Vu, enregistrée le 26 mai 2010, la requête présentée pour M. Michel B et Mme Denise , domiciliés ... et la SCEA B Michel et fils dont le siège est ... ;
Ils demandent à la Cour :
1°) l'annulation du jugement n° 0701924 du 1er avril 2010 du Tribunal administratif de Dijon qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de Voies navigables de France (V.N.F.) à leur verser une somme de 287 438,03 euros TTC en réparation des préjudices résultant pour eux de crues répétées dont ils sont victimes ainsi qu'à ce qu'il soit fait injonction à l'Etat de réaliser des travaux ;
2°) de faire droit à leur demande en condamnant solidairement l'Etat et Voies navigables de France à leur verser une somme de 291 000 euros, indexée sur la variation de l'indice PRO BTP, outre 5 000 euros de préjudice moral et troubles de jouissance ;
3°) de faire injonction à V.N.F. de réaliser les travaux définis par l'expertise ;
4°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de V.N.F. les entiers dépens ainsi que le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- rien ne permet de dire que les requérants auraient édifié la levée en terre ;
- la qualité du constructeur de la levée n'a aucune incidence sur sa qualification dès lors que seule importe son utilité d'intérêt général ;
- la levée en terre fait partie intégrante de la levée des chevrettes , qu'elle rehausse ;
- il s'agit d'un ouvrage public alors même qu'elle aurait été édifiée irrégulièrement ;
- les dommages auxquels ils ont été exposés, qui ont leur origine dans la brèche ouverte dans cette levée, sont des dommages de travaux publics à l'égard desquels ils ont la qualité de tiers ;
- le lien de causalité entre les dommages et la présence de cette digue est établi ;
- la responsabilité de l'Etat et de V.N.F. en leurs qualités respectives de propriétaire de l'ouvrage et de gestionnaire de celui-ci, est encourue ;
- la responsabilité de l'Etat est également engagée au titre de sa carence avérée dans sa mission de curage de la rivière, qui a aggravé le dommage ;
- le jugement du Tribunal administratif de Dijon du 26 juin 1990 et l'arrêt de la Cour administrative d'appel Nancy du 9 juillet 1991 ont autorité de la chose jugée ;
- le préjudice est anormal et spécial comprenant le coût de l'évacuation des sables et un préjudice agricole ainsi qu'un préjudice moral.
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance de la Cour du 7 avril 2011 fixant la date de clôture de l'instruction au 22 avril 2011 ;
Vu, enregistré le 7 avril 2011, le mémoire en défense présenté pour V.N.F., dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux à Béthune (62408) qui conclut au rejet de la demande de M. Michel B et autres et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à leur charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il expose que :
- la digue de Meauce est constituée de la levée de Meauce , d'une levée submersible, dénommée chevrette et d'une levée de terre surmontant cette levée submersible ;
- la levée submersible, destinée à assurer un niveau d'eau minimum au canal latéral pendant les périodes d'étiage, n'a pas été conçue pour protéger les riverains contre les inondations ;
- l'impossibilité de planter des arbres de haute tige confirme que l'objectif était de garantir l'inondabilité des terres sinistrées en 2003 ;
- la levée de terre a nécessairement été réalisée et entretenue par les propriétaires successifs du domaine de Trémigny pour protéger leurs terrains cultivés contre l'action des eaux de l'Allier ;
- ni l'Etat ni V.N.F. ne sont à l'origine de cette levée de terre alors que la protection contre les crues était à la charge des propriétaires intéressés en vertu d'une loi de 1807 et que la vente de 1866 par l'Etat à son acquéreur d'alors imposait de préserver le champ d'expansion des crues ;
- l'ouvrage maçonné de V.N.F. n'a pas été rompu par la crue ;
- il n'y a eu aucun renversement de la charge de la preuve ;
- et V.N.F. n'a nullement reconnu sa responsabilité en proposant de participer à la reconstruction de la levée de terre ;
- la levée submersible et la levée de terre n'ont pas le même objectif, cette dernière n'étant pas l'accessoire de la première et ne faisant pas partie d'une même ouvrage ;
- V.N.F. n'a pas dans ses missions la lutte contre les crues ;
- même incorporée au domaine public, elle ne constitue pas un ouvrage public ;
- elle n'a pas un rôle de protection contre les inondations ;
- elle ne relève pas de la compétence de gestion de V.N.F. ;
- elle ne correspond à aucun intérêt général, répondant seulement à un objectif de protection d'un seul propriétaire privé riverain de l'Allier ;
- les dommages sont imputables exclusivement à la destruction de l'ouvrage de terre qui constituait une occupation sans titre du domaine public ;
- on ne peut reprocher à V.N.F. un défaut d'entretien ou de surveillance de cet ouvrage ;
- l'autorité de la chose jugée ne saurait trouver à s'appliquer ici à défaut d'identité d'objet, de cause et de parties ;
- les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Vu, enregistré le 8 avril 2011, le mémoire en défense présenté pour le ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, qui s'en remet aux observations présentées pour V.N.F. et conclut au rejet de la requête ;
Il expose en outre que :
- l'absence de curage de l'Allier n'est pas la cause des inondations en cause ;
- les requérants ne démontrent pas que cette absence de curage aurait aggravé les dommages qu'ils ont subis ;
- pour le reste il s'en remet aux observations présentées pour V.N.F.
