Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune du Havre à lui verser une somme de 470 euros en réparation du préjudice résultant du bris de ses lunettes et une somme de 11 726,49 euros en réparation du préjudice résultant du recours abusif à des contrats à durée déterminée.
Par un jugement n° 2203541 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune du Havre à verser la somme de 1 500 euros à M. B... en réparation du préjudice résultant du recours abusif à des contrats à durée déterminée, cette somme étant assortie des intérêts à compter du 20 juin 2022 et de la capitalisation de ces intérêts.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 mars 2024 et le 9 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Languil, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 2 février 2024 ;
2°) de condamner la commune du Havre à lui verser la somme de 470 euros en réparation du préjudice résultant du bris de ses lunettes et une somme de 11 726,49 euros en réparation du préjudice résultant du recours abusif à des contrats à durée déterminée ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Havre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune du Havre a manqué à l'obligation d'assurer la sécurité et la santé des agents de la collectivité, de sorte qu'elle doit l'indemniser en raison du bris de ses lunettes en cours d'activité ;
- il appartient à la commune d'établir qu'elle a respecté son obligation et qu'il travaillait dans des conditions habituelles, alors qu'elle n'a procédé à aucune enquête ;
- il a droit à une indemnisation à ce titre, en application de la délibération n° 20190386 du 16 septembre 2019 ;
- les frais de réparation, pour lesquels il n'a bénéficié d'aucune prise en charge, s'établissent à la somme de 470 euros ;
- le renouvellement abusif de ses contrats à durée déterminée n'est pas justifié par un accroissement d'activité ;
- ce renouvellement abusif est à l'origine d'un préjudice de précarité incluant non seulement le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence mais également les avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ;
- la circonstance qu'il a refusé de conclure un nouveau contrat à durée déterminée n'a pas pour effet de diminuer son préjudice financier qui résulte du renouvellement abusif précité et non de ce refus ;
- outre son préjudice moral évalué à 5 000 euros, il a droit au versement d'une somme de 4 663,53 euros au titre de l'indemnité de licenciement et d'une somme de 2 062,96 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- l'indemnité de licenciement doit être calculée sur la base d'un montant mensuel de 1 554,51 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 décembre 2024 et le 10 février 2025, la commune du Havre, représentée par Me Tugaut, conclut au rejet de la requête, par la voie d'un appel incident à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de ce dernier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le recours à des contrats à durée déterminée est justifié par un accroissement d'activité en lien avec la réforme des rythmes scolaires ;
- le requérant ne produit pas la facture concernant ses lunettes et ne justifie pas de la prise en charge par les organismes de sécurité sociale et mutualiste ;
- le montant réclamé excède le forfait de remboursement admis par la délibération du 16 septembre 2019 ;
- une éventuelle indemnité de licenciement ne saurait être supérieure à 1 600,98 euros, évaluée sur la base de la rémunération mensuelle du requérant, correspondant à 1 231,52 euros nets pour un temps complet, et de quatre ans d'ancienneté décomptée au prorata du temps de travail effectué ;
- le préjudice en lien avec l'indemnité compensatrice de préavis n'est pas établi ;
- le requérant ne justifie d'aucun trouble dans ses conditions d'existence ;
- le préjudice moral invoqué ne saurait excéder la somme de 1 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Velly, représentant la commune du Havre.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a conclu avec la commune du Havre, à compter de septembre 2014, plusieurs contrats à durée déterminée en vue d'occuper des fonctions d'adjoint d'animation dans les services municipaux d'éducation et d'animation. Ayant refusé de poursuivre cet engagement à l'issue du dernier contrat à durée déterminé conclu pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2021, M. B..., qui indique avoir brisé ses lunettes le 3 février 2021 dans l'exercice de ses fonctions, a présenté le 17 juin 2022 une réclamation préalable à la commune du Havre tendant au remboursement des frais occasionnés par leur remplacement, ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice financier et moral qu'il estime avoir subi en raison du recours abusif de l'administration à des contrats à durée déterminée. Cette réclamation ayant été implicitement rejetée, l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Rouen en vue d'obtenir la condamnation de la commune du Havre à l'indemniser de ses préjudices pour un montant total de 12 196 euros. Par un jugement du 2 février 2024, le tribunal administratif a estimé que la commune avait engagé sa responsabilité en recourant de façon abusive à des contrats à durée déterminée, a indemnisé le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par M. B... en lui allouant une somme de 1 500 euros, et a rejeté le surplus de sa demande. L'intéressé relève appel de ce jugement et réitère devant la cour ses conclusions indemnitaires pour un montant total de 12 196 euros. La commune du Havre demande à la cour, par la voie d'un appel incident, l'annulation du jugement et le rejet de la demande présentée par le requérant devant le tribunal administratif.
