Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 21 août 2023 par lequel le préfet de l'Eure a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2304397 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 juillet 2024, le 15 octobre 2024 et le 17 mars 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Bara Carré, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure, d'une part, de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, d'autre part, de lui restituer son passeport ;
4°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'arrêté contesté jusqu'à ce que la cour se prononce au fond ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont porté atteinte aux droits de la défense en estimant que le bref délai d'obtention des documents médicaux produits à l'instance suffisait à en remettre en cause le caractère probant ;
- ils ont entaché leur jugement d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de refus de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a été pris au vu d'un rapport médical ne comportant aucune mention dans la rubrique " pronostic " ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne pourra avoir un accès effectif à un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine ;
- il a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;
- il s'est estimé, à tort, en situation de compétence liée à l'égard de l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- les observations de l'Office fondées sur des documents non rédigées en français sont irrecevables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2025, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête au motif que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté un mémoire en intervention enregistré le 3 mars 2025.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante géorgienne née le 7 novembre 1952, indique être entrée en France au cours de l'année 2016. Elle a bénéficié d'un titre de séjour en raison de son état de santé pour la période du 8 décembre 2018 au 13 août 2019, qui a ensuite été renouvelé jusqu'au 14 décembre 2022. Par un arrêté du 21 août 2023, le préfet de l'Eure a rejeté la dernière demande de renouvellement présentée par Mme B..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme B... relève appel du jugement du 11 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été mise à même de faire état, dans le cadre du débat contradictoire, de toute pièce utile à l'appui de son recours contre l'arrêté de refus de séjour. Si le tribunal administratif a estimé que le courrier de l'agence géorgienne de régulation des activités médicales et pharmaceutiques du 18 septembre 2023 ne revêtait aucune valeur probante, les raisons ayant conduit les premiers juges à cette appréciation, qu'il appartient à Mme B... de critiquer dans le cadre de son appel, ne révèlent aucune méconnaissance de leur part des droits de la défense.
3. En second lieu, hormis dans le cas où le tribunal administratif a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les premiers juges se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme B... ne peut donc utilement soutenir, pour contester la régularité du jugement attaqué, que les premiers juges auraient commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de son droit au séjour en raison de son état de santé et de sa vie privée et familiale.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de son avis rendu le 11 avril 2023 que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessite des soins dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ce que le préfet de l'Eure ne conteste ni dans l'arrêté contesté, ni dans ses écritures contentieuses. Dans ces conditions, si la requérante soutient que le médecin instructeur a omis de compléter la rubrique " pronostic " du rapport soumis au collège de médecins, alors qu'il s'agit de l'un des trois éléments déterminants permettant d'évaluer les conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge médicale, cette circonstance ne l'a pas privée d'une garantie et est restée sans influence sur le sens de la décision contestée. Le moyen tiré de ce que cette décision est entachée d'un vice de procédure doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
6. Il ressort de l'avis émis le 11 avril 2023 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que, si l'état de santé de Mme B..., qui souffre de polyarthrite rhumatoïde sévère, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel elle peut voyager sans risque. Pour contester cet avis, que le préfet a pris en compte pour lui refuser le droit au séjour, Mme B... se prévaut à l'instance de courriers des 18 septembre 2023 et 3 juin 2024 émanant de l'agence géorgienne de régulation des activités médicales et pharmaceutiques dont il ressort que plusieurs médicaments nécessaires à son traitement ne sont pas actuellement enregistrés sur le marché pharmaceutique géorgien. Toutefois, il ressort des propres déclarations de la requérante que le doliprane et le tramadol, qui sont des antalgiques, l'ideos, qui facilite l'absorption du calcium par l'estomac afin de contribuer à la fixation des os, et l'oméprazole, qui permet de lutter contre les reflux gastriques, sont disponibles dans son pays d'origine. Si elle soutient que le metotab, médicament spécifiquement utilisé dans la lutte contre la polyarthrite rhumatoïde, n'est pas disponible en Géorgie et ne peut être substitué par un autre médicament, il ne ressort ni du dossier médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ni des certificats et comptes-rendus médicaux se rapportant au suivi de l'intéressée par le service de médecine interne en diabétologie et rhumatologie du centre hospitalier Eure-Seine que ce médicament lui serait prescrit pour le traitement de sa pathologie arthritique. Il résulte des éléments issus du site d'information Medical Country of Origin Information ou " MedCoi ", qui est un site de l'agence pour l'asile de l'Union européenne, auxquelles les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ont accès, que si l'actonel 35 mg, utilisé dans le cadre du traitement de la maladie des os pour lutter contre la dégénérescence liée à la polyarthrite rhumatoïde, n'est pas référencé en Géorgie, une alternative thérapeutique est permise par un autre bisphosphonate appelé acide alendronique. D'après ces mêmes éléments, le cortancyl, médicament anti-inflammatoire à base de prednisolone, le speciafoldine, acide folique permettant une meilleure absorption des éléments par l'intestin, le cotriatec, associant l'hydrochlorothiazide et le ramipril qui sont deux molécules permettant de lutter contre l'hypertension, et l'uvédose, médicament facilitant la fixation osseuse du calcium, sont également référencés en Géorgie, le cas échéant sous la forme de leur molécule de base. A cet égard, il ne ressort pas des certificats médicaux versés au dossier que les différents médicaments précités, seuls prescrits à Mme B... pour le traitement de sa pathologie, ne seraient pas substituables. S'il résulte en revanche du certificat établi le 15 octobre 2024 par un praticien du centre hospitalier Eure-Seine que l'infliximab 3mg, dont la requérante reçoit une perfusion toutes les huit semaines, n'est pas substituable, les fiches " MedCoi " précitées mentionnent que ce médicament est référencé en Géorgie, et commercialisé sous le nom de remicade. Mme B..., qui se borne à soutenir que ces fiches ne sont pas rédigées en français, n'apporte aucune contestation utile de l'analyse qu'en a tiré l'Office français de l'immigration et de l'intégration dans son mémoire en intervention. Si la requérante se prévaut de documents d'ordre général sur le système sanitaire géorgien et les conditions de prise en charge des malades, elle n'apporte aucun élément à l'instance se rapportant notamment au niveau de vie qui serait le sien en Géorgie, où elle a vécu l'essentiel de son existence, susceptible de démontrer qu'elle ne pourrait y accéder effectivement à un traitement approprié. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le préfet de l'Eure, qui s'est appuyé sur l'avis rendu par le collège de médecins, aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant le renouvellement du titre de séjour de Mme B....
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Eure se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée à l'égard de l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
8. En dernier lieu, Mme B..., qui ne justifie d'aucune insertion particulière dans la société française, est entrée sur le territoire français en 2016, après avoir vécu jusqu'à l'âge de soixante-quatre ans dans son pays d'origine, où résident ses sœurs et deux de ses enfants. Par suite, si elle fait état de la présence en France d'autres membres de sa famille, dont une fille majeure et deux petits-enfants, il n'est pas établi qu'en lui refusant le droit au séjour, le préfet de l'Eure aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions subsidiaires tendant à ce que la cour suspende l'exécution de l'arrêté contesté jusqu'à ce qu'elle se prononce au fond ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées. Il en est de même de ses conclusions présentées à fin d'injonction et au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Bara Carré.
Copie en sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience publique du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Paul Groutsch, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA01435