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28/02/2012 | FRANCE | N°10LY02148

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 28 février 2012, 10LY02148


Vu l'ordonnance du 30 août 2010, enregistrée le 6 septembre 2010, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Bordeaux transmet à la Cour de céans la requête, enregistrée le 5 août 2010, présentée pour la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, dont le siège est Triade II, Parc d'activité Millénaire II, 215 rue Samuel Morse, CS 20756, à Montpellier Cedex (34967) ;

La SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800088 du Tribunal administratif de Dijon du 6 mai 2010 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des de

ux arrêtés du 10 juillet 2007 par lesquels le préfet de l'Yonne a refusé de lu...

Vu l'ordonnance du 30 août 2010, enregistrée le 6 septembre 2010, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Bordeaux transmet à la Cour de céans la requête, enregistrée le 5 août 2010, présentée pour la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, dont le siège est Triade II, Parc d'activité Millénaire II, 215 rue Samuel Morse, CS 20756, à Montpellier Cedex (34967) ;

La SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800088 du Tribunal administratif de Dijon du 6 mai 2010 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux arrêtés du 10 juillet 2007 par lesquels le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer les permis de construire qu'elle avait demandés pour la construction d'un parc éolien sur le territoire des communes de Chitry-Le-Fort et de Quenne et de la décision du 7 novembre 2007 rejetant son recours gracieux ;

2°) d'annuler ces deux arrêtés et cette décision ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer les permis demandés, ou subsidiairement, de statuer à nouveau sur ses demandes, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT soutient, en premier lieu, que le préfet de l'Yonne s'est estimé, à tort, tenu de rejeter la demande en raison des avis défavorables émis sur les demandes de permis de construire, qui ne constituent pourtant que des avis simples, et notamment par l'avis du service départemental de l'architecture et du patrimoine du 5 février 2007 ; que le préfet a ainsi entaché son arrêté d'une incompétence négative ; que le Tribunal a dénaturé ce moyen ; qu'en deuxième lieu, les arrêtés attaqués ne sont pas motivés en droit et en fait au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979, s'agissant notamment de l'impact paysager ; que le Tribunal a écarté ce moyen sans motivation, en l'amalgamant au moyen tiré de l'incompétence négative ; qu'en troisième lieu, le préfet a procédé par affirmation, sans évaluer les risques résultant des projections de pales sur l'autoroute et de la distraction des automobilistes ; que ce second point a d'ailleurs été écarté par le Tribunal ; que le risque de bris de pales reste marginal, et plus encore celui d'une atteinte aux personnes ou aux biens du fait de tels bris ; que le risque doit être modulé en fonction de la fréquentation des voies considérées ; que le projet respecte les distances d'implantation recommandées par le rapport du conseil général des mines ; que les éléments avancés par le Tribunal ne reposent ni sur l'étude d'impact ni sur les avis des services consultés ; qu'un grand nombre de parcs éoliens sont d'ores et déjà implantés le long de voies de circulation, et notamment d'autoroutes, sans qu'aucun accident n'ait jamais été constaté ; que, par un arrêté du 16 juin 2008, le préfet de l'Yonne a lui-même autorisé l'implantation d'un parc éolien important, dont au moins cinq machines se situent à moins de 250 mètres de l'autoroute ; que le juge administratif n'a jamais imposé une telle distance d'éloignement par rapport aux voies de circulation, en raison notamment du caractère non permanent et intermittent de la fréquentation de ces voies ; qu'ainsi, la présence d'éoliennes à proximité de l'autoroute A6 n'engendre pas pour les usagers de cette dernière des risques d'une importance et d'une gravité susceptibles de justifier l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ; qu'en quatrième lieu, le préfet a commis une erreur d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article R. 111-21 du même code ; qu'en effet, le site d'implantation ne présente aucun caractère affirmé et n'est pas particulièrement sensible ; que les arrêtés attaqués font une présentation biaisée de ce site ; que celui-ci, en l'occurrence un plateau occupé par de grandes parcelles cultivées, est situé en dehors de tout périmètre protégé et a précisément été choisi en raison de ses caractéristiques particulièrement favorables ; que le qualificatif de site emblématique est tout à fait erroné ; que le site d'implantation est loin d'être vierge de toute infrastructure, car longeant une voie de communication majeure, l'autoroute A6, et étant situé à proximité d'une aire de service importante ; qu'en toutes hypothèses, le projet ne porte aucune atteinte significative au paysage proche et lointain ; que la configuration du projet, en courbe le long de l'autoroute, a été définie pour permettre une articulation et une lisibilité dans le paysage ; que l'implantation en ligne de crête accompagne le vallonnement naturel du plateau ; que, si les éoliennes sont nécessairement visibles depuis de nombreux endroits, l'impact du projet est beaucoup plus limité que ne le donne à penser la rédaction des arrêtés attaqués ; que le projet n'est pas visible depuis la partie patrimoniale de la commune d'Auxerre, mais seulement depuis le nord de cette dernière, à une distance à laquelle il est à peine discernable ; que, si l'autoroute A6 est présentée comme déterminante en termes de découverte du paysage, les vignes, et notamment celles du Chablisien, sont à peine visibles depuis cette autoroute ; qu'aucun élément ne peut permettre d'affirmer que le projet transforme profondément le paysage, qu'il ne domine jamais ; qu'enfin, l'annulation des arrêtés attaqués impliquera nécessairement la délivrance des permis de construire, les demandes ayant déjà fait l'objet d'une instruction complète et ces arrêtés épuisant les motifs de refus ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 décembre 2010, présenté par le ministre de l'écologie, qui demande à la Cour de rejeter la requête ;

