Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 24DA01064 :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête, enregistrée sous le n° 21DA00442 le 24 février 2021, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 15 novembre 2021, le 28 janvier 2022 et le 23 mars 2022, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Eolis Aquilon, représentée par Me Deldique, a demandé à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui accorder une autorisation d'exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Déhéries, Elincourt et Walincourt-Selvigny ;
2°) de lui délivrer cette autorisation ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre subsidiaire, de lui délivrer cette autorisation ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à la ré-instruction de sa demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par arrêt n° 21DA00442 du 3 mai 2022, la cour administrative d'appel de Douai a d'une part, annulé l'arrêté du 30 décembre 2020, d'autre part, enjoint au préfet du Nord d'accorder l'autorisation environnementale à la société Eolis Aquilon pour l'exploitation d'un parc de cinq éoliennes et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Dehéries, Elincourt et Walincourt-Selvigny, assortie des prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans un délai de trois mois et enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais de l'instance.
Par décision n° 465464 du 30 mai 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 24DA01064.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés les 9 avril 2025 et 12 mai 2025, le préfet du Nord demande à la cour de rejeter la requête présentée pour la société Eolis Aquilon.
Il soutient que :
- l'arrêté du 30 décembre 2020 n'est pas entaché d'erreur d'appréciation s'agissant de la sensibilité du busard cendré à l'éolien et des effets du projet sur cette espèce et de la prise en compte des mesures d'évitement, de réduction de compensation du projet ;
- subsidiairement, la société pétitionnaire doit présenter une demande de dérogation en application des dispositions des articles L. 181-3 et L. 411-2 du code de l'environnement.
Par des mémoires enregistrés le 10 avril 2025 et le 20 juin 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Eolis Aquilon, représentée par Me Deldique, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter son projet éolien situé sur le territoire des communes de Déhéries, d'Elincourt et de Walincourt-Selvigny ;
2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet du nord de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet du nord de procéder au réexamen de la demande d'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais de l'instance.
La société Eolis Aquilon soutient que :
- l'arrêté du 30 décembre 2020 n'est pas entaché d'erreur d'appréciation s'agissant de la sensibilité du busard cendré à l'éolien et des effets du projet sur cette espèce ;
- le busard cendré n'est plus considéré comme espèce " en danger critique d'extinction ", mais " en danger " ;
- son projet ne nécessite pas de demande de dérogation.
II. Sous le n° 22DA02041 :
Par une requête enregistrée le 5 octobre 2022, la société Eolis Aquilon, représentée par Me Deldique, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2.3.1 et 2.3.3 de l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet du Nord a fixé des mesures de bridage au titre de l'exploitation d'aérogénérateurs ;
2°) de réformer les articles 2.3.1 et 2.3.3 de l'arrêté du 5 août 2022 ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de ces mesures de bridage ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Eolis Aquilon soutient que :
- les mesures de bridage sont disproportionnées au regard de l'impact du projet sur le busard cendré et sur les chiroptères ;
- les prescriptions litigieuses remettent en cause la viabilité financière du projet ;
- les mesures de bridage intermédiaires qu'elle propose sont adaptées ;
- les prescriptions litigieuses portent atteinte aux objectifs issus notamment de l'article L. 100-4 du code de l'énergie.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 février 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les mesures de réductions proposées par la société pétitionnaire sont insuffisantes au regard des risques créés par le fonctionnement du projet ;
- la société requérante ne justifie pas des préjudices qu'elle allègue et le moyen tiré de l'atteinte à l'équilibre financier du projet est inopérant ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs définis l'article L. 100-4 du code de l'énergie est inopérant, en plus d'être mal fondé.
Les parties ont été informées le 19 juin 2025, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n°22DA02041, dès lors que l'arrêté litigieux du 5 août 2022 a été abrogé par l'arrêté du 30 juillet 2024, objet de l'instance n°24DA02013.
