Vu la requête, enregistrée le 1er mars 2011, présentée pour Mme Eliane A, domiciliée ... ;
Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0800371 du 20 décembre 2010 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a limité à 10 000 euros le montant de la somme mise à la charge de France Télécom en réparation du préjudice qu'elle a subi en raison du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ;
2°) de condamner France Télécom à lui verser la somme globale de 80 000 euros au titre des différents préjudices subis, avec intérêt au taux légal à compter de sa demande préalable, et la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de France Télécom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- France Télécom a commis des fautes, pour avoir refusé de mettre en place des voies de promotion en se fondant sur des dispositions illégales ;
- les fautes commises par France Télécom ont contribué à lui faire perdre une chance d'obtenir un déroulement de carrière normal, et doit engager sa responsabilité ;
- elle a subi un préjudice professionnel, à raison du blocage de sa carrière, dont la progression était normale et continue jusqu'en 1993, et alors qu'elle avait fait l'objet de propositions d'avancement au choix ; en considérant qu'elle n'apportait pas la preuve de ses compétences professionnelles démontrant une perte de chance sérieuse d'obtenir une promotion, le Tribunal a fait peser sur elle l'intégralité de la charge de la preuve sans prendre en considération l'ensemble des circonstances de l'affaire alors qu'il se trouvait en présence de présomptions établies en sa faveur ; elle n'a pu obtenir une promotion, alors qu'elle remplissait les conditions pour être promue au grade de contrôleur divisionnaire ou dans celui d'inspecteur ;
- le préjudice qu'il a subi doit être chiffré à la somme de 80 000 euros, en raison de son préjudice matériel et financier, résultant du blocage de sa carrière, qui doit être évalué à 30 000 euros, d'un préjudice professionnel, eu égard à sa marginalisation, devant être évalué à 30 000 euros, des troubles dans ses conditions d'existence, à hauteur de 5 000 euros, et d'un préjudice moral, évalué à 15 000 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 avril 2011, présenté pour le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui conclut :
1°) à titre principal, à la mise hors de cause de l'Etat ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;
3°) à titre plus subsidiaire, à la limitation de l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de Mme A à la somme de 5 000 euros ;
Il soutient que :
- le Tribunal administratif de Grenoble a condamné exclusivement France Télécom à indemniser Mme A, dont la requête en appel tend uniquement à la condamnation de France Télécom, de sorte que l'Etat doit être mis hors de cause ;
- le dommage allégué par Mme A, au titre de préjudices matériel, professionnel et moral et de troubles dans ses conditions d'existence, n'est aucunement certain, la requérante ne démontrant pas avoir été privée d'une chance sérieuse de promotion ;
- il n'existe pas de lien de causalité entre la prétendue faute de l'Etat et les dommages allégués, dès lors que les dommages trouvent leur origine dans le choix de l'agent de profiter ou non des possibilités d'intégration et de promotion offertes par les statuts de reclassification ;
- le montant du dommage n'est pas valablement établi ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de Mme A ne peuvent être indemnisés par une somme supérieure à 5 000 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 mai 2011, présenté pour la société France Télécom, qui conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à l'annulation du jugement n° 0800371 du 20 décembre 2010 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de Mme A, mis à sa charge une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ;
3°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- dès lors qu'elle ne procède plus depuis 1993 au recrutement de fonctionnaires par voie de concours, il résulte des statuts particuliers de ces corps que France Télécom ne pouvait mettre en place de liste d'aptitude pour l'accès aux corps des contrôleurs divisionnaires ; en tout état de cause, l'inscription sur une liste d'aptitude n'a aucun caractère automatique et l'administration n'est pas tenue de faire figurer sur le projet de liste tous les agents ayant vocation à être promus ;
- contrairement à ce que soutenait l'agent, les fonctionnaires ayant choisi de conserver leur grade de reclassement ne sont pas exclus des processus d'avancement consentis à l'ensemble des personnels de France Télécom et ils bénéficient des mêmes droits que leurs collègues ayant choisi la classification ; en l'espèce, il n'existait aucun emploi vacant de grade supérieur susceptible d'être occupé par l'agent et par les agents du même grade ; elle n'a commis aucune faute en n'organisant pas de promotion dans les grades de reclassement ni aucune illégalité susceptible d'engager sa responsabilité ;
- la prétendue discrimination entre agents reclassés et reclassifiés n'est pas établie dès lors que le principe de l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre agents appartenant à un même corps ;
- il n'appartenait pas à France Télécom de procéder à une modification des décrets statutaires des corps de reclassement, qui ne prévoyaient pas de voie de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes ;
- aucun préjudice ne saurait être invoqué avant l'entrée en vigueur du décret du 30 novembre 2004 ;
- le préjudice invoqué n'est nullement certain ni concrètement démontré, aucun agent n'ayant un droit acquis à une promotion ;