Le ministre soutient qu'il se reporte aux observations présentées par le préfet de l'Yonne en première instance ; qu'en outre, en premier lieu, si le préfet s'est appuyé sur l'avis du service départemental de l'architecture et du patrimoine, il a pour autant procédé à un examen particulier du dossier ; qu'en deuxième lieu, la motivation des arrêtés litigieux est suffisante en droit et en fait au regard des dispositions de l'article R. 421-29 du code de l'urbanisme ; qu'en troisième lieu, les études mentionnées dans le rapport du conseil général des mines démontrent que le danger présenté pour la sécurité des personnes et des biens en cas de rupture et de projection de pales d'éoliennes n'est pas nul et ne peut être négligé ; que les seize éoliennes projetées seront implantées à proximité de l'autoroute A6, sur un linéaire de 5,5 kilomètres ; que, de ce fait, les automobilistes seront susceptibles d'être exposés à un risque ; que, de plus, le projet est de nature, compte tenu de son ampleur et de la topographie des lieux, à perturber la vigilance des usagers de l'autoroute ; qu'ainsi, le préfet n'a commis aucune erreur d'appréciation en opposant au projet les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ; qu'en dernier lieu, le terrain d'assiette du projet est compris dans les plateaux et vignobles de l'Yonne, caractérisés par un relief collinaire marqué, des villages remarquables et des assiettes visuelles étendues, dans une zone situé au niveau 1 de très forte sensibilité paysagère dans la carte des sensibilités paysagères du département ; que le projet est en co-visibilité avec l'agglomération d'Auxerre, et notamment avec une partie de la vieille ville, qui dispose de nombreux édifices protégés et d'un secteur sauvegardé, mais aussi en forte co-visibilité avec de nombreuses silhouettes villageoises, alors que certains villages comprennent un monument protégé ; que les photomontages produits par la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT ne montrent que des vues partielles des sites remarquables susceptibles d'être impactés par le projet ; que cette société ne démontre pas que des photomontages n'auraient pu être réalisés sur l'intégralité des sites concernés ; que les mesures compensatoires prévues sont sans effet sur le fait que les éoliennes vont créer un nouveau paysage ; que les simulations qu'il produit permettent de constater l'effet d'écrasement et d'encerclement du projet sur les villages de Nangis et de Chitry, et notamment sur l'église classée de ce dernier village ; qu'il ressort de l'ensemble des ces éléments que c'est sans erreur d'appréciation que le préfet de l'Yonne a estimé que le projet méconnaît l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 21 juin 2011, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 juillet 2011 ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 juillet 2011, présenté pour la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, tendant aux mêmes fins que précédemment ;

