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04/10/2012 | FRANCE | N°12LY00527

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 04 octobre 2012, 12LY00527


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2012 au greffe de la Cour, présentée pour Mme Fatou A, domiciliée chez ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1106774, du 26 janvier 2012, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône, du 23 août 2011, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel elle serait reconduite ;

2°) d'annuler, pour exc

ès de pouvoir, les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à tit...

Vu la requête, enregistrée le 23 février 2012 au greffe de la Cour, présentée pour Mme Fatou A, domiciliée chez ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1106774, du 26 janvier 2012, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône, du 23 août 2011, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel elle serait reconduite ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient qu'en lui opposant son absence de résidence habituelle en France pour lui refuser le bénéfice des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation ; que le tribunal administratif a fait une appréciation erronée des pathologies physiques dont elle est atteinte ; que le préfet du Rhône n'a pas tenu compte de ses troubles psychologiques ; que son état de santé, tant physique que psychologique, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; qu'ainsi, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'un retour dans son pays d'origine, où elle ne pourra avoir accès aux soins qui lui sont nécessaires, entraînera une aggravation de son état de santé et que, par suite, la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en omettant de mentionner le pays d'origine vers lequel elle serait reconduite, alors qu'elle a la double nationalité gambienne et sénégalaise, le préfet a également entaché cette décision d'erreur manifeste d'appréciation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 mars 2012, présenté pour Mme A, tendant aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ; elle fait valoir, en outre, au soutien du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, que son état psychologique s'est considérablement dégradé postérieurement aux décisions litigieuses ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2012, présenté pour le préfet du Rhône, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il pouvait valablement opposer à Mme A son absence de résidence habituelle en France pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle ne démontre pas, par les pièces qu'elle produit, qu'un défaut de prise en charge médicale l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; que la requérante ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ; que la requérante ne peut se prévaloir d'aucune circonstance humanitaire exceptionnelle ; que, s'agissant de la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ; qu'elle n'établit pas posséder la double nationalité gambienne et sénégalaise et que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait, pour ce motif, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative d'appel) près le Tribunal de grande instance de Lyon, en date du 8 mars 2012, admettant Mme A au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2012 :

- le rapport de M. Reynoird, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Jourdan, rapporteur public ;

- et les observations de Me Di Nicola, avocate de Mme A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme Fatou A, de nationalité sénégalaise et gambienne, née le 20 octobre 1984, est entrée sur le territoire français le 17 février 2011 ; qu'elle a sollicité du préfet du Rhône la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", en qualité d'étranger malade, sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par décision du 23 août 2011, le préfet du Rhône a refusé de faire droit à cette demande, aux motifs que, d'une part, Mme A ne résidait pas habituellement sur le territoire français et, d'autre part, le défaut de prise en charge médicale ne devait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle serait reconduite ; que Mme A relève appel du jugement du 26 janvier 2012 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions ;

Sur la décision de refus de délivrance de titre de séjour :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) " et qu'aux termes de l'article R. 313-22 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. Par dérogation, à Paris, ce médecin est désigné par le préfet de police. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. Quand la commission médicale régionale a été saisie dans les conditions prévues à l'article R. 313-26, l'avis mentionne cette saisine. / L'étranger mentionné au 11° de l'article L. 313-11 qui ne remplirait pas la condition de résidence habituelle peut recevoir une autorisation provisoire de séjour renouvelable pendant la durée du traitement " ;

Considérant que, comme elle l'indique elle-même dans ses écritures, Mme A est entrée en France le 17 février 2011, en vue d'obtenir un titre de séjour et afin de s'y faire soigner ; que, dans ces conditions, eu égard notamment à l'entrée très récente de la requérante sur le territoire national, le séjour en France de Mme A ne présentait pas, le 23 août 2011, date de la décision attaquée, un caractère d'ancienneté et de stabilité suffisant pour permettre de la regarder comme résidant habituellement en France au sens des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, Mme A n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions susmentionnées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision attaquée quant à l'exceptionnelle gravité des conséquences d'un défaut de prise en charge médicale de l'intéressée, compte tenu de son état de santé, est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de cette décision, dès lors que le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif relatif à l'absence de résidence habituelle en France de la requérante ;

Sur la décision désignant le pays de destination :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen invoqué par Mme A :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ; que ces dispositions font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne ;

Considérant que Mme A fait valoir, au soutien du moyen tiré de la violation, par la décision désignant le pays de destination, des stipulations précitées, qu'un retour dans son pays d'origine entraînera une aggravation de son état de santé dès lors qu'elle ne pourra y accéder aux soins qui lui sont nécessaires ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du certificat médical établi par le docteur Jouffrey du 13 janvier 2012, que Mme A souffrait " d'une kéloïde bulleuse surinfectée de la cuisse gauche avec grand délabrement cutané. Cette lésion doit être traitée le plus rapidement possible au risque de mettre en danger la vie de cette jeune fille ", ce certificat révélant une situation antérieure à la décision préfectorale en litige ; qu'il ressort également de l'avis du médecin de l'Agence régionale de santé, du 20 juin 2011, que Mme A " ne peut avoir accès, dans son pays d'origine, à un traitement approprié " et que les soins nécessités par son état " doivent, en l'état actuel, être poursuivis pendant 24 mois " ; qu'ainsi, Mme A est fondée à soutenir que, par sa décision du 23 août 2011 désignant le Sénégal comme pays de renvoi, le préfet du Rhône a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'absence de traitement approprié dans son pays d'origine, alors même que la nécessité des soins est avérée tant par son médecin que par le médecin de l'Agence régionale de santé, pouvant être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention précitée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du préfet du Rhône désignant le Sénégal comme pays de renvoi ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre seulement au préfet du Rhône de réexaminer la situation de Mme A dans un délai de deux mois et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu de prononcer l'astreinte demandée ;

Sur les conclusions à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que Mme A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Di Nicola, avocate de Mme A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au profit de Me Di Nicola, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1106774 du 26 janvier 2012 du Tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées pour Mme A à l'encontre de la décision du préfet du Rhône du 23 août 2011 désignant le Sénégal comme pays de reconduite si elle ne respectait pas l'obligation de quitter le territoire français à laquelle elle était soumise, ensemble ladite décision préfectorale.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de réexaminer la situation de Mme A dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : En application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat versera la somme de mille euros à Me Di Nicola, avocate de Mme A, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Fatou A, au ministre de l'intérieur et au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2012 à laquelle siégeaient :

M. Montsec, président,

Mme Mear, président-assesseur,

M. Reynoird, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 octobre 2012.

Le rapporteur,

C. REYNOIRD

Le président,

P. MONTSEC

Le greffier,

F. PROUTEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition,

Le greffier,

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N° 12LY00527

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12LY00527
Date de la décision : 04/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. MONTSEC
Rapporteur ?: M. Claude REYNOIRD
Rapporteur public ?: Mme JOURDAN
Avocat(s) : DI NICOLA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-10-04;12ly00527 ?
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