Vu, enregistré le 18 avril 2011, le mémoire complémentaire présenté pour les consorts B et la SCEA B Michel et fils qui persistent dans leurs précédents moyens et conclusions, soutenant en outre que :
- l'irrégularité de la construction de la digue est sans incidence sur sa qualification ;
- l'ouvrage en litige s'intègre à la levée des chevrettes et donc au domaine public ;
- l'Etat n'a pas correctement entretenu les ouvrages publics dont il avait la charge.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu la loi du 29 décembre 1990 ;
Vu la loi du 27 février 1912 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1912 ;
Vu le décret du 27 juillet 1957 ;
Vu l'arrêté du 24 janvier 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mai 2011 :
- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;
- les observations de Me Langlois, avocat de M. et Mme B et de la SCEA B, et de Me Karpenschif, avocat de Voies Navigables de France ;
- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, rapporteur public ;
La parole ayant été de nouveau donnée aux parties présentes ;
Considérant que le 6 décembre 2003, une crue de l'Allier a entraîné l'inondation de terres agricoles riveraines dont M. et Mme B sont propriétaires sur le territoire de la commune de Saincaize Meauce ainsi que le dépôt de quantités importantes d'alluvions ; qu'avec leur locataire, la SCEA B Michel et fils qui assure l'exploitation de ces terres, ils ont demandé au Tribunal administratif de Dijon la condamnation solidaire de l'Etat et de Voies Navigables de France (V.N.F.) à les indemniser des conséquences de cette crue ; que par un jugement du 1er avril 2010 le Tribunal a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité pour dommages de travaux publics :
Considérant que les conclusions des requérants tendant à la réparation des dommages résultant pour eux d'inondations survenues en 2003 n'ont pas le même objet que leurs demandes indemnitaires antérieures devant le Tribunal administratif de Dijon qui concernaient des crues d'intensité moindre intervenues dans des circonstances différentes en 1983, 1985 et 1988; que c'est par suite à bon droit que le Tribunal a refusé d'opposer l'autorité de la chose jugée par son jugement 26 juin 1990, confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Nancy du 9 juillet 1991 ;
Considérant que l'inondation dont ont été victimes les requérants a été provoquée par la rupture, sous l'effet d'une montée des eaux de l'Allier qualifiée de torrentielle par l'expert désigné en référé par le Tribunal, d'une levée en terre édifiée sur la digue maçonnée dite submersible dénommée Chevrette ; que cette digue, qui appartient à l'Etat mais dont V.N.F. assure la gestion en vertu d'un arrêté du 24 janvier 1992, a été construite en 1842 sur la berge de l'Allier pour garantir en période d'étiage un niveau minimum à la prise d'eau des Lorrains qui alimente le canal latéral de la Loire, situé sur la rivière quelques kilomètres en aval ; que si les auteurs de la levée en terre ne sont pas connus, il résulte de l'instruction que l'Etat, qui ne s'est pas opposé à la réalisation de cet ouvrage sur une dépendance de son domaine, vraisemblablement après 1952, et n'a pas davantage demandé la remise des lieux dans leur état initial, doit être regardé comme en ayant acquis la propriété; que cet ouvrage, qui constitue une protection contre les inondations des terres agricoles situées en arrière, poursuit un but d'intérêt général et constitue donc un ouvrage public ; que les intéressés, qui bénéficient de sa présence, ont la qualité d'usagers de cet ouvrage ; que si l'infiltration d'eau vers leurs parcelles a pour origine une brèche dans cette levée en terre, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que la formation de cette brèche révélerait un défaut d'entretien normal de l'ouvrage alors que ce dernier, qui a cédé du fait de l'importance de la crue de l'Allier, n'a été ni prévu ni conçu pour résister à une montée des eaux d'une telle intensité, d'une fréquence de retour de 50 à 100 ans ; que l'expert exclut à cet égard que la levée en terre puisse être reconstruite dans des matériaux autres que de la terre, susceptibles de résister à des crues importantes, soulignant la nécessité de lui conserver un caractère provisoire pour éviter, le cas échéant, des conséquences en aval qui pourraient être catastrophiques ; que, dès lors, et en toute hypothèse, les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour dommages de travaux publics de l'Etat ou de V.N.F.;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait de l'exercice des pouvoirs de police :
Considérant qu'en vertu d'un décret du 27 juillet 1957 l'Allier, qui a été a radié des voies navigables et flottables, continue à relever du domaine public de l'Etat; que si les requérants soutiennent que cette rivière a déposé sur leurs terrains une couche de sable de 50 cm à 1 m d'épaisseur, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas établi que, conformément à l'article L. 2124-11 du code général de la propriété des personnes publiques, l'Etat n'aurait pas, compte tenu de l'instabilité du lit de l'Allier, assuré son entretien en prenant les mesures nécessaires pour maintenir sa capacité naturelle d'écoulement au regard des crues habituelles de ce cours d'eau ; que notamment rien au dossier ne permet de tenir pour avéré le fait que la colonisation des berges par des arbres de haute tige, en freinant le passage de la crue, aurait entrainé des dépôts sableux plus importants ni de connaître, même approximativement, dans quelles proportions un tel phénomène aurait joué ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant en principe qu'il n'appartient pas aux juridictions administratives, en l'absence de texte le prévoyant expressément, d'adresser des injonctions à une autorité administrative ; qu'ainsi les conclusions des requérants tendant à faire injonction à V.N.F. de reconstruire la levée en terre, qui ne rentrent notamment pas dans les hypothèses définies par les dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B et la SCEA B Michel et fils ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal a rejeté leur demande ; que les conclusions qu'ils ont formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par V.N.F ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B et de la SCEA B Michel et fils est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par V.N.F. au titre de l'article L. 761-1 doivent être rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Michel B, à Mme Denise B, à la SCEA B, à Voies Navigables de France et au ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2011 à laquelle siégeaient :
M. Vivens, président de chambre,
Mme Steck-Andrez, président-assesseur,
M. Picard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juin 2011.
''
''
''
''
1
6
N° 10LY01207