La société requérante soutient, en outre, en premier lieu, que la circonstance que le préfet n'ait tenu aucun compte des résultats de l'enquête publique, et notamment de l'avis de la commission d'enquête, montre qu'il n'a pas procédé à un examen particulier des circonstances de l'affaire, mais s'est borné à suivre l'appréciation du service départemental de l'architecture et du patrimoine, pourtant antérieure à l'enquête publique ; qu'en deuxième lieu, la motivation des arrêtés attaqués ne permet pas de savoir pour quelles raisons l'appréciation portée par le service départemental de l'architecture et du patrimoine a été privilégiée, alors même que le public et la commission d'enquête ont reconnu et souligné le bien fondé des choix paysagers qui ont été effectués ; que la motivation se borne à indiquer que les éoliennes seront visibles depuis certains points, sans caractériser l'ampleur de la visibilité ; que cette motivation ne permet pas de caractériser l'intérêt des lieux considérés, de façon globale, et l'impact du projet sur les perspectives environnantes ; que la motivation est donc insuffisante ; qu'en troisième lieu, le modèle d'éolienne projeté est équipé de système de maintenance prédictive, de contrôle et de télégestion ; qu'en cas de vent trop fort, un frein se déclenche automatiquement ; qu'un frein de secours est également inclus dans chaque aérogénérateur ; que les éoliennes seront équipées d'un système de protection totale contre la foudre ; que le modèle prévu respecte les dispositions de la directive 98/37/CE et les standards de référence ; que le gisement de vent dans le secteur concerné est très largement inférieur aux conditions de vent en vue desquelles les éoliennes ont été conçues ; qu'ainsi, les risques d'accident par rupture et projection de pales sont très largement inférieurs aux risques estimés dans les études mentionnées par le ministre ; que ces dernières indiquent elles-mêmes que le risque d'accident par collision est infinitésimal et, par suite, négligeable ; que l'argumentation selon laquelle les éoliennes seraient susceptibles de perturber le comportement des automobilistes ne s'appuie sur aucune donnée scientifique ; qu'aucun effet de surprise ne pourra exister ; que, subsidiairement, la Cour constatera qu'en tout état de cause, la mise en oeuvre de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme est infondée pour la plupart des éoliennes ; que treize éoliennes sur seize sont en effet implantées à une distance au moins égale à un mât de hauteur et demi, soit 219 mètres ; qu'en dernier lieu, la seule visibilité des éoliennes ne saurait justifier un refus de permis de construire ; que le préfet et les premiers juges ont pourtant érigé la visibilité au sein du paysage en critère unique, sans vérifier si le projet s'insère globalement dans son environnement et si l'impact visuel est disproportionné au regard des autres intérêts publics assurés par l'implantation des éoliennes ; que le ministre de l'écologie ne démontre pas en quoi les simulations qui ont été réalisées seraient insuffisantes ; que les simulations produites par le ministre ne sont pas fiables et sont dépourvues de toute valeur probatoire ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, les villages de Chitry et de Nangis ne sont pas écrasés par le projet ; qu'il ressort des pièces du dossier que les éoliennes projetées suivent de façon harmonieuse la ligne de crête et sont situées au sein de vastes perspectives ; qu'au surplus, le projet, qui est situé à proximité d'un autre parc éolien, participe pleinement à l'effort de regroupement des éoliennes, dans un souci d'économie du territoire ; qu'il est situé dans un secteur qualifié de très favorable par l'atlas régional éolien de Bourgogne ; qu'il existe donc un intérêt public évident, qui serait susceptible de compenser un éventuel impact visuel négatif du projet ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 22 juillet 2011, la clôture de l'instruction a été reportée au 21 septembre 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 février 2012, présentée pour la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 janvier 2012 :

- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

- et les observations de Me Cambus, représentant la Selarl CGR Legal, avocat de la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT ;

Considérant que, par deux arrêtés du 10 juillet 2007, le préfet de l'Yonne a refusé de délivrer à la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT des permis de construire en vue de l'édification d'un parc éolien comportant 16 aérogénérateurs sur le territoire des communes de Chitry-le-Fort et de Quenne, aux motifs, en premier lieu, que le projet, qui est, par sa situation et ses dimensions, de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants, aux monuments historiques, aux sites et paysages naturels, ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales, méconnaît par suite les dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, en deuxième lieu, que le projet, qui est de nature à porter atteinte à la sécurité publique, du fait de sa proximité immédiate avec l'autoroute A6, ne respecte pas l'article R. 111-2 de ce même code, et, en dernier lieu, que l'étude d'impact ne répond pas aux dispositions de l'article R. 122-3 du code de l'environnement, qui définit le contenu de cette étude ; que la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT a demandé au Tribunal administratif de Dijon d'annuler ces refus de permis de construire, ainsi que la décision du 7 novembre 2007 rejetant son recours gracieux ; que, par un jugement du 6 mai 2010, le Tribunal a estimé que, si le motif tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact est illégal, les motifs fondés sur les articles R. 111-2 et R. 111-21 du code de l'urbanisme ne sont pas entachés d'illégalité et que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur l'un ou l'autre de ces articles ; que, la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT relève appel de ce jugement ;

