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10/07/2012 | FRANCE | N°11LY02569

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 10 juillet 2012, 11LY02569


Vu la requête, enregistrée le 21 octobre 2011, présentée pour la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE dont le siège social est à Saint-Nectaire (63710) ;

La SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902163 du 20 septembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux qu'elle a acquittés au titre des années 2004 à 2008 ;

2°) de prononcer cette restitution ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1

0 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle souti...

Vu la requête, enregistrée le 21 octobre 2011, présentée pour la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE dont le siège social est à Saint-Nectaire (63710) ;

La SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902163 du 20 septembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux qu'elle a acquittés au titre des années 2004 à 2008 ;

2°) de prononcer cette restitution ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que les prélèvements litigieux, intervenus avant la loi n° 2008-1443 de finances rectificative pour 2008 et la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation du tourisme, sont incompétemment fondés sur les dispositions réglementaires des articles 15 et 18 du décret du 22 décembre 1959 contraires à la Constitution, ce à quoi le tribunal administratif a omis de répondre, l'article 14 de la loi de finances du 19 décembre 1926 instituant un prélèvement progressif sur le produit brut des jeux et les autres textes législatifs qui s'y réfèrent n'ayant défini ni l'assiette ni les modalités de recouvrement de cet impôt ni renvoyé, pour ces définitions, au pouvoir réglementaire ; que l'article premier du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu par la validation rétroactive introduite par le III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009, quand bien même le Conseil constitutionnel a, par décision n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010, considéré cette validation conforme à la Constitution ; qu'en écartant ses demandes au seul motif que les sommes en cause seraient la propriété de l'Etat, sans rechercher si elle bénéficiait d'une espérance légitime de restitution, le tribunal a fait une application erronée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil d'Etat ; que l'Etat n'a pu devenir propriétaire des sommes en cause sur le fondement des dispositions inconstitutionnelles de l'article 18 du décret du 22 décembre 1959 ; que la loi de validation ne répond pas à un intérêt général suffisant ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 février 2012, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, tendant au rejet de la requête ;

Il soutient que la loi de validation du 22 juillet 2009, conforme à la Constitution et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, fait obstacle à ce que les prélèvements soient contestés par le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire ; que la requérante n'est titulaire d'aucun bien au sens de l'article premier du premier protocole additionnel à cette Convention ni d'aucune créance fondée sur une espérance légitime de se voir restituer des sommes perdues par les joueurs dont, au regard du droit interne, elle n'a jamais été propriétaire, les casinos n'en étant que les collecteurs et non les débiteurs ; que la restitution des prélèvements aux casinos constituerait pour eux un enrichissement injustifié, les seuls contribuables étant les joueurs dont les pertes sont imposées ; qu'aucune décision de justice ne pouvait laisser penser à la société requérante, qui n'a saisi le tribunal qu'après le loi du 22 juillet 2009, qu'elle détenait une créance sur l'Etat ; que la validation rétroactive des prélèvements est conforme aux mêmes stipulations ; qu'il n'y a aucune atteinte injustifiée à ses droits ; que les dispositions réglementaires des décrets des 22 et 23 décembre 1959 et de l'arrêté du 14 mai 2007 constituent des lois au sens de ces stipulations ; que les intérêts généraux poursuivis par la loi de validation étaient d'éviter que les exploitants de casinos ne bénéficient d'un effet d'aubaine en obtenant la restitution de prélèvements sur le produit des jeux sur le seul motif de l'évolution de leur qualification juridique, de poursuivre un objectif de bonne gestion des deniers publics et d'éviter l'encombrement des juridictions, d'assurer la continuité des services publics locaux, enfin d'assurer le maintien d'une politique de sécurité publique et de protection de la santé ; que les moyens employés par la loi de validation sont proportionnés ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 avril 2012, présenté pour la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE, tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Elle soutient, en outre, que ce sont les casinos qui sont redevables des prélèvements et recevables à en demander la restitution ;

Vu l'ordonnance du 10 mai 2012 fixant la clôture d'instruction au 25 mai 2012, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 1907-06-15 du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, notamment son article 4 ;

Vu la loi du 19 décembre 1926 portant fixation du budget général de l'exercice 1927, notamment son article 14 ;

Vu la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;

Vu la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, notamment son article 27 ;

Vu le décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 juin 2012 :

- le rapport de M. Besson, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Jourdan, rapporteur public ;

