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02/07/2025 | FRANCE | N°24DA01487

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 juillet 2025, 24DA01487


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 22 juin 2023 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé la sanction de révocation et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.



Par un jugement n° 2307522 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au ministre de la justice de procéder à la réintégratio

n de M. A... et à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux et a rejeté les conclusion...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 22 juin 2023 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé la sanction de révocation et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 2307522 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au ministre de la justice de procéder à la réintégration de M. A... et à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux et a rejeté les conclusions indemnitaires de l'intéressé.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 juillet 2024 et le 21 janvier 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement du 23 mai 2024 en tant qu'il annule l'arrêté du 22 juin 2023 et de rejeter les conclusions d'annulation présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- les faits reprochés à M. A... constituent des manquements à ses obligations déontologiques qui, par leur gravité, impliquent sa révocation ;

- l'absence d'information sur le droit de se taire n'a privé M. A... d'aucune garantie dès lors que les faits retenus à son encontre résultent du jugement du tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe du 19 octobre 2022 ;

- les moyens soulevés par l'intimé devant les premiers juges ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Schmidt-Sarels, conclut au rejet de la requête, et, par la voie d'un appel incident, à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2023 et de la capitalisation de ces intérêts, et à ce qu'une somme de 2 400 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le président du conseil de discipline a lu en séance les dispositions de l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles, relatives à une procédure particulière inapplicable à sa situation, et sans qu'il ait été préalablement informé de l'existence de cette procédure, et que cette lecture a exercé une influence sur les membres du conseil de discipline ;

- il n'a pas été informé du droit de se taire ;

- la sanction disciplinaire de révocation est disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés ;

- son appel incident est recevable ;

- l'illégalité de la sanction litigieuse constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, à l'origine d'un préjudice moral évalué à la somme de 2 000 euros.

Par une ordonnance du 27 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 26 février 2025, à 12 heures.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident présenté par M. A... dès lors que cet appel, qui vise à obtenir l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires, ainsi que la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice moral, soulève un litige distinct de celui qui, résultant de l'appel principal, vise à obtenir l'annulation de ce jugement en tant qu'il annule pour excès de pouvoir la sanction de révocation.

M. A... a présenté ses observations sur ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 13 juin 2025, qui a été communiqué au ministre de la justice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,

- et les observations de Me Avonture Herbaut, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, a été affecté en dernier lieu à l'unité éducative de milieu ouvert d'Avesnes-sur-Helpe. Par un jugement de la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe du 19 octobre 2022, devenu définitif, M. A... a été condamné à une peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence, commis le 6 juillet 2012, sur la personne de son épouse et de son enfant, mineur de quinze ans, avec usage ou menace d'une arme par destination. Par un arrêté du 22 juin 2023, le ministre de la justice a infligé à M. A... la sanction de révocation avec effet à compter de la date de notification de sa décision. L'intéressé a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de sa révocation. Par un jugement du 23 mai 2024, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 22 juin 2023 et a rejeté les conclusions indemnitaires de M. A.... Le ministre de la justice relève appel de ce jugement en tant qu'il annule la sanction de révocation. M. A... réitère devant la cour, par la voie d'un appel incident, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice moral pour un montant évalué à 2 000 euros.

Sur la recevabilité des conclusions incidentes de M. A... :

2. Il ressort des écritures du ministre de la justice, qui n'aurait pas eu intérêt à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de M. A..., que l'appel principal vise uniquement à obtenir l'annulation de ce jugement en tant qu'il annule l'arrêté du 22 juin 2023. Dans ces conditions, M. A..., qui entend contester ce même jugement, par la voie d'un appel incident, en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires, soulève un litige distinct de celui qui résulte de l'appel principal. Ces conclusions incidentes ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire (...) ". Aux termes de son article L. 533-1 : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes : / 1° Premier groupe : / a) L'avertissement ; / b) Le blâme ; / c) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. / 2° Deuxième groupe : / a) La radiation du tableau d'avancement ; / b) L'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par le fonctionnaire ; / c) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; / d) Le déplacement d'office dans la fonction publique de l'Etat. / 3° Troisième groupe : / a) La rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par le fonctionnaire ; / b) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / 4° Quatrième groupe : / a) La mise à la retraite d'office ; / b) La révocation ".

4. Il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. En outre, le comportement d'un fonctionnaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction si les faits commis sont incompatibles avec les fonctions exercées ou s'ils ont pour effet de perturber le bon fonctionnement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

5. Selon les termes de l'arrêté contesté, le ministre de la justice a infligé une sanction de révocation à M. A... en tenant compte des seuls faits pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement de douze mois avec sursis. Il ressort du jugement de la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe du 19 octobre 2022 et de l'avis du conseil de discipline du 4 mai 2023 que M. A... a commis le 6 juillet 2022 des faits de violence sur la personne de son épouse et d'une de ses filles, en percutant avec son véhicule celui dans lequel elles se trouvaient. Le juge pénal a retenu comme aggravantes les circonstances que ces faits, suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours s'agissant de son épouse et d'aucune incapacité s'agissant de sa fille, ont été commis par le conjoint de la victime en présence d'un mineur, et par un ascendant sur un mineur de quinze ans, au moyen d'une arme par destination, en l'espèce un véhicule.

6. Le ministre de la justice soutient que M. A..., éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, est tenu à une obligation de dignité, y compris en dehors du service, et que les faits qui lui sont reprochés ont porté atteinte à la réputation du service public de la protection judiciaire de la jeunesse. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment des comptes-rendus d'entretiens professionnels des années 2008 à 2022 que la manière de servir et les qualités professionnelles de l'intéressé ont été irréprochables jusqu'aux faits retenus à son encontre, que ceux-ci sont isolés, et qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente condamnation ou sanction disciplinaire. Si le ministre insiste sur l'incompatibilité entre le comportement violent de M. A... à l'égard de son enfant et ses missions auprès des mineurs pris en charge par le service de la protection judiciaire de la jeunesse, il ressort encore des pièces du dossier que l'intéressé, qui a commis les faits reprochés en dehors du service dans un contexte de séparation conflictuelle avec son épouse, a conservé le droit de visiter et d'héberger ses enfants dans le cadre de son contrôle judiciaire, que le tribunal judiciaire a estimé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice, que la décision pénale dont il a fait l'objet n'a été assortie d'aucune interdiction d'exercice d'une activité et qu'il a été fait droit par ce tribunal à sa demande de non inscription de la décision au bulletin n° 2 de son casier judiciaire. Dans ces conditions, alors que M. A... a pris conscience de la gravité de son comportement ainsi qu'il l'a indiqué devant le conseil de discipline, la sanction de révocation, qui est la plus sévère des sanctions disciplinaires prévues par l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique, présente, dans les circonstances particulières de l'espèce, un caractère disproportionné. Le ministre de la justice n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté pour ce motif.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 22 juin 2023.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. B... A....

Délibéré après l'audience publique du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Paul Groutsch, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 24DA01487


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01487
Date de la décision : 02/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Malfoy
Avocat(s) : SCHMIDT-SARELS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-02;24da01487 ?
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