Sur la recevabilité de la demande :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le recours gracieux que la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT a présenté le 14 septembre 2007 a interrompu le délai du recours contentieux courant à l'encontre des refus de permis de construire du 10 juillet 2007 ; que la décision du 7 novembre 2007 rejetant ce recours a été notifiée le 12 novembre 2007 à cette société ; qu'ainsi, le délai de recours contentieux, qui expirait le dimanche 13 janvier 2008, a été prorogé jusqu'au lundi 14 janvier 2008 ; que, dès lors, contrairement à ce que le préfet de l'Yonne a soutenu en première instance, la demande, qui a été enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Dijon à cette dernière date, n'est pas tardive ;

Sur la légalité des arrêtés attaqués :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d'autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ;

Considérant, d'une part, que, dans ses arrêtés attaqués, le préfet de l'Yonne a estimé que la proximité des éoliennes par rapport à l'autoroute, sur un linéaire de plus de 5 km, est susceptible d'engendrer des perturbations sur le comportement des automobilistes par effet de distraction provoqué par le gabarit et l'animation des machines ; que la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT soutient, en mentionnant plusieurs parcs éoliens situés à proximité d'autoroutes, qu'aucun problème lié à la distraction des conducteurs n'a jamais été observé et que les exploitants de parcs et d'autoroutes qu'elle a contactés ne lui ont fait part d'aucune difficulté particulière sur ce point ; que cette société fait en outre valoir qu'aucun effet de surprise ne pourra exister, les aérogénérateurs pouvant être distingués de loin par les automobilistes avant que ceux-ci longent le parc, compte tenu des caractéristiques de l'environnement du terrain d'assiette du projet, et ces machines ne fonctionnant pas d'une manière susceptible de variations brutales ; que le ministre de l'écologie, qui ne contredit pas ces affirmations, ne produit aucun élément pour étayer le motif précité des arrêtés litigieux ;

Considérant, d'autre part, que le préfet de l'Yonne a également estimé dans ses arrêtés attaqués que la localisation du projet a proximité de l'autoroute A6, à une distance de l'emprise de cette dernière variant de 145 à 233 mètres, est de nature à favoriser, en cas de chute, un risque de projection sur cette voie d'éléments issus des aérogénérateurs ; que l'étude d'impact évalue la probabilité d'un accident de pale, entendu comme la destruction de tout ou partie de celle-ci n'impliquant pas nécessairement une projection de l'élément détruit, à un accident tous les 29 ans ; que, selon la même étude, la probabilité d'un accident résultant de la projection de tout ou partie d'une pale d'une éolienne est estimée à environ une chance sur un million par année, à une distance de 150 mètres, pour un modèle d'une puissance, comme en l'espèce, de deux mégawatts ; que l'étude d'impact indique également qu' à l'heure actuelle, aucun riverain d'installation éolienne n'a jamais été blessé ni tué par une éolienne dans le monde malgré l'existence de plus de 50 000 machines ; que le ministre de l'écologie, qui ne conteste pas ces indications, se borne à se référer au rapport du conseil général des mines de juillet 2004 et aux deux études étrangères mentionnées dans ce rapport, lesquelles concluent toutefois à des probabilités d'accident similaires, voire même inférieures, à celles mentionnées dans l'étude d'impact, pour une distance d'éloignement de l'ordre de 150 mètres ; que ce rapport indique qu'aucun accident de cette nature n'a été identifié à ce jour dans le monde et conclut à un risque d'accident résultant de l'éjection d'un élément d'une éolienne extrêmement faible ; qu'en outre, la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT fait valoir que les éoliennes qui seront installées répondent à toutes les normes de sécurité requises et intègrent des dispositifs de maintenance prédictive et de freinage ou d'arrêt automatique, ce qui minimise encore le risque d'accident ; qu'enfin, la circulation sur l'autoroute A6 n'implique pas une exposition permanente aux risques que peut comporter une éolienne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en opposant au projet de parc éolien de la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT les dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le préfet de l'Yonne a commis une erreur d'appréciation ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme : Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ;

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que les 16 éoliennes, de 145 mètres de hauteur au total, que comporte le projet litigieux seront implantées le long de l'autoroute A6, sur une distance d'environ 5 kilomètres ; que ce projet est situé à la jonction de plusieurs unités paysagères (le Val-Florentin, le plateau de Noyers, le Chablisien et les Jardins de l'Auxerrois), sur un plateau séparant les vallées de l'Yonne et du Serein, à environ 300 mètres d'altitude, dans un paysage assez largement ouvert et dans lequel alternent les terrains cultivés, les vignes, les vergers et les forêts ; que, si le ministre critique les photomontages qui ont été réalisés par la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, il n'est pas établi que ceux-ci donneraient une représentation fallacieuse de l'environnement du projet et de l'impact de ce dernier sur le paysage, les communes et les monuments et sites protégés ou remarquables ; que, si le terrain d'assiette prend place sur une crête, compte tenu des différences d'altitudes modiques, des légers vallonnements du secteur et des larges perspectives qu'offre le paysage, le parc éolien projeté n'exercera aucun effet de domination et n'altérera pas de manière excessive le caractère général des lieux avoisinants ; que, si le projet sera en situation de co-visibilité avec le projet de parc éolien du Soleil-Levant, qui comprend 12 éoliennes et est situé sur le territoire des communes voisines de Beine, Courgis et Venoy, il ne ressort pas des simulations complémentaires de mars 2007 effectuées par la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT que la coexistence des deux parcs serait susceptible d'entraîner un effet de saturation dans le paysage ;

