Vu le recours, enregistré le 27 juin 2012, présenté par le ministre de la défense ;
Le ministre de la défense demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0903244 du 25 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a :
- annulé sa décision implicite refusant de reconstituer la carrière de M.A... ;
- condamné l'Etat à verser à M. A...une indemnité correspondant à la différence entre la rémunération qui aurait été la sienne s'il avait été promu dans le groupe VI en 1995 et au groupe VII en 2004 et celle qu'il a effectivement perçue outre une somme de 1 000 euros à M. A...au titre de la réparation de son préjudice moral ;
- l'a enjoint de reclasser M. A...au groupe VI à compter de l'année 1995 et au groupe VII à compter de l'année 2004 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif ;
Il soutient que :
- le jugement attaqué peut faire l'objet d'un appel ;
- l'intervention volontaire de la fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat n'était pas recevable ;
- les éléments produits par M. A...ne permettent pas de présumer l'existence d'une discrimination syndicale à son encontre ;
- c'est à tort que le Tribunal a reconnu la responsabilité de l'administration pour les faits de discrimination allégués par M. A...dès lors que l'existence d'une discrimination syndicale n'est pas établie ;
- l'évaluation du préjudice subi par le requérant doit tenir compte du fait que lorsque la promotion intervient au choix, les agents de l'Etat ne peuvent être privés d'une chance sérieuse de l'obtenir et, qu'en tout état de cause, la réparation de la perte de chance est mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;
- M. A...ne pouvait ignorer l'existence de décisions qui lui auraient préjudicié tout au long de sa carrière ; dès lors, l'éventuelle créance qu'il détiendrait est prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2005 ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2012, présenté pour M. B...A...et la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat qui concluent :
- au rejet du recours ;
- à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a limité à 1 000 euros l'évaluation et l'indemnisation du préjudice moral de M.A... ;
- à la condamnation de l'Etat à verser à M.A..., la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi ;
- à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat, au profit de M.A..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- M. A...apporte la preuve d'éléments de faits susceptibles de faire présumer de l'existence d'une violation du principe de non discrimination ; il disposait de toutes les qualités requises pour progresser, et n'a été maintenu si longtemps dans le groupe V que pour des motifs étrangers à sa valeur professionnelle, à savoir son activité syndicale ;
- M. A...accepte la méthode de reconstitution de ses droits retenue par le Tribunal ;
- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros ;
- aucune prescription ne peut lui être opposée ;
- la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat justifie d'un intérêt à agir, tant au regard des intérêts individuels de M.A..., qu'au regard des intérêts collectifs de la profession ;
Vu le mémoire enregistré le 22 mars 2013 présenté par le ministre de la défense qui conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire enregistré le 30 avril 2013, présenté pour M. A...et la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat qui concluent aux mêmes fins, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret du 26 février 1897 relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires, ensemble le décret du 1er avril 1920 relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine et le décret du 8 janvier 1936 fixant le statut du personnel ouvrier des établissements et services extérieurs du ministère de l'air ;
Vu le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 (n° 2001-1276 du 28 décembre 2001) ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 2013 :
- le rapport de Mme Dèche, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;
1. Considérant que le ministre de la défense fait appel du jugement du 25 avril 2012, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision implicite refusant de reconstituer la carrière de M.A..., a condamné l'Etat à verser à l'intéressé une indemnité correspondant à la différence entre la rémunération qui aurait été la sienne s'il avait été promu dans le groupe VI en 1995 et au groupe VII en 2004 et celle qu'il a effectivement perçue outre, une somme de 1 000 euros versée à M. A...au titre de la réparation de son préjudice moral et l'a enjoint de reclasser l'intéressé au groupe VI à compter de l'année 1995 et au groupe VII à compter de l'année 2004 ;
Sur l'intervention de Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat :
2. Considérant, en premier lieu, que, dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui se prévalent d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier ; que, s'agissant des conclusions indemnitaires présentées par M.A..., la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat ne se prévalait devant les premiers juges d'aucun droit propre auquel la décision à rendre était susceptible de préjudicier ; que, dès lors, son intervention n'était pas recevable ; que le ministre de la défense est donc fondé à demander l'annulation du jugement attaqué qu'en tant qu'il a admis l'intervention de la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat , à l'appui des conclusions indemnitaires de M. A...;
