'une erreur de diagnostic, l'a condamné à réparer les préjudices personnels de l'intéressé et à rembourser à la caisse primaire, outre les indemnités journalières versées pendant la période d'incapacité temporaire totale, la somme de 17 585,85 euros correspondant à la moitié des arrérages échus et du capital représentatif des échéances futures de la rente d'accident du travail servie à la victime ; qu'il a, en revanche, rejeté la demande présentée par M. B... au titre de ses pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle ; que, par un arrêt du 6 octobre 2011, la Cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel présenté par M. B..., ainsi que l'appel incident formé par le centre hospitalier universitaire de Grenoble, et a accordé à la caisse primaire, en plus des indemnités qui lui avaient été allouées en première instance, le remboursement de frais médicaux et pharmaceutiques ; que, par la décision susvisée du 2 décembre 2013, le Conseil d'Etat a annulé ledit arrêt en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. B...tendant à l'indemnisation de pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle et a alloué à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère la somme de 17 585,85 euros en remboursement d'une part de la rente d'accident du travail versée à l'intéressé ; que, par cette même décision, le Conseil d'Etat a renvoyé dans cette mesure cette affaire à la Cour de céans ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre./ Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après./ Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel./ Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée./ Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions qu'il y a lieu de déterminer, pour chacun des postes de préjudices, le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il y a lieu ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; qu'il y a lieu enfin d'allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
4. Considérant, d'autre part, qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
5. Considérant que M. B...soutient qu'étant dans l'incapacité de porter des objets en raison de la faute commise par le centre hospitalier, il a été licencié de son emploi de monteur en installations thermiques et qu'après avoir suivi une formation, il occupe un emploi de monteur en télécommunications ; qu'il expose qu'il subit ainsi une perte de revenus du fait de cette reconversion professionnelle et un préjudice professionnel ;
6. Considérant qu'il résulte toutefois des constatations de l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble que, même dans le cas d'une suture parfaite de la blessure, " il y aurait eu forcément une perte de force de la flexion palmaire du poignet " dès lors que, selon lui, un tendon cicatriciel ne peut avoir de performances normales ; que cet expert évalue la perte de force musculaire invalidante résultant de la blessure au poignet à 4 sur une échelle de 5, mais précise qu'en l'absence de faute de l'hôpital l'intéressé aurait néanmoins subi une perte de force qui aurait été deux fois moins importante ; que, compte tenu de ces éléments et eu égard aux caractéristiques de l'emploi de monteur en installations thermiques qu'occupait M. B... avant son accident nécessitant l'usage de son poignet en force, il n'aurait pu conserver cet emploi s'il n'avait été victime que de la perte de force musculaire de 2/5 imputable au seul accident initial ; que, dans ces conditions, l'existence d'un lien certain et direct de causalité entre, d'une part, l'erreur de diagnostic imputable au centre hospitalier et, d'autre part, la perte de revenus alléguée et le préjudice professionnel résultant de l'incapacité à exercer son métier d'installateur thermique et de sa reconversion professionnelle, n'est pas établie ; que la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Grenoble, résultant d'une erreur de diagnostic, n'a pas davantage privé le requérant d'une chance d'échapper à une invalidité faisant obstacle à la poursuite de son activité professionnelle ; qu'au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des bulletins de salaires et des fiches de métier produits, que M. B...subirait des pertes de revenus à la suite de sa reconversion professionnelle dans un emploi de monteur en télécommunications, que ses perspectives de carrière dans ce nouvel emploi se trouveraient réduites par rapport à celles d'installateur thermique ou qu'il subirait un déclassement professionnel en raison de ce changement de travail ou encore qu'il a dû engager des frais pour se former et réaliser cette reconversion ;
7. Considérant qu'il s'ensuit que la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Grenoble n'a pas entraîné de pertes de revenus professionnels et n'a pas eu une incidence professionnelle pour M.B... ; que, par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de ces deux chefs de préjudices ;
8. Considérant, enfin, qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de pertes de revenus professionnels et d'incidence professionnelle résultant de la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Grenoble, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ne peut obtenir le remboursement de tout ou partie des sommes versées à son assuré au titre d'une rente d'accident du travail, laquelle a pour objet exclusif de réparer les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident ; que, par suite, et contrairement à ce qu'expose la caisse, le centre hospitalier universitaire de Grenoble est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à payer à la caisse la somme de 17 585,85 euros correspondant à la moitié des arrérages échus et du capital représentatif de la rente d'accident du travail servie à M. B... ;
DECIDE :
Article 1er : Les conclusions de M. B...tendant à l'annulation du jugement n° 0701409 du 26 novembre 2010 du Tribunal administratif de Grenoble, en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle résultant de sa reconversion professionnelle et à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser lesdites indemnités, sont rejetées.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 26 novembre 2010 est annulé en tant qu'il a condamné le centre hospitalier universitaire de Grenoble à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère la somme de 17 585,85 euros correspondant à la moitié des arrérages échus et du capital représentatif de la rente d'accident du travail servie à M. B.... La demande de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère présentée devant le Tribunal tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser ladite somme est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire de Grenoble et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2014 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
MM. Segado etC..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 15 mai 2014.
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N° 13LY03223