Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 27 novembre 2012, présentée pour la SARL Abredis dont le siège est rue de la République à Les Abrets (38490) ;
La SARL Abredis demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801750 du 27 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur les achats de viande qu'elle a acquittée au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, assortie des intérêts moratoires ;
2°) de prononcer la restitution de la taxe en litige, soit 81 591 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de ses " frais irrépétibles " de première instance et d'appel ;
Elle soutient que :
- après avoir prononcé le dégrèvement de la taxe mise à sa charge, l'administration fiscale ne pouvait rétablir l'imposition par la procédure contradictoire qu'elle a suivie ; que l'avis de mise en recouvrement vise la proposition du 20 décembre 2004 qui a été annulée ensuite et ne respecte pas l'article R. * 256-1 du livre des procédures fiscales,
- que, comme cela ressort de la doctrine de l'administration, et notamment de la réponse ministérielle A...et de la note du 6 janvier 2004, ainsi que des débats parlementaires et des arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, la taxe sur les achats de viande constituait une aide d'Etat, qui, n'ayant pas été notifiée à la Commission européenne en méconnaissance du traité instituant la Communauté européenne, est illégale,
- que faute de notification préalable, et de non exécution avant décision de la Commission, tant lors de sa création que lors de sa modification en 2001, cette taxe est contraire à l'article 88, paragraphe 3, du même traité,
- que la taxe sur les achats de viande constitue une mesure d'effet équivalent à un droit de douane, contraire aux articles 23 CE et 25 CE du Traité ; qu'elle constitue une mesure nationale discriminatoire contraire à l'article 90 du Traité ;
- qu'elle constitue une aide indirecte aux producteurs français, visant à financer le service public de l'équarrissage, et en conséquence incompatible avec les stipulations de l'article 87 du Traité ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe de la Cour le 2 avril 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui conclut au rejet de la requête, aucun des moyens n'étant fondé notamment pas celui relatif à la proposition de rectification du 29 juin 2005 qui est seulement rectificative et ne mentionne pas qu'elle annule et remplace celle du 21 décembre 2004, laquelle n'a été visée dans l'avis de mise en recouvrement que par une pure erreur matérielle ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 septembre 2013 :
- le rapport de M. Chanel, président de chambre,
- et les conclusions de M. Lévy Ben Cheton, rapporteur public ;
1. Considérant que la SARL Abredis, après avoir déclaré conformément aux dispositions de l'article 302 bis ZD du code général des impôts alors en vigueur la valeur de ses achats et payé la taxe sur les achats de viande qu'elle estimait en conséquence devoir au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, soit 81 591 euros, en a demandé la restitution par réclamation du 20 décembre 2002 ; que, par décision du 8 septembre 2004, l'administration lui a restitué la somme en question, puis a informé la société par courrier du 10 novembre 2004 que cette restitution avait été accordée par erreur et que la situation serait régularisée ; que par courrier du 20 décembre 2004, l'administration fiscale lui a adressé une proposition de rectification expliquant les motifs pour lesquels la taxe restituée à tort était rappelée ; que, par lettre du 14 novembre 2007, le rappel de taxe correspondant, soit 81 591 euros, a été confirmé à la société ; que l'imposition supplémentaire découlant de ces rappels a été mise en recouvrement le 30 novembre 2007 pour le même montant ; que la société a contesté cette décision par une réclamation en date du 14 décembre 2007, qui a été rejetée le 7 mars 2008 ; que, par jugement du 27 décembre 2012, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande ; que la SARL Abredis interjette appel de ce jugement ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. / Un avis de mise en recouvrement est également adressé par le comptable public pour la restitution des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature mentionnés au premier alinéa et indûment versés par l'Etat. / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est signé et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret. Les pouvoirs de l'autorité administrative susmentionnée sont également exercés par le comptable public. / Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article R.* 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ; / (...) / L'avis de mise en recouvrement, dans le cas mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 256, indique seulement le montant de la somme indûment versée, et la date de son versement. " ;
3. Considérant que l'avis de mise en recouvrement émis le 30 novembre 2007 mentionne, notamment, le montant des droits simples, soit 81 591 euros, fait référence à la proposition de rectification du 20 décembre 2004, et indique par ailleurs la nature de l'imposition et la période concernée, soit l'année 2001 ; qu'il répond ainsi aux prescriptions de l'article R.* 256-1 du livre des procédures fiscales ; que si la société requérante fait valoir que ladite proposition a été annulée et remplacée par une autre du 21 décembre 2004, il n'est pas contesté qu'il s'est agi d'une simple erreur matérielle, la proposition de rectification du 20 décembre 2004 ayant été seulement complétée pour faire figurer le nom de son signataire ; qu'ainsi la mention de cette dernière proposition n'a pu induire en erreur la société, laquelle, par ailleurs, ne saurait sérieusement prétendre que cette proposition de rectification aurait été annulée et remplacée par celle, seulement " rectificative ", du 29 juin 2005, qui au demeurant n'y fait pas référence ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'avis susmentionné serait irrégulier et vicierait la procédure contradictoire suivie ;
4. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne : " Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...)/2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale " ;
5. Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;
6. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure et, d'autre part, que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
7. Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du 1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le 1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l'Etat ;
8. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : " II est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général " ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ; que l'intention du gouvernement et du législateur exprimée à l'occasion de débats parlementaires de ne pas obérer le budget général de l'Etat des dépenses autrefois supportées par le fonds spécial géré par le CNASEA et la corrélation constatée entre le produit de la taxe et les dépenses à couvrir ne suffisent pas, à elles seules, à établir un tel lien ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant plus, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de lien d'affectation contraignant entre elle et le service public de l'équarrissage, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, la société requérante ne peut invoquer, au soutien de sa demande en restitution de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
9. Considérant que compte tenu de l'absence susmentionnée de lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage à compter du 1er janvier 2001, est inopérant, au soutien d'une demande en restitution de la taxe sur les achats de viande en litige, le moyen tiré de ce que le régime d'aide constitué par le service public de l'équarrissage aurait dû être notifié à l'origine à la Commission européenne ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 90 du traité instituant la Communauté européenne : " Aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires (...) " ; que, pour qu'une taxe puisse être qualifiée de taxe d'effet équivalent à un droit de douane interdite par l'article 25 du traité, ou d'imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 90, les recettes procurées par cette taxe doivent être affectées au profit des seuls produits nationaux ; que la taxe sur les achats de viande ayant été, ainsi qu'il a été dit, affectée à compter du 1er janvier 2001 au budget général de l'Etat, compte tenu du principe d'universalité budgétaire, les moyens tirés de ce qu'elle constituerait une taxe d'effet équivalent à un droit de douane ou une imposition intérieure discriminatoire ne peuvent qu'être écartés ;
11. Considérant que la note du 6 janvier 2004 émanant du service juridique de la direction générale des impôts présente le caractère d'un document interne à l'administration qui n'a pas fait l'objet de la part de celle-ci d'une diffusion destinée aux contribuables ; que, dès lors, la société requérante ne saurait utilement l'invoquer sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; qu'elle ne peut davantage se prévaloir de la réponse du ministre de l'économie faite à la question écrite n° 10.460 de M. A..., sénateur, postérieure à la date à laquelle l'imposition contestée a été établie et qui ne comporte, en outre, aucune interprétation du texte fiscal dont il lui a été fait application ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Abredis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions tendant au remboursement de ses " frais irrépétibles " de première instance et d'appel ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Abredis est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Abredis et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2013 à laquelle siégeaient :
M. Chanel, président de chambre,
M. Bourrachot, président,
M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 septembre 2013.
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N° 12LY02920