Considérant que la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE, qui exploite un casino dans les conditions fixées par la loi du 15 juin 1907 réglementant les jeux dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, fait appel du jugement n° 0902163 du 20 septembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux qu'elle a acquittés au titre des années 2004 à 2008 ;

Considérant qu'aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) " ; que, d'une part, une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, d'autre part, lorsque sont ainsi en cause des droits et obligations de caractère civil, l'adoption de mesures législatives à portée rétroactive qui feraient obstacle à ce qu'une décision faisant l'objet d'un procès en cours puisse être utilement contestée n'est compatible avec le droit de toute personne à un procès équitable que si l'intervention de ces mesures est justifiée par d'impérieux motifs d'intérêt général ; qu'une procédure de recours préalable obligatoire équivaut, dans cette hypothèse, à une procédure contentieuse ; qu'en outre, en l'absence même de procès en cours, de nouvelles dispositions législatives remettant en cause, de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens des stipulations précitées du premier protocole, ne sont compatibles avec ces stipulations qu'à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ;

Considérant qu'aux termes du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 susvisée : " Sont validés, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, les prélèvements spécifiques aux jeux des casinos exploités en application de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos, dus au titre d'une période antérieure au 1er novembre 2009, en tant qu'ils seraient contestés par un moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire " ;

Considérant que s'il résulte des dispositions de l'article 18 du décret susvisé du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos, pris sur le fondement de la loi du 15 juin 1907, que les sommes représentant le montant des prélèvements, qu'ils s'appliquent aux jeux dits " de cercle " ou aux jeux dits " de contrepartie ", deviennent propriété de l'Etat et de la commune dès leur entrée dans la cagnotte ou la caisse du casino, ces sommes étant ainsi des fonds publics que le casino doit reverser à l'Etat et à la commune non en tant que débiteur de droits ou taxes, mais en tant que dépositaire de fonds publics pour le compte de collectivités publiques, l'inconstitutionnalité de ces dispositions réglementaires au regard des règles de compétence définies par les articles 34 et 37 de la Constitution donnait à la société requérante l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent devant être regardée comme un bien au sens des stipulations précitées de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais considérant que les dispositions précitées du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 ne valident les prélèvements sur le produit des jeux qu'en tant qu'ils sont contestés sur le fondement du moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire ; qu'elles réservent expressément les décisions passées en force de chose jugée et qu'aucune pénalité rétroactive ne peut se fonder sur elles ; que le changement de qualification des prélèvements sur les jeux en impositions de toutes natures a été inscrit dans le projet de finances pour 2009 déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2008 et adopté dans la loi du 27 décembre 2008 susvisée ; qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a tiré les conséquences de la base légale donnée à des prélèvements à la suite de leur qualification en impositions de toutes natures ; qu'il a ainsi entendu prévenir un contentieux lié à la détermination de cette qualification et susceptible de créer une rupture d'égalité devant les charges publiques entre redevables des prélèvements sur les jeux ; qu'il a également entendu éviter que ne se développent, pour un motif tenant à la compétence du pouvoir réglementaire, des contestations dont l'aboutissement, eu égard aux montants financiers en jeu, de l'ordre d'1,5 milliard d'euros par an, aurait pu entraîner, pour l'Etat et les autres bénéficiaires des produits en cause, des conséquences gravement dommageables ; qu'enfin, à défaut de validation, le reversement aux casinos d'impositions dont ils sont redevables au regard des règles de fond de la loi fiscale pourrait constituer un enrichissement injustifié ; que les dispositions du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 répondant ainsi à un impérieux motif d'intérêt général, elles n'ont pas méconnu les stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué qui n'est entaché d'aucune omission à statuer sur un moyen opérant, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux litigieux ; que doivent être rejetées, en conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE CASINO DE SAINT-NECTAIRE et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2012 à laquelle siégeaient :

M. Chanel, président de chambre,

MM. Besson et Segado, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 10 juillet 2012.

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N° 11LY02569

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Légalité des dispositions fiscales.

Contributions et taxes - Parafiscalité - redevances et taxes diverses.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CHANEL
Rapporteur ?: M. Thomas BESSON
Rapporteur public ?: Mme JOURDAN
Avocat(s) : BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 10/07/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11LY02569
Numéro NOR : CETATEXT000026198244 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-07-10;11ly02569 ?
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