Sur le remboursement des frais de lunetterie :
2. En premier lieu, il appartient aux autorités administratives, qui ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d'assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale.
3. M. B..., qui indique avoir brisé ses lunettes le 3 février 2021, demande le remboursement des frais engagés pour leur remplacement, pour un montant total de 470 euros. Toutefois, la seule circonstance que le requérant a endommagé ses lunettes sur le lieu de son service n'implique aucunement à elle seule un manquement de l'administration dans l'obligation d'assurer sa sécurité et sa santé. M. B... n'apporte à l'instance aucun élément explicitant les conditions dans lesquelles il a brisé ses lunettes laissant supposer un tel manquement, alors que la commune du Havre soutient, sans être sérieusement contredite, qu'elles sont tombées après qu'il a reçu un ballon à ses pieds, et qu'il les a lui-même cassées en marchant dessus. M. B... n'est donc pas fondé à rechercher la responsabilité de la commune du Havre à raison d'une méconnaissance des règles nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et morale.
4. En second lieu, par une délibération du 16 septembre 2019, la commune du Havre a décidé l'indemnisation des dommages matériels subis par ses agents lorsqu'ils se voient confier des fonctions exceptionnelles ou lorsqu'ils exercent leurs missions dans des circonstances inhabituelles, en retenant, notamment, un remboursement forfaitaire en cas de bris de lunettes. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas même allégué que M. B... aurait détérioré ses lunettes le 3 février 2021 dans le cadre de fonctions exceptionnelles que lui aurait confiées l'administration. Il n'est pas plus établi que le requérant se serait trouvé le 3 février 2021 dans des circonstances d'accomplissement du service qui, modifiant la nature ou la difficulté des actes habituellement accomplis, l'auraient exposé à des risques ou à un environnement de travail dont il n'était pas familier. M. B... ne remplit donc pas les conditions pour une indemnisation prévue lorsqu'un agent accomplit ses missions dans des circonstances inhabituelles.
Sur le recours à des contrats de travail à durée déterminée successifs :
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration :
5. Dans sa version applicable au litige, l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale permet aux collectivités territoriales de recruter, par voie de contrat à durée déterminée, des agents non titulaires sur des emplois non permanents afin de faire face à un besoin lié à un accroissement temporaire ou saisonnier d'activité. Les collectivités territoriales ont ainsi la possibilité de conclure, le cas échéant, des contrats à durée déterminée successifs avec un même agent, sous réserve cependant qu'un examen global des circonstances dans lesquelles ces contrats ont été renouvelés ne révèle pas un abus, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées par l'agent, au type d'organisme qui l'emploie, ainsi qu'au nombre et à la durée cumulée des contrats en cause.