La société Eolis Aquilon a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public le 20 juin 2025.
Par un mémoire distinct, enregistré le 20 juin 2025, présenté au titre des dispositions des articles R. 412-2-1 et R. 611-30 du code de justice administrative, la société Eolis Aquilon a versé aux débats des pièces confidentielles qu'elle indique être couvertes par le secret des affaires et qui n'ont pas été communiquées.
III. Sous le n° 24DA02013 :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 septembre 2024, 10 octobre 2024 et 10 avril 2025, la société Eolis Aquilon, représentée par Me Deldique, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 30 juillet 2024 par lequel il a abrogé son arrêté préfectoral du 5 août 2022 autorisant la société Eolis Aquilon à construire et exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Déhéries, Elincourt et Walincourt-Selvigny ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Eolis Aquilon soutient que :
- les prescriptions de l'article L. 181-17 du code de l'environnement ont bien été respectées ;
- l'arrêté en litige a été signé par le secrétaire général adjoint, dont il n'est pas établi qu'il bénéficiait d'une délégation à cet effet ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'erreur de droit, dès lors que la décision du Conseil d'Etat n'impliquait pas nécessairement d'abroger l'arrêté intervenu le 5 août 2022 ;
- le busard cendré est désormais classé " en danger " et non plus " en danger critique d'extinction " ;
- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation, dès lors que les mesures d'évitement et de réduction proposées n'impliquent pas de demander une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2025, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le signataire de l'acte attaqué était bien compétent ;
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation n'est pas fondé ;
- l'arrêté du 30 juillet 2024 n'est pas entaché d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de l'énergie ;
- la code de l'environnement ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vérisson,
- les conclusions de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Deldique, représentant la société Eolis Aquilon.
Une note en délibéré présentée pour la société Eolis Aquilon a été enregistrée le 1er juillet 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société Eolis Aquilon a, en 2016, demandé au Préfet du Nord la délivrance d'une autorisation environnementale aux fins d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Déhéries, d'Elincourt et de Walincourt-Selvigny. Par un premier arrêté du 30 décembre 2020, annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 3 mai 2022, le préfet du Nord a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. Par un deuxième arrêté du 5 août 2022, le préfet du Nord a alors accordé l'autorisation demandée par la société Eolis Aquilon, en l'assortissant de prescriptions destinées à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
2. Cependant, par une décision du 30 mai 2024, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire. Par un arrêté du 30 juillet 2024, le préfet du Nord a alors abrogé l'arrêté 5 août 2022.
3. Les requêtes susvisées nos 22DA02041, 24DA01064 et 24DA02013 présentées pour la société Eolis Aquilon concernent le même projet éolien et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 décembre 2020 refusant l'autorisation environnementale :
En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté du 30 décembre 2020 :
4. Par un arrêté du 9 décembre 2020 publié au recueil des actes administratifs n°320 le même jour, le préfet du Nord a donné délégation à M. Ventre, secrétaire général adjoint, à l'effet de signer l'ensemble des actes relevant notamment des installations classées pour la protection de l'environnement dont relève le projet présenté par la société Eolis Aquilon. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté litigieux du 30 décembre 2020 doit être écarté.
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté du 30 décembre 2020 :
5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Par ailleurs, selon l'article R. 181-34 du code de l'environnement, une décision de refus d'autorisation environnementale doit être motivée.
6. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux du 30 décembre 2020 que l'autorité administrative, après avoir visé les pièces du dossier de demande, dont celles produites par la pétitionnaire, l'étude d'impact et l'avis de l'autorité environnementale du 10 janvier 2019, a fondé son refus d'accorder l'autorisation environnementale sollicitée sur le fait que l'évaluation des enjeux a mis en évidence la présence de busards cendrés ayant nidifié en 2015 et 2016 sur le site envisagé pour l'installation du projet, que cette espèce est protégée et présente une sensibilité élevée aux éoliennes, que le projet d'installation et d'exploitations d'éoliennes " se situe à une distance insuffisante des zones à enjeux pour la nidification du busard cendré pour prévenir sa mortalité par collision, ainsi que la perte de fonctionnalité de ses zones de nidification ", que les seules mesures de réductions proposées concernent uniquement la phase de construction du projet, que les mesures d'évitement et de réduction proposées sont insuffisantes et ne permettent pas d'atteindre un niveau de risque résiduel acceptable à l'égard du busard cendré. La circonstance que l'arrêté ne mentionne pas précisément les référentiels retenus par le préfet est sans incidence sur le caractère suffisant de sa motivation, dès lors qu'elle permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.
En ce qui concerne le motif de refus tiré de l'atteinte portée au busard cendré :
7. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". Au titre des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, figurent " la protection de la nature, de l'environnement ".
8. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation environnementale délivrée des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés par les dispositions précitées en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions additionnelles ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, que le préfet ne peut légalement délivrer cette autorisation.
9. Comme indiqué précédemment, le refus tient à la présence de busards cendrés sur le terrain du projet. Il résulte en effet de l'étude d'impact que cette espèce a été observée durant plusieurs phases de son cycle biologique. Un couple de busard cendré a été observé en période de nidification, un spécimen en période postnuptiale et cinq spécimens en période prénuptiale. L'étude d'impact relève que " l'espèce semble nicher régulièrement dans le secteur du projet ". L'avis de la MRAe indique que des busards cendrés " ont été identifiés nicheurs au sein de la zone d'implantation potentielle à environ 100 mètres de l'emplacement retenu pour l'éolienne E3 ".
10. La société souligne que l'espèce serait dorénavant classée depuis 2024 comme simplement " en danger " sur le périmètre géographique élargi de la région des Hauts-de-France, et non plus " en danger critique d'extinction " sur le périmètre initial du Nord-Pas-de-Calais. Toutefois, comme le relève la ministre, la fusion des listes d'oiseaux protégés dans les anciennes régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, en une liste unique pour la nouvelle région des Hauts-de-France, a conduit à réévaluer le statut de conservation de chaque espèce à l'échelle du nouveau territoire régional. C'est donc au moins en partie en raison de l'élargissement géographique du territoire de référence que l'espèce a été catégorisée en " danger ". En tout état de cause, le busard cendré est au nombre des espèces classées " en danger ".
11. L'installation du parc éolien sur le site concerné, constitué en partie par une ZNIEFF de type 1 où le busard cendré est amené à nicher, a été considérée comme générant un risque de collision élevé en périodes de migration et de reproduction, circonstance d'ailleurs confirmée expressément par la note écologique de décembre 2024, ce qui induit un risque " fort " pour l'espèce. La société Eolis Aquilon a prévu des mesures d'évitement en phase de chantier, mais aucune autre mesure d'évitement ou de réduction n'est prévue en phase d'exploitation. Si l'étude écologique qualifie le niveau des enjeux résiduels du projet à l'égard de l'espèce de " modéré " c'est du fait " de la proximité d'habitats favorables et de la pratique des rotations de culture " ce qui ne constitue pas une mesure de réduction. L'avis de la MRAe souligne d'ailleurs l'absence de diagnostic précis quant à d'éventuels terrains de remplacement de l'habitat de l'espèce, alors que l'étude d'impact relève que l'espèce " reste assez fidèle à ses sites de nidification ".
12. Toutefois, la société met en avant la possibilité d'un plan de bridage. Elle s'appuie notamment sur une nouvelle étude écologique réalisée en décembre 2024 et propose désormais un plan de bridage diurne pour les éoliennes E2, E3 et E4 entre le 15 avril et le 31 août. De son côté, le préfet, tenu de délivrer une autorisation à la suite de l'arrêt de la cour, a lui estimé qu'il convenait d'arrêter complètement les éoliennes E1, E3, E4 et E5 du 1er mars au 31 août.
