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26/06/2025 | FRANCE | N°23DA00471

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 26 juin 2025, 23DA00471


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens :



- à titre principal, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Oise a rejeté sa demande du 15 avril 2020 tendant à la modification des prescriptions édictées par l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 relatives au volume annuel et au débit d'exploitation autorisés du forage F2009 situé sur la parcelle cad

astrée H26 sur le territoire de la commune de Moulin-sous-Touvent ;



- d'annuler l'article 3 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens :

- à titre principal, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Oise a rejeté sa demande du 15 avril 2020 tendant à la modification des prescriptions édictées par l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 relatives au volume annuel et au débit d'exploitation autorisés du forage F2009 situé sur la parcelle cadastrée H26 sur le territoire de la commune de Moulin-sous-Touvent ;

- d'annuler l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 en tant qu'il limite le volume annuel et le débit d'exploitation autorisés du forage F2009 ;

- à titre subsidiaire, de remplacer les prescriptions de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 par les prescriptions du récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010 selon lesquelles l'EARL B... est autorisée à prélever un volume annuel de 120 000 m3 par an pour un débit égal à 58 m3 par heure sur le forage F2009 ;

- à titre très subsidiaire, d'annuler l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 dans sa totalité ;

- d'enjoindre, sous astreinte, à la préfète de l'Oise d'édicter un arrêté complémentaire autorisant l'EARL B... à exploiter son forage de la parcelle cadastrée H26 selon des modalités identiques à celles prévues par le récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010 ou, à défaut, d'enjoindre à la même autorité de réexaminer sa demande de réformation de l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 dans les mêmes conditions ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003154 du 19 janvier 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mars 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 31 janvier 2024, l'EARL B..., représentée par Me Yann Borrel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du préfet de l'Oise du 25 septembre 2020 refusant de faire droit à la demande de réformation de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 ;

3°) d'abroger les prescriptions de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 en tant qu'il limite le volume annuel et le débit d'exploitation autorisés du forage F2009 ;

4°) à titre subsidiaire, de remplacer les prescriptions de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 par les prescriptions du récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010 selon lesquelles l'EARL B... est autorisée à prélever un volume annuel de 120 000 m3 par an pour un débit égal à 58 m3 par heure sur le forage F2009 ;

5°) à titre très subsidiaire, d'abroger l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 ;

6°) à titre encore plus subsidiaire, d'enjoindre, sous astreinte, à la préfète de l'Oise d'édicter un arrêté complémentaire autorisant l'EARL B... à exploiter son forage de la parcelle cadastrée H26 selon des modalités identiques à celles prévues par le récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010 ou, à défaut, de lui enjoindre de réexaminer sa demande de réformation de l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularités : premièrement, le tribunal s'est abstenu de rouvrir l'instruction close le 9 septembre 2022 en dépit de la transmission, dans le cadre d'une note en délibéré, du rapport d'expertise judiciaire du 26 décembre 2022 qui fait état d'une circonstance de fait nouvelle ; deuxièmement, il a entaché son jugement d'insuffisance de motivation en s'abstenant de répondre au moyen opérant tiré de ce que le risque que l'exploitation du forage provoque l'asséchement du bassin versant et accentue la rétractation des argiles dans la commune ne respecte pas la condition de certitude exigée pour l'application du principe de prévention posé par l'article L.110-1 du code de l'environnement ; troisièmement, il a procédé à une substitution de motifs alors que l'administration ne l'avait pas sollicitée et que l'EARL n'a pas été mise à même de présenter ses observations ;

- l'intitulé de l'arrêté attaqué comporte une erreur matérielle de localisation du forage F2009 en ce qu'il vise la parcelle D15 ;

- les deux rapports du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et de l'expert judiciaire ne permettent pas d'imputer les dommages constatés sur les habitations au captage exploité par l'EARL B... ; les rapports du BRGM sont entachés d'un défaut d'objectivité et d'exhaustivité ; le préfet les a mal interprétés ; les prescriptions posées à l'article 3 de l'arrêté méconnaissent l'objectif visé à l'article L. 211-1 du code de l'environnement de garantir l'irrigation de la production agricole ;

- l'arrêté est entaché d'erreur de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation ;