6. Il résulte de l'instruction que M. B... a exercé, sous couvert de douze contrats, les fonctions d'adjoint d'animation au sein du service d'accueil scolaire et d'animation périscolaire du 1er septembre 2014 au 2 février 2015 puis du 15 mai au 3 juillet 2015 et, de façon quasiment ininterrompue, du 1er août 2015 au 31 juillet 2016. Si la commune du Havre soutenait devant les premiers juges que ces contrats successifs sont justifiés par un accroissement d'activité consécutif aux vacances scolaires en août 2015, du 21 au 31 décembre 2015, du 4 au 15 avril 2016 et en juillet 2016, M. B... a été employé de façon continue, hormis quelques interruptions, d'août 2015 à juillet 2016 au cours d'une période excluant les vacances scolaires. Le requérant a ensuite été engagé comme adjoint d'animation du 29 au 31 août 2016 puis, à compter du 1er septembre 2016, pour une durée d'un an en raison d'un accroissement temporaire d'activité au sein de la collectivité. Ce contrat a été reconduit à quatre reprises le 1er septembre de chaque année, pour le même motif, de 2017 à 2021. Pour justifier de ce motif, la commune du Havre produit en appel les délibérations qui, se rapportant aux années scolaires 2018-2019, 2019-2020
et 2020-2021, ont créé au titre de chacune de ces années les emplois temporaires et saisonniers nécessaires aux activités sociales, d'animation et de loisirs prises en charge par la commune. Il ne ressort pas des délibérations précitées qui créent chaque année, notamment, les emplois d'adjoint d'animation nécessaires aux activités périscolaires, dont celui occupé par le requérant, que ces emplois correspondraient à un accroissement temporaire d'activité. Dans ces conditions, la commune du Havre, qui a recouru abusivement à une succession de contrats à durée déterminée à compter d'août 2015, a engagé sa responsabilité et doit indemniser M. B... de ses préjudices.
En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices :
7. Le renouvellement abusif de contrats à durée déterminée ouvre à l'agent concerné un droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. La circonstance que l'agent aurait mis fin à la relation d'emploi en refusant de conclure un nouveau contrat à durée déterminée ne saurait faire obstacle à l'indemnisation de son préjudice.
8. En premier lieu, aux termes de l'article 45 du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " La rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est la dernière rémunération nette des cotisations de la sécurité sociale et, le cas échéant, des cotisations d'un régime de prévoyance complémentaire, effectivement perçue au cours du mois civil précédant le licenciement. Elle ne comprend ni les prestations familiales, ni le supplément familial de traitement, ni les indemnités pour travaux supplémentaires ou autres indemnités accessoires. / Le montant de la rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement d'un agent employé à temps partiel est égal au montant de la rémunération définie à l'alinéa précédent qu'il aurait perçue s'il avait été employé à temps complet (...) ". Aux termes de l'article 46 du même décret : " L'indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l'article précédent pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base. Elle est réduite de moitié en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle (...) ".
9. Il résulte de l'instruction que M. B... occupait, au terme de son dernier contrat à durée déterminée, non pas un emploi à temps partiel mais un emploi à temps non complet, avec une quotité de travail de 65 %. Dans ces conditions, et conformément aux dispositions précitées du premier alinéa de l'article 45 du décret du 15 février 1988 cité au point précédent, la rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est la dernière rémunération nette des cotisations de la sécurité sociale et, le cas échéant, des cotisations d'un régime de prévoyance complémentaire, effectivement perçue au cours du mois civil précédant le licenciement. Il résulte des éléments produits devant les premiers juges par la commune du Havre, qui ne sont pas utilement contestés par M. B..., que la rémunération nette qu'il a perçue en août 2021 s'établit à la somme de 800,49 euros, laquelle constitue donc la rémunération de base servant au calcul de l'indemnité de licenciement. Eu égard à la situation d'emploi de M. B... d'août 2015 à août 2021, soit pendant six années, l'indemnité de licenciement qu'il aurait pu percevoir s'il avait été engagé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée peut être évaluée, eu égard aux dispositions de l'article 46 du décret du 15 février 1988, à la somme de 2 400 euros.
10. En deuxième lieu, si M. B... a droit à une indemnisation évaluée en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration l'aurait nécessairement privé de son droit à un préavis dans l'hypothèse d'un tel licenciement. Dans ces conditions, l'indemnité compensatrice de préavis dont il réclame le versement ne peut être regardée comme l'un des avantages financiers servant au calcul de son indemnisation.
11. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation du préjudice moral subi par M. B... en lui accordant la somme de 1 500 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité le montant de son indemnisation à la somme de 1 500 euros, qu'il y a lieu de porter à celle de 3 900 euros.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la commune du Havre demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune du Havre une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 1 500 euros que la commune du Havre a été condamnée à verser à M. B... par le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2203541 du 2 février 2024 est portée à 3 900 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2203541 du 2 février 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune du Havre versera une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B..., les conclusions incidentes de la commune du Havre, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune du Havre.
Délibéré après l'audience publique du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Paul Groutsch, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00616