13. Dans les circonstances de l'espèce, alors qu'un nombre relativement réduit de spécimens de busards cendrés a été identifié sur le site, que les risques encourus en phase d'exploitation se concentrent sur certaines phases du cycle biologique, un plan de bridage pourrait être susceptible de réduire à un niveau acceptable les risques encourus par cette espèce. Dans ces conditions, le préfet du Nord ne pouvait prendre la décision du 30 décembre 2020 en considérant qu'aucune prescription ne pouvait prévenir les atteintes présentées par le projet et le refus tiré d'une atteinte irrémédiable au busard cendré au regard des prescriptions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement est entaché d'illégalité.
En ce qui concerne la demande de substitution de motif :
14. Aux termes du II de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation (...) ". L'article L. 411-1 du même code prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".
15. La destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
16. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.
17. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
18. Les articles L. 411-1 et L. 411-2 mettent en place un régime spécifique de protection des espèces protégées qui ne se confond pas avec les intérêts protégés de manière générale par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il s'ensuit qu'un risque d'atteinte portée à des espèces protégées peut apparaître suffisamment caractérisé pour que le projet nécessite l'octroi d'une dérogation sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, sans pour autant être d'une nature et d'une ampleur telles qu'il porterait, sans qu'aucune prescription complémentaire puisse l'empêcher, une atteinte à la conservation de ces espèces justifiant d'opposer un refus sur le fondement de l'article L. 511 1 du même code.
19. Le préfet du Nord fait valoir que la société pétitionnaire devait en tout état de cause présenter une demande de dérogation en application des dispositions des articles L. 181-3 et L. 411-2 du code de l'environnement, eu égard aux effets du projet sur le busard cendré et à son statut d'espèce menacée. Il est constant que le busard cendré figure sur la liste des espèces protégées, fixée par l'arrêté interministériel du 29 octobre 2009, ainsi que sur l'annexe I de la directive du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages.
20. Comme indiqué précédemment, la société propose désormais la mise en place d'un plan de bridage diurne pour les éoliennes E2, E3 et E4 entre le 15 avril et le 31 août. Cependant, si la note écologique de décembre 2024 estime qu'un tel plan pourrait ramener les impacts résiduels sur le busard cendré à un niveau non significatif, comme l'indique le préfet, l'absence de bridage en mars et début avril ne permet pas de couvrir toute la période d'activité du busard. Par suite, il n'est pas possible de considérer que les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour le busard cendré, au point qu'il apparaisse comme insuffisamment caractérisé. Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée par le préfet du Nord, sur laquelle la société requérante a été mise à même de présenter ses observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait et qui ne la prive d'aucune garantie procédurale.
21. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de refus du 9 décembre 2020 doivent être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté d'abrogation du 30 juillet 2024 :
En ce qui concerne la compétence du signataire :
22. Il ressort des termes de l'arrêté n°2024-04-18-00009 portant délégation de signature publié le 19 avril 2024 au recueil des actes administratifs n° 2024-144 de la préfecture du Nord, mis en ligne sur le site internet de cette dernière, qu'en qualité de secrétaire général adjoint de la préfecture du Nord, M. B... A... disposait d'une délégation de signature à l'effet de signer " tout ce qui relève des procédures liées aux installations classées pour la protection de l'environnement, aux éoliennes terrestres (...) ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
En ce qui concerne la motivation :
23. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". L'article L. 211-5 du même code précise que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
24. L'arrêté attaqué du 30 juillet 2024 vise notamment le chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement et mentionne l'intervention des différentes décisions administratives et juridictionnelles intervenues dans le cadre de sa demande d'autorisation de création d'un parc de cinq aérogénérateurs sur les communes de Déhéries, d'Elincourt et de Walincourt-Selvigny. De plus, il indique que, consécutivement à la décision du Conseil d'Etat du 30 mai 2024 annulant l'arrêt de la cour administrative d'appel du 3 mai 2022, la décision initiale de refus d'autorisation du 30 décembre 2020 est réapparue dans l'ordonnancement juridique, justifiant ainsi l'abrogation de l'autorisation environnementale édictée en exécution de l'arrêt d'appel du 3 mai 2022. Par suite, cet arrêté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
En ce qui concerne l'erreur de droit :
25. Si l'annulation, par une décision juridictionnelle devenue définitive, d'un arrêt d'annulation n'a pas par elle-même pour effet de faire disparaître la décision de l'administration prise en exécution de cet arrêt, elle ouvre cependant la faculté à l'administration de retirer ou d'abroger cette décision, même si cette décision est créatrice de droits. L'annulation de l'éventuelle injonction décidée par le premier jugement a pour effet de priver de base légale la décision de l'administration prise en exécution.