- à défaut de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre l'exploitation

du forage F2009 et les phénomènes d'asséchement du bassin versant et de rétractation des argiles, le préfet a commis une erreur de droit en fondant l'édiction des prescriptions de son arrêté sur le principe de prévention ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la réduction du tirage sur le forage F2009 et la nécessité de privilégier le forage F2012 ne sont pas justifiées ;

- l'arrêté qui divise par deux le débit autorisé et par trois le volume annuel autorisé sur le forage F2009 méconnaît le principe de proportionnalité garanti par l'article 191§3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en droit interne ; il ne permet pas à l'EARL B... de répondre à ses besoins en matière de consommation d'eau.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens de la requête relatifs à la régularité et au bien-fondé du jugement ne sont pas fondés ;

- il s'en rapporte aux écritures de première instance du préfet.

Par une ordonnance du 29 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Yann Borrel représentant l'EARL B....

Une note en délibéré présentée par l'EARL B... a été enregistrée le 11 juin 2025.

Considérant ce qui suit :

1. L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) B... et la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Faroux, toutes deux représentées par M. A... B..., exercent des activités agricoles sur le territoire de la commune de Moulin sous-Touvent (60350). Par un récépissé de dépôt de dossier de déclaration du 12 avril 2010, modifié le 4 octobre 2018, le préfet de l'Oise a autorisé l'EARL B... à exploiter le forage d'eau répertorié F2009 d'un volume de 120 000 mètres cube (m3) par an pour un débit d'exploitation de 55 mètres cube par heure (m3/h) la première année, puis de 58 m3/h les années suivantes sur la parcelle cadastrée H26 située à Moulin-sous-Touvent. Par un récépissé de dépôt de dossier de déclaration du 8 novembre 2012, la SCEA Faroux a été autorisée à exploiter un autre forage d'eau répertorié F2012 d'un volume de 90 000 m3 par an pour un débit d'exploitation de 54 m3/h sur la parcelle cadastrée G10 dans la même commune.

2. Par un arrêté préfectoral du 12 novembre 2018, le préfet de l'Oise a édicté, sur le fondement de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, des prescriptions spécifiques modifiant, en son article 3, les autorisations de forage sur les parcelles cadastrées H26 et G10, d'une part, en diminuant le volume annuel de prélèvement accordé à l'EARL B... sur le forage F2009 de 120 000 m3 à 60 000 m3 et le débit d'exploitation de 58 m3/h à 30 m3/h, d'autre part, en augmentant, le volume annuel de prélèvement accordé à la SCEA Faroux de 90 000 m3 à 139 000 m3 et le débit d'exploitation de 54 m3/h à 65 m3/h. Par un courrier du 6 avril 2020 reçu le 15 avril 2020, l'EARL B... a demandé au préfet de l'Oise de modifier, sur le fondement de l'article R. 214-39 du code de l'environnement, les prescriptions édictées par l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 relativement au forage F2009. En application de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, une décision implicite de rejet est née le 25 septembre 2020 dont l'EARL B... a demandé l'annulation auprès du tribunal administratif d'Amiens.

3. Par la présente requête, elle demande à la cour d'annuler le jugement du 19 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Elle demande, en outre, que la cour fasse usage de ses pouvoirs de juge du plein contentieux pour abroger les prescriptions de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 en tant qu'il limite le volume annuel et le débit d'exploitation autorisés du forage F2009, remplacer ces prescriptions par les prescriptions initiales du récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010, abroger l'entier arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 ou enjoindre, sous astreinte, à la préfète de l'Oise d'édicter un arrêté complémentaire l'autorisant à exploiter son forage de la parcelle cadastrée H26 selon des modalités identiques à celles prévues initialement ou de réexaminer sa demande de réformation de l'arrêté du 12 novembre 2018.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, l'appelante fait grief au tribunal de s'être abstenu de rouvrir l'instruction close le 9 septembre 2022 en dépit de sa transmission, dans le cadre d'une note en délibéré, d'un rapport d'expertise judiciaire du 26 décembre 2022 révélant l'existence d'une circonstance de fait nouvelle.

5. Aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ". Aux termes de l'article R. 731-3 du même code : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré. ".

6. Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

7. Il résulte de l'instruction qu'alors que le tribunal avait fixé la clôture de l'instruction au 9 septembre 2022 et que l'affaire avait été appelée à l'audience du 5 janvier 2023, l'EARL B... a présenté le même jour une note en délibéré. Celle-ci comportait la communication d'un rapport d'expertise judiciaire rendu le 26 décembre 2022 dans le cadre d'une instance pendante devant le tribunal judiciaire de Compiègne concernant une action en troubles anormaux du voisinage diligentée par des propriétaires d'immeubles contre l'EARL B... imputant l'apparition et l'aggravation de fissures affectant leurs maisons de Moulin-sous-Touvent à l'exploitation du forage F2009. Le tribunal administratif de Rouen a pris connaissance de cette note en délibéré qu'il a visée dans le jugement. Il ressort de ce rapport que les investigations menées ont mis en évidence que la cause des fissures observées sur trois immeubles situés à proximité du forage provenait de défaillances majeures des dispositifs de collecte et d'évacuation des eaux pluviales. Cependant, d'une part, l'expert s'est borné à indiquer que " le captage à environ 80 mètres de profondeur d'eaux de l'aquifère n'a pu être démontré comme étant prépondérant par rapport aux défaillances observées au sein des ouvrages ", ou " même d[e l]'envisager comme simple facteur aggravant " et a préconisé la tenue d'une seconde campagne d'investigation pour vérifier le comportement du sol en fonction du captage des eaux souterraines par l'EARL B.... D'autre part, ce rapport d'expertise ne porte que sur trois immeubles, incluant certes les deux maisons les plus proches du forage, alors que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a identifié dans son rapport d'octobre 2015 la commune de Moulin-sous-Touvent comme concernée, de manière générale, par des phénomènes de retrait-gonflement des sols argileux causés, notamment, par des variations du niveau des nappes et a localisé 25 immeubles affectés par des fissures dans la commune. Dans ces conditions, le rapport d'expertise ne pouvait être regardé comme contenant des éléments susceptibles d'influer sur le sens du jugement. Par suite, l'EARL B... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne rouvrant pas l'instruction pour communiquer la note en délibéré contenant le rapport d'expertise judiciaire, le tribunal administratif de Rouen aurait entaché son jugement d'irrégularité.

8. En deuxième lieu, l'appelante fait grief au jugement d'être entaché d'une insuffisance de motivation, faute d'avoir répondu au moyen opérant tiré de l'erreur de droit commise par le préfet dans l'application du principe de prévention posé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

9. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

10. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal a répondu au moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet dans l'application du principe de prévention posé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement aux points 3 à 5. Si l'EARL B... conteste qu'un risque non-certain puisse permettre au préfet d'invoquer utilement le principe de prévention, cette critique concerne le bien-fondé du jugement et non sa régularité.

11. En troisième lieu, l'appelante fait grief au tribunal d'avoir procédé à une substitution de motif en se fondant sur le rapport de 2014 du BRGM alors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations et que l'administration n'avait pas sollicité une telle substitution.

12. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

13. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal a répondu au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant l'arrêté du 12 novembre 2018 aux points 6 à 9. La circonstance que cet arrêté vise les rapports de 2016 et 2018 du BRGM portant sur l'étude de l'influence d'un prélèvement agricole sur la nappe souterraine des sables de Cuise au droit de la commune de Moulin-sous-Touvent ne faisait pas obstacle, d'une part, à ce que les parties puissent invoquer d'autres pièces, comme l'a d'ailleurs fait l'EARL B... elle-même en produisant le rapport du BRGM de 2014, d'autre part, à ce que le tribunal puisse citer ce rapport, comme il l'a fait aux points 8 et 9 de son jugement, pour contextualiser le contenu des rapports de 2016 et 2018 qu'il a longuement analysés. Il ne ressort pas du jugement que le tribunal aurait fondé la réponse au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation sur le contenu du rapport de 2014 en lieu et place du contenu des autres rapports de 2016 et 2018 visés par l'arrêté du 12 novembre 2018. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait procédé à une substitution de motif en méconnaissance des règles procédurales.

