Vu la requête enregistrée le 26 juin 2009, présentée pour Mme Nadine A et M. Bernard A domiciliés ... ;
Mme et M. A demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 0705130 du 28 avril 2009 par laquelle le président de la cinquième chambre du Tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme manifestement irrecevable leur demande d'annulation de l'arrêté du 9 août 2007 par lequel le maire d'Aussois a institué une servitude leur interdisant d'occuper leur chalet en période hivernale ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 9 août 2007 ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Aussois une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme et M. A soutiennent que l'ordonnance est entachée d'irrégularité en ce qu'elle a regardé la servitude administrative comme une prescription indivisible de l'autorisation d'urbanisme, laquelle n'était pas en litige ; qu'elle constitue une décision distincte et doit pouvoir être déférée, faute de priver les personnes qu'elles lèsent d'un droit au recours contentieux ; au fond, que l'arrêté litigieux, signé par le maire, est entaché d'incompétence dès lors que, d'une part, l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme réserve l'autorisation d'aménager les chalets d'alpage au préfet et que, d'autre part, à supposer que la décision d'institution de la servitude relève de la commune, l'article L. 2221-29 du code général des collectivités territoriales attribue une compétence générale au conseil municipal en l'absence d'attribution expresse à l'exécutif ; que l'arrêté est insuffisamment motivé au regard de la loi du 11 juillet 1979 en ce qu'elle n'énonce pas les considérations de fait qui nécessitent l'atteinte au droit de propriété, alors que d'autres habitants du secteur sont placés dans la même situation sans être frappés de la même servitude ; que celle-ci constitue une atteinte portée au droit de propriété et au principe d'égalité devant la loi garantis par la Constitution ; qu'elle ne répond à aucune nécessité dans la mesure où les habitants du secteur ont connaissance des contraintes inhérentes à l'habitation permanente en altitude et ont adapté leur mode de vie ; que le chemin de desserte du chalet n'a pas le statut de chemin rural ; que le chalet n'ayant pas d'intérêt pour la préservation du patrimoine montagnard, ne peut être frappé de servitude sur le fondement du second alinéa du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire enregistré le 28 juillet 2010, présenté pour la commune d'Aussois (73500) ;
La commune d'Aussois conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de Mme et M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La commune d'Aussois soutient que la servitude prévue par le second alinéa du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme est une prescription indivisible de l'autorisation d'urbanisme puisqu'elle a été instituée à l'occasion de l'instruction de la demande ; qu'il appartenait aux requérants de contester la décision de non opposition à déclaration de travaux ; que le maire était compétent pour l'instituer dès lors que la compétence préfectorale prévue par le premier alinéa du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme concerne l'autorisation de principe d'aménager un chalet d'alpage ou d'estive alors que la servitude définie par le second alinéa du I du même article concerne les autorisations individuelles délivrées suite à l'autorisation préfectorale ; que les éléments de fait sur lesquels repose l'interdiction d'utiliser le chalet ressortent de la lecture de l'arrêté ; que l'atteinte à l'exercice du droit de propriété est justifiée par l'absence de viabilité hivernale du secteur et la nécessité d'assurer la sécurité des personnes ; que l'ensemble des voies desservant le chalet des requérants étant inutilisables en hiver, leur statut est sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux ; que la servitude ne pouvant être instituée qu'à l'occasion de demandes d'autorisations d'urbanisme que n'ont pas présentées les habitants du même secteur, l'égalité des usagers devant la loi n'a pas été rompue ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 avril 2011 :
- le rapport de M. Arbarétaz, premier conseiller ;
- les observations de Me Roche, pour la commune d'Aussois ;
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteur public ;
La parole ayant été de nouveau donnée à Me Roche;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme : I. - Les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières sont préservées (...) Les constructions nécessaires à ces activités ainsi que les équipements sportifs liés notamment à la pratique du ski et de la randonnée peuvent y être autorisés. Peuvent être également autorisées, par arrêté préfectoral, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites, dans un objectif de protection et de mise en valeur du patrimoine montagnard, la restauration ou la reconstruction d'anciens chalets d'alpage ou de bâtiments d'estive, ainsi que les extensions limitées de chalets d'alpage ou de bâtiments d'estive existants lorsque la destination est liée à une activité professionnelle saisonnière. / Lorsque des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu'ils sont desservis par des voies qui ne sont pas utilisables en période hivernale, l'autorité compétente peut subordonner la réalisation des travaux faisant l'objet d'un permis de construire ou d'une déclaration de travaux à l'institution d'une servitude administrative, publiée au bureau des hypothèques, interdisant l'utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l'absence de réseaux. Cette servitude précise que la commune est libérée de l'obligation d'assurer la desserte du bâtiment par les réseaux et équipements publics (...) ;