Considérant, d'autre part, qu'il est constant que le terrain d'assiette du projet n'est pas compris dans le périmètre de protection d'un monument historique ou d'un site naturel ; que les photomontages de décembre 2006 et de mars 2007 qui complètent l'étude d'impact font apparaître que, le plus souvent, aucune visibilité ne pourra exister sur le projet depuis les monuments et sites protégés ou remarquables que comporte la commune d'Auxerre ; que, quand elle existera, la visibilité depuis ces derniers sur le parc éolien, distant d'environ huit kilomètres, sera très réduite ; que, compte tenu de cette distance, la circonstance que des situations de co-visibilité entre ces monuments et sites et le projet pourront exister est sans incidence particulière ; que, si la commune de Chitry-le-Fort, qui comprend une église classée, est située à seulement environ un kilomètre et demi au plus près du projet, il ne ressort pas des photomontages de l'étude d'impact et des simulations de l'étude complémentaire de décembre 2006 que cette commune subira un effet d'écrasement ; que, s'il est vrai que le ministre de l'écologie produit en appel des simulations pour démontrer un tel effet, la société requérante soutient, sans être contredite, que ces simulations ont été réalisées à partir d'un logiciel téléchargeable gratuitement sur internet, mis à jour par des contributeurs volontaires, qui ne présente aucune garantie de fiabilité et de sérieux ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les autres communes situées à proximité du projet, à une distance toutefois d'au moins deux kilomètres et demi, et notamment celles de Quenne, de Courgis, de Préhy, de Saint-Cyr-les-Colons et de Saint-Bris-le-Vineux, ainsi que les monuments protégés situés dans ces communes, pourraient être affectés d'une manière excessive par le parc éolien projeté ; que la circonstance que certaines éoliennes de ce dernier seront implantées à seulement quelques centaines de mètres de l'aire de service autoroutière de Venoy-Grosse-Pierre est sans incidence particulière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en opposant au projet de parc éolien litigieux l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, le préfet de l'Yonne a fait une inexacte application des dispositions de cet article ;

Considérant, en dernier lieu, que le ministre de l'écologie ne soutient pas que c'est à tort que le Tribunal administratif de Dijon a estimé que le motif des arrêtés attaqués fondé sur l'insuffisance de l'étude d'impact est entaché d'illégalité ; qu'il ressort des pièces du dossier que c'est à bon droit que le Tribunal a censuré ce motif ;

Considérant que, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens de la requête n'apparaît, en l'état de l'instruction, également susceptible de fonder l'annulation des refus de permis de construire attaqués ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'annuler ce jugement, les refus de permis de construire et la décision de rejet du recours gracieux ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'annulation des refus que le préfet de l'Yonne a opposés à ses demandes de permis de construire n'implique pas nécessairement que cette autorité administrative délivre les permis sollicités, mais seulement que de nouvelles décisions soient prises sur ces demandes ; que, par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de statuer à nouveau sur lesdites demandes, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme au bénéfice de la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Dijon du 6 mai 2010 est annulé.

Article 2 : Les deux arrêtés du 10 juillet 2007 par lesquels le préfet de l'Yonne a refusé de délivrer des permis de construire à la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, en vue de l'édification d'un parc éolien sur le territoire des communes de Chitry-le-Fort et de Quenne, ainsi que la décision du 7 novembre 2007 rejetant le recours gracieux de cette société, sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de prendre une nouvelle décision sur les demandes de permis de construire de la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE LA COMPAGNIE DU VENT, au ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, et au préfet de l'Yonne.

Délibéré à l'issue de l'audience du 31 janvier 2012, à laquelle siégeaient :

M. Moutte, président,

M. Zupan, président-assesseur,

M. Chenevey, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 28 février 2012.

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N° 10LY02148

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10LY02148
Date de la décision : 28/02/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. MOUTTE
Rapporteur ?: M. Jean-Pascal CHENEVEY
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-02-28;10ly02148 ?
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