3. Considérant, en second lieu, que s'agissant des conclusions indemnitaires présentées dans le cadre du présent litige, la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat ne se prévaut, dans la présente instance, d'aucun droit propre auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier ; que dès lors son intervention n'est pas recevable ;
Sur le fond :
4. Considérant que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cet office doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ; que, s'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision en litige repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'en se bornant à faire valoir que les ouvriers de l'Etat ne détiennent aucun droit à l'avancement au groupe supérieur qui est subordonné à une sélection au choix, à la réussite d'essais ou au suivi d'une formation qualifiante et que M. A...a bénéficié de mesures d'avancement, le 1er juin 1987 et le 1er janvier 2006, le ministre de la défense qui ne conteste pas le fait que l'intéressé justifiait de bonnes notations n'apporte pas plus en appel que devant les premiers juges d'éléments de nature à établir que le retard subi par l'intéressé dans l'avancement aux groupes supérieurs par rapport à ses collègues, durant la période où il était engagé dans des activités syndicales, reposerait sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que pour établir qu'il a fait l'objet d'une discrimination dans le déroulement de la carrière, M. A...produit des tableaux de comparaison entre l'évolution de sa carrière et celle de treize autres ouvriers de l'Etat, tous employés dans le même établissement que le sien, en qualité de mécaniciens, et bénéficiant d'un même groupe de classification (groupe III) au moment de leur recrutement dans les années 1981, 1982 et 1983 ; que contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, qui n'apporte aucun élément de nature à établir que les agents dont les avancements ont été les plus faibles auraient été exclus de cette sélection, le panel ainsi établi par M. A...repose sur des éléments suffisamment pertinents et représentatifs pour permettre d'établir une comparaison de l'évolution de sa carrière avec celles de collègues placés dans une situation similaire à la sienne, alors même qu'en 2003, M. A... a quitté le 3ème BSMAT de Fourchambault pour rejoindre le CPA de Lyon ; que les éléments de comparaison ainsi proposés par M. A...permettent également d'établir une moyenne de comparaison pertinente, alors même que cette dernière prend en compte, à partir de 2003, la situation des chefs d'équipe relevant de groupes de rémunération spécifique et à laquelle, il n'est pas établi que M. A...n'aurait pu prétendre ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que M. A...doit, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, être regardé comme établissant avoir été illégalement privé de l'avancement au groupe VI à compter de 1995 et au groupe VII à compter de 2004 du fait de ses engagements syndicaux ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que, contrairement à ce que soutient le ministre, M. A... n'a pas subi une simple perte chance de pouvoir bénéficier de la progression de carrière à laquelle il aurait eu droit s'il n'avait pas fait l'objet des mesures de discrimination susmentionnées ; qu'ainsi que l'ont estimé les premiers juges, du fait de la faute commise par le ministre de la défense, il a droit à être indemnisé de l'intégralité de la somme correspondant à la perte de rémunération subie, dont le montant n'est pas contesté en appel par le ministre de défense ;
9. Considérant, en cinquième lieu, que dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de la gravité de la faute commise, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A...en portant la somme de 1 000 euros allouée par le Tribunal à la somme de 3 000 euros ;
10. Considérant, en sixième et dernier lieu, que si l'Etat a opposé la prescription à la demande d'indemnisation de M.A..., il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice dont ce dernier se prévaut était alors connu par lui dans toute son étendue depuis plus de quatre ans date à laquelle il a présenté sa réclamation ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède d'une part, que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision implicite refusant de reconstituer la carrière de M. A...et a condamné l'Etat à l'indemniser des préjudices subis, d'autre part, que M. A...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon ne l'a pas indemnisé à hauteur de 3 000 euros ;
Sur les conclusions de M. A...tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que M. A...demande au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 avril 2012 du Tribunal administratif de Lyon est annulé en ce qu'il a admis l'intervention de la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat à l'appui des conclusions indemnitaires de M.A.... L'intervention dudit syndicat dans cette mesure en appel n'est pas admise
Article 2 : La somme de 1 000 euros allouée par le Tribunal administratif de Lyon à M. A...est portée à 3 000 euros.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 25 avril 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à M. B...A...et à la Fédération nationale CGT des travailleurs de l'Etat.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2013 à laquelle siégeaient :
M. Tallec, président de chambre,
M. Rabaté, président-assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 mai 2013.
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N° 12LY01657