26. Il ressort des termes de l'arrêté du 5 août 2022 que le préfet du Nord a, en exécution de l'injonction de délivrance de l'autorisation environnementale prononcée par la cour administrative d'appel de Douai dans son arrêt du 3 mai 2022, accordé à la société Eolis Aquilon l'autorisation d'exploiter le parc éolien projeté, en l'assortissant toutefois de plusieurs prescriptions. Cependant, l'annulation de cet arrêt 3 mai 2022 de la cour, par la décision du Conseil d'Etat du 30 mai 2024, a eu pour effet de priver l'arrêté du 5 août 2022 de toute base légale. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet du Nord a mis en œuvre la faculté qui était la sienne de procéder à son abrogation par l'arrêté litigieux du 30 juillet 2024. La société pétitionnaire n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté d'abrogation serait entaché d'erreur de droit au motif que la décision du Conseil d'Etat n'impliquait pas nécessairement l'abrogation de l'arrêté du 5 août 2022. Le moyen doit donc être écarté.
En ce qui concerne le risque résiduel pour le busard cendré ;
27. La société Eolis aquilon fait valoir que le préfet a commis une erreur d'appréciation en estimant que le risque résiduel sur le busard cendré était excessif et que les mesures d'évitement et de réduction proposées n'impliquaient pas de demander une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Toutefois, alors qu'il ressort des motifs de l'arrêté en litige que l'autorité administrative s'est bornée à tirer les conséquences de l'annulation de l'injonction fondant l'édiction de l'autorisation environnementale du 5 août 2022. Un tel moyen est inopérant et ne peut qu'être écarté.
Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté d'abrogation du 30 juillet 2024 doivent être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 5 août 2022 :
28. L'abrogation d'une autorisation environnementale rend sans objet la demande d'annulation de cette autorisation.
29. Par l'arrêté du 5 août 2022, le préfet du nord a accordé l'autorisation demandée par la société Eolis Aquilon, en l'assortissant toutefois de prescriptions, en exécution de l'injonction prononcée par la cour dans son arrêt du 3 mai 2022. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que c'est à bon droit que le préfet a, par son arrêté du 30 juillet 2024, abrogé l'arrêté du 5 août 2022 en litige. Il s'ensuit que les conclusions dirigées contre l'arrêté du 5 août 2022 sont devenues sans objet.
30. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à annuler et réformer les articles 2.3.1 et 2.3.3 de l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet du Nord a fixé des mesures de bridage au titre de l'exploitation d'aérogénérateurs.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
31. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction présentées pour la société Eolis Aquilon doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Eolis Aquilon demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation et à la réformation de l'arrêté du 5 août 2022 dans l'instance n° 22DA02041.
Article 2 : Les requêtes n°s 24DA01064 et 24DA02013 de la société Eolis Aquilon sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Eolis Aquilon est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Eolis Aquilon et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie pour information sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 26 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Borot, présidente,
Mme Legrand, présidente-assesseure,
M. Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. Vérisson La présidente,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N° 22DA02041, 24DA01064, 24DA02013