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10/01/2013 | FRANCE | N°12LY00171

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 10 janvier 2013, 12LY00171


Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2012, présentée par le préfet du Rhône, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1103012 du 29 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé, à la demande de M. D...A..., sa décision du 12 avril 2011 lui retirant la carte professionnelle de conducteur de taxi qui lui avait été renouvelée le 6 mars 2008 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 600 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il retient que la décision aurait d

û être précédée d'une procédure contradictoire, dès lors que l'administration...

Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2012, présentée par le préfet du Rhône, qui demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1103012 du 29 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé, à la demande de M. D...A..., sa décision du 12 avril 2011 lui retirant la carte professionnelle de conducteur de taxi qui lui avait été renouvelée le 6 mars 2008 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 600 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il retient que la décision aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire, dès lors que l'administration était en situation de compétence liée ;

- les premiers juges ont considéré à tort que le motif invoqué ne pouvait légalement justifier un retrait, dès lors que M. A...ne remplissait plus les conditions de délivrance de la carte professionnelle depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2009-72, que son autorisation était devenue illégale, que l'autorisation d'exercer une profession pouvait être abrogée sans condition de délai du fait de ce changement de circonstance, qu'il était en situation de compétence liée pour édicter la mesure de police contestée et que le décret n° 2009-1064 a supprimé la limite de validité quinquennale des cartes professionnelles, qui ne peuvent plus donner lieu à un renouvellement contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2012, présenté pour M. A... ; M. A... demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'annuler la décision du préfet du Rhône du 12 avril 2011 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient :

- que la procédure contradictoire prévue par la loi n° 2000-321 était applicable, dès lors que son application n'a pas été expressément exclue en la matière ;

- que le décret n° 95-935 modifié par le décret n° 2009-72 ne permet de retirer la carte professionnelle qu'en cas de circonstance de fait postérieure à la délivrance de l'autorisation d'exercice, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ; que la décision de renouvellement du 6 mars 2008 était légale et ne pouvait être retirée au-delà du délai de quatre mois ; que le préfet n'était pas en situation de compétence liée ;

- à titre subsidiaire, que la décision en litige est illégale pour d'autres motifs ; qu'en vertu des dispositions nouvelles du code des transports issues de l'ordonnance du 28 octobre 2010, seule une méconnaissance de la réglementation de la profession, non établie en l'espèce, peut justifier un retrait de la carte professionnelle, et que les articles 6 et 7 modifiés du décret n° 95-935 vont au-delà de ce que permettent les dispositions législatives ; que toute autre interprétation des textes serait contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à l'obstacle ainsi mis à l'exercice par le requérant de son activité professionnelle ;

Vu le mémoire, enregistré le 22 mai 2012, présenté par le préfet du Rhône, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 septembre 2012, présenté pour M. A... qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demande en outre à la Cour de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour d'Appel de Lyon se soit prononcée sur sa dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;

Il fait valoir en outre que le décret n° 2009-1064 n'a pas modifié la durée de validité de la carte professionnelle, contrairement à ce qu'allègue le préfet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 1 ;

Vu le code des transports ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 ;

Vu la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 ;

Vu le décret n° 95-935 modifié du 17 août 1995 ;

Vu le décret n° 2009-72 du 20 janvier 2009 ;

Vu le décret n° 2010-1223 du 11 octobre 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 décembre 2012 :

- le rapport de Mme Samson-Dye, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Vinet, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant M. A...;

Vu, enregistrée le 12 décembre 2012, la note en délibéré présentée pour M.A... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...était titulaire d'une carte professionnelle de taxi depuis le 17 novembre 2003, qu'elle a été renouvelée jusqu'au 6 mars 2008, puis jusqu'au 21 février 2013 ; que cependant, par une décision en date du 12 avril 2011, le préfet du Rhône lui a indiqué qu'il ne remplissait plus les conditions réglementaires pour en être titulaire et lui a enjoint de restituer cette carte ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision ;

Sur la légalité de l'acte en litige :

2. Considérant que l'article 6 du décret susvisé du 17 août 1995, dans sa rédaction en vigueur lors du renouvellement de l'autorisation de M.A..., dispose : " Nul ne peut exercer la profession de conducteur de taxi lorsqu'il a fait l'objet d'une condamnation définitive mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour (...) une condamnation à une peine d'au moins six mois fermes d'emprisonnement pour vol, escroquerie, abus de confiance, outrage public à la pudeur, infraction à la législation en matière de stupéfiants ou pour atteinte volontaire à l'intégrité de la personne " ; que cet article, dans sa rédaction applicable à la date de l'acte en litige, résultant des décrets susvisés des 20 janvier 2009 et 11 octobre 2010, interdit dorénavant l'exercice de cette profession aux personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive à l'une des peines précédemment mentionnées, alors même qu'il s'agirait d'une condamnation avec sursis ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 7 du décret précité du 17 août 1995 dans sa rédaction issue du décret du 20 janvier 2009 : " La carte professionnelle peut être suspendue ou retirée par l'autorité qui l'a délivrée lorsqu'une des conditions mise à sa délivrance cesse d'être remplie ou en cas de non-respect des dispositions de l'article 6-1 " ;

4. Considérant que M. A...a été condamné en 2007 à une peine d'emprisonnement de huit mois avec sursis, pour des faits de violence aggravée ; que, pour exiger la restitution de sa carte professionnelle, le préfet s'est fondé sur la modification des dispositions réglementaires précitées par le décret du 20 janvier 2009, au motif que l'incompatibilité qu'elles instituent s'étend désormais aux peines d'emprisonnement d'au moins six mois, même si elles sont prononcées avec sursis ;