- si une faute de sa part devait être retenue, il y aurait lieu d'établir une répartition équitable de la charge indemnitaire, en imputant la majeure partie de cette charge à l'Etat ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 août 2011, présenté pour Mme A, qui maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 septembre 2011, présentée pour Mme A ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 ;
Vu le décret n° 64-953 du 11 septembre 1964 ;
Vu le décret n° 90-1238 du 31 décembre 1990 ;
Vu le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991 ;
Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2011 :
- le rapport de M. Seillet, premier conseiller ;
- les observations de Me Lerat, pour Mme A ;
- et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Lerat ;
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu 'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ;
Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ;
Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ;
Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit, que le président de France Télécom a, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés , commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société, sans pouvoir utilement se prévaloir, pour s'exonérer de cette responsabilité, ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de reclassement auraient interdit ces promotions, jusqu'au décret du 24 novembre 2004, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ;
Considérant, en deuxième lieu, que les fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'un agent n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion, sont de nature à ouvrir droit à une indemnité au titre du préjudice moral subi par les agents concernés à raison desdites fautes, outre l'indemnité réparant le préjudice de carrière résultant du blocage de leur carrière ; que ces fautes sont de nature à engager la responsabilité de France Télécom envers les agents concernés, sans qu'il y ait lieu d'opérer un partage de responsabilité entre ladite société et l'Etat, à l'encontre duquel aucune conclusion n'a été présentée par Mme A ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme A, fonctionnaire de l'administration des postes et télécommunications au grade de contrôleur, dont il ne ressort pas des pièces relatives à sa manière de servir, nonobstant les mentions, dans un entretien de progrès de l'année 1997, faisant état d'une maîtrise du poste et des compétences très satisfaisante, qu'elle pouvait parfaitement assurer les missions d'un poste d'expert niveau 2.3 informatique, qu'elle aurait eu une chance sérieuse d'accéder au grade de contrôleur divisionnaire, alors même qu'elle remplissait les conditions statutaires pour être promue dans ce grade, à une date qu'elle n'indique d'ailleurs pas et qu'aucune pièce ne permet de déterminer ; qu'il n'en résulte pas davantage qu'elle aurait eu une chance sérieuse d'accéder au corps des inspecteurs, eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées aux agents titulaires de ces grades, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 et jusqu'à la date d'entrée en vigueur du décret du 26 novembre 2004 ;
Considérant que si Mme A est, en revanche, fondée à se prévaloir du préjudice moral subi à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier elle n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion, il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, du préjudice subi par Mme A au titre de son préjudice moral en l'évaluant à la somme de 1 500 euros ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que ces fautes auraient causé à Mme A des troubles dans ses conditions d'existence ni un préjudice professionnel distinct du préjudice de carrière invoqué ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que France Télécom est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à verser à Mme A une indemnité, au titre de son préjudice moral, d'un montant supérieur à la somme de 1 500 euros ; qu'il en résulte également que Mme A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, ledit tribunal a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité mise à la charge de France Télécom et a rejeté sa demande d'indemnité au titre des autres préjudices dont elle demandait réparation ;
Sur les intérêts et la capitalisation :
Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la réception de sa demande préalable, le 8 octobre 2007, par France Télécom ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 1er mars 2011 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions des parties tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de France Télécom, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A une somme au titre des frais exposés par France Télécom et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : France Télécom est condamnée à verser à Mme A une somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2007. Les intérêts, échus le 1er mars 2011, de cette somme, seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 20 décembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme A et les conclusions de France Télécom tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Eliane A, à France Télécom et au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2011, à laquelle siégeaient :
M. Fontanelle, président de chambre,
M. Seillet et Mme Dèche, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 4 octobre 2011.
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N° 11LY00523
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