Considérant qu'il peut être dérogé au principe général d'interdiction de modifier la structure des chalets d'alpage afin de permettre la réalisation d'une opération de réhabilitation ayant pour objet de maintenir la destination agro-pastorale d'un chalet d'alpage ou de l'affecter à une autre activité professionnelle saisonnière ; qu'en vertu du premier alinéa du I précité de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, ces aménagements, appréciés en fonction de leur intérêt patrimonial et de leur impact sur l'espace montagnard, doivent avoir été autorisés par le préfet ; que sur le fondement et dans les limites de cette autorisation de principe, l'autorité compétente en matière d'urbanisme statue sur la demande d'autorisation individuelle de construire et peut, en vertu du second alinéa du I précité de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, instituer une servitude interdisant ou limitant l'utilisation du bâtiment ; que cette limitation générale au droit d'utiliser le bien a, comme toute servitude administrative, une portée réglementaire alors que l'autorisation d'urbanisme a une portée individuelle ; que son entrée en vigueur dépend, non de la notification et de l'affichage spécifique de l'autorisation de construire organisé par l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, mais de son inscription au fichier des hypothèques et, comme toute décision réglementaire, de sa publication ; qu'une fois publiée, elle demeurerait en vigueur et ne serait pas affectée par la délivrance d'autorisations d'urbanisme ultérieures sur le même bâtiment ; qu'en revanche et sans égard à la délivrance d'une nouvelle autorisation d'urbanisme, elle devrait être atténuée ou supprimée si les conditions de desserte du chalet évoluaient ;
Considérant qu'il suit de là que la servitude instituée sur le chalet de Mme A ne saurait s'analyser comme une prescription de l'autorisation d'urbanisme délivrée le 6 septembre 2007 mais constitue une décision administrative distincte, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que, dès lors, le président de la cinquième chambre du Tribunal administratif de Grenoble n'a pu sans entacher l'ordonnance attaquée d'irrégularité, rejeter la demande comme irrecevable ;
Considérant que l'ordonnance n° 0705130 du 28 avril 2009 doit être annulée ; qu'il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Grenoble par Mme et M. A ;
Sur la demande d'annulation de la servitude instituée par arrêté du 9 août 2007 :
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, le représentant de l'Etat dans le département se prononce, en vertu du premier alinéa du I précité de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, sur le principe de la réhabilitation des chalets d'alpage et de leur affectation ; qu'en revanche, la servitude limitant l'usage de ces constructions en période hivernale, une fois l'autorisation préfectorale délivrée, relève, en vertu du second alinéa du I précité du même article, de l'autorité compétente saisie de la demande d'autorisation d'urbanisme ; qu'en vertu des articles L. 123-19 et L. 422-1 combinés du code de l'urbanisme, l'autorité compétente pour statuer sur les demandes de permis de construire et les déclarations de travaux qui ne relèvent pas des exceptions énumérées par l'article L. 422-2 du code, est le maire d'Aussois, commune dotée d'un document d'urbanisme opposable tenant lieu de plan local d'urbanisme ; que le maire, exerçant cette compétence sans le concours du conseil municipal, était, par voie de conséquence, compétent pour décider d'instituer une servitude limitant l'usage de la construction qui faisait l'objet de l'autorisation d'urbanisme ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté litigieux n'est pas fondé ;
Considérant, en deuxième lieu, que la servitude instituée sur le chalet de Mme A étant générale et impersonnelle, a le caractère d'une décision de portée réglementaire ; qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de la loi susvisée du 11 juillet 1979 que l'article 1er limite à certaines catégories de décisions administratives individuelles défavorables ; qu'il suit de là que le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté litigieux doit être écarté comme inopérant ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en soutenant que la servitude limitant l'utilisation du chalet d'alpage porte atteinte aux principes de valeur constitutionnelle du respect du droit de propriété et d'égalité des citoyens devant la loi, Mme et M. A entendent nécessairement se prévaloir de l'inconstitutionnalité du second alinéa du I précité de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme sur le fondement duquel a été pris l'arrêté du 9 août 2007 ; que, toutefois, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions, qui n'a pas été présenté par un mémoire distinct ainsi qu'en dispose l'article 23-1 de l'ordonnance susvisée du 7 novembre 1958, est irrecevable ;
Considérant, en quatrième lieu, que la condition exigée par le second alinéa du I précité de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme pour restreindre l'utilisation d'un chalet d'alpage en période hivernale est l'absence de desserte en voirie ou en réseaux divers due à l'enneigement ; qu'il est constant que le chalet d'alpage que Mme A possède au lieudit l'Hortet est desservi par des voies impraticables en hiver ; que, par suite, les circonstances que la commune d'Aussois regarderait, à tort, l'une de ces voies comme un chemin rural, que l'absence de viabilité hivernale sur l'itinéraire d'accès ne saurait engager la responsabilité de la commune et que les évolutions de la législation de l'urbanisme permettraient la reconversion des bâtiments à usage agricole en chambres d'hôtes sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté ;
Considérant, en cinquième lieu, que le détournement de pouvoir n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande d'annulation présentée par Mme et M. A devant le Tribunal administratif de Grenoble doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, d'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de Mme et M. A doivent être rejetées ; que, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune d'Aussois ;
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 0705130 du président de la cinquième chambre du Tribunal administratif de Grenoble en date du 28 avril 2009 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme et M. A devant le Tribunal administratif de Grenoble ainsi que les conclusions de la requête présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Aussois présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Nadine A, à M. Bernard A, à la commune d'Aussois et au ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
''
''
''
''
1
2
N° 09LY01441