5. Considérant que, pour annuler cette décision, le Tribunal a estimé que " si cette modification des conditions mises à l'exercice d'une profession réglementée est de nature à s'opposer au renouvellement, au terme de sa validité, d'une autorisation temporaire dont, comme en l'espèce, les conditions de maintien doivent faire l'objet d'une vérification régulière, cette circonstance ne permet pas toutefois au préfet de remettre en cause pendant leur période de validité les autorisations antérieures légalement délivrées ou renouvelées selon la réglementation alors en vigueur, en se fondant sur des faits, une condamnation ou une inscription au casier judiciaire antérieurs à la décision d'attribution ou de renouvellement de cette carte, au motif que leurs conditions de prise en compte ont depuis cette date évolué " ;

6. Considérant cependant que l'incapacité attachée à certaines condamnations pénales, édictée par le texte régissant les conditions d'accès à une profession, ne constitue pas une peine complémentaire mais une mesure de sûreté qui, dès l'entrée en vigueur du texte qui l'institue, frappe la personne antérieurement condamnée, sauf disposition transitoire contraire ; que le décret du 20 janvier 2009, qui a étendu aux peines avec sursis l'incapacité résultant antérieurement de certaines condamnations à des peines d'emprisonnement fermes, n'a pas prévu de dispositions transitoires faisant échapper les condamnations prononcées antérieurement à son application ;

7. Considérant par ailleurs que l'article 7 du décret du 17 août 1995 modifié, qui codifie l'exercice d'un pouvoir existant même sans texte, ne saurait être interprété comme ne permettant le retrait de la carte professionnelle qu'en cas de changement de circonstance de fait ; qu'il permet également à l'autorité compétente d'abroger la carte professionnelle lorsque, après l'entrée en vigueur d'une disposition nouvelle d'application immédiate, l'intéressé ne remplit plus les conditions lui permettant d'exercer légalement la profession de conducteur de taxi, sans qu'elle doive attendre la date de renouvellement de la carte professionnelle pour tirer les conséquences de cette incapacité ;

8. Considérant que le préfet est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal s'est fondé sur l'impossibilité de remettre en cause la carte professionnelle durant sa période de validité en raison d'une circonstance de droit nouvelle pour annuler sa décision du 12 avril 2011 ;

9. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...tant devant le Tribunal que devant la Cour ;

10. Considérant que le requérant invoque, à titre subsidiaire, l'illégalité et l'inconventionalité du décret du 20 janvier 2009, en tant qu'il n'exclut pas la prise en compte de changements de circonstance de droit postérieurs à la délivrance de la carte professionnelle ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article 2 bis de la loi du 17 août 1995, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juin 2003, applicable au décret contesté : " le préfet peut, en cas de violation par le conducteur de la réglementation applicable à la profession, lui donner un avertissement ou procéder au retrait temporaire ou définitif de sa carte professionnelle " ; que ces dispositions ne sauraient être regardées comme interdisant que la disparition des conditions permettant légalement d'exercer la profession de chauffeur de taxi, résultant de circonstances de droit nouvelles, soit sanctionnée par l'abrogation de la carte professionnelle ; que l'exigence d'une carte professionnelle comporte nécessairement, pour l'autorité qui la donne, le pouvoir de l'abroger lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à son octroi ;

12. Considérant par ailleurs qu'aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; que l'application immédiate d'une incompatibilité professionnelle aux personnes antérieurement condamnées avec sursis ne porte pas d'atteinte injustifiée à un bien, au sens de ces stipulations, eu égard à l'intérêt général s'attachant à encadrer l'exercice de la profession de conducteur de taxi et à la nature des actes donnant lieu aux condamnations en cause ;

13. Considérant qu'il suit de là que M. A...n'est fondé à se prévaloir ni de l'inconventionalité ni de l'illégalité du décret du 20 janvier 2009 ;

14. Considérant qu'en l'espèce, le bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. A...mentionnait une condamnation à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis ; que, si M. A...a demandé aux juridictions judiciaires la suppression de cette mention, cette procédure, qui n'est pas suspensive, n'avait pas, à la date de l'acte en litige, donné lieu à une suppression de la mention de cette condamnation ; que, compte tenu des dispositions impératives précitées de l'article 6 du décret du 17 août 1995, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'acte attaqué, le préfet, ayant constaté cette inscription, était tenu de rapporter l'autorisation d'exercer la profession de chauffeur de taxi dont bénéficiait l'intéressé ; que, dans ces conditions, les moyens tiré du vice de procédure, pour absence de procédure contradictoire, du caractère disproportionné de la mesure et de l'erreur manifeste d'appréciation sont inopérants ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Lyon a annulé sa décision en date du 12 avril 2011 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1103012 du Tribunal Administratif de Lyon en date du 29 novembre 2011 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A...devant le Tribunal administratif et devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...A....

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2012, où siégeaient :

- M. du Besset, président,

- M. B...et Mme Samson-Dye, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 10 janvier 2013.

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N° 12LY00171

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12LY00171
Date de la décision : 10/01/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Disparition de l'acte - Abrogation - Abrogation des actes non réglementaires.

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Réglementation des activités économiques - Activités soumises à réglementation - Taxis.


Composition du Tribunal
Président : M. du BESSET
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON DYE
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : MADIGNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2013-01-10;12ly00171 ?
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