14. En quatrième lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

15. Les moyens de l'EARL B... tirés de ce que les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ne ressortissent pas à la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Il appartient donc à la cour de se prononcer directement sur les moyens dirigés, d'une part, contre la décision implicite par laquelle le préfet de l'Oise a rejeté sa demande du 15 avril 2020 tendant à la modification des prescriptions édictées par l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 relatives au volume annuel et au débit d'exploitation autorisés du forage F2009, d'autre part, contre l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 en tant qu'il limite le volume annuel et le débit d'exploitation autorisés du forage F2009.

16. Il résulte de ce qui précède que l'EARL B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif d'Amiens est entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'office du juge :

17. D'une part, aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. Cette autorisation est l'autorisation environnementale régie par les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier, sans préjudice de l'application des dispositions du présent titre. (...) / II.- Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. / (...) / Si le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3, l'autorité administrative peut, à tout moment, imposer par arrêté toutes prescriptions particulières nécessaires (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion (...) vise à assurer : / (...) 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau (...) ". Aux termes de l'article R. 214-39 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La modification des prescriptions applicables à l'installation peut être demandée par le déclarant postérieurement au dépôt de sa déclaration au préfet qui statue par arrêté. Elle peut également être imposée par le préfet sur le fondement du troisième alinéa du II de l'article L. 214-3. / Le projet d'arrêté est porté à la connaissance du déclarant, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations. / L'arrêté fait l'objet des mesures de publicité prévues à l'article R. 214-37. / Le silence gardé pendant plus de trois mois sur la demande du déclarant vaut décision de rejet. ".

18. D'autre part, aux termes de l'article L. 214-10 du code de l'environnement : " Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues aux articles L. 181-17 à L. 181-18 ". En vertu de l'article L. 181-17 du même code, ces décisions sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Il en va de même des décisions refusant d'abroger de telles décisions. Il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un recours formé contre une décision de l'autorité administrative prise dans le domaine de l'eau, en application des articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement, d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande dont l'autorité administrative a été saisie au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la décision prise par cette autorité. S'agissant des règles de fond, il appartient au juge du plein contentieux non d'apprécier la légalité de l'autorisation prise par l'autorité administrative dans le domaine de l'eau au vu des seuls éléments dont pouvait disposer cette autorité lorsqu'elle a statué sur la demande, mais de se prononcer lui-même sur l'étendue des obligations mises par cette autorité à la charge du bénéficiaire de l'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet de la demande d'abrogation partielle de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2018 :

19. En premier lieu, si l'arrêté du 12 novembre 2018 vise à tort dans son intitulé la parcelle " D15 " au lieu de la parcelle " H26 ", cette erreur matérielle est sans incidence sur la légalité de l'arrêté. Au demeurant, l'article 3 de cet arrêté, qui modifie les prescriptions applicables aux autorisations de forage, mentionne sans ambiguïté le " forage de la parcelle cadastrée H26 ".

20. En deuxième lieu, l'EARL B... conteste le caractère partial et partiel des rapports établis par le BRGM. Cependant, il résulte de l'instruction qu'à la suite du constat objectif et réitéré de l'asséchement des réserves d'eau sur le territoire de la commune de Moulin-sous-Touvent et de l'apparition de fissures sur plus d'une vingtaine d'immeubles situés dans la commune, la direction départementale des territoires (DDT) de l'Oise a sollicité le BRGM pour mesurer, à l'échelle de la commune, l'impact des forages F2009 et F2012 sur ces phénomènes. Certes, le BRGM n'a pas été missionné pour rechercher si les puits des particuliers ne jouaient pas également un rôle dans le phénomène d'asséchement des sols et de fissuration des maisons. Toutefois, d'une part, l'EARL B... ne produit aucune pièce probante qui accréditerait le caractère causal des prélèvements individuels dans l'apparition des désordres bâtimentaires, d'autre part, le BRGM n'est pas intervenu dans le cadre d'un litige préexistant afin de déterminer avec précision l'origine des désordres de chaque immeuble. Dès lors, l'EARL B... n'est pas fondée à reprocher au BRGM d'avoir rendu des rapports partiaux et partiels et au préfet d'en avoir tenu compte.

21. En troisième lieu, l'EARL B... conteste l'existence d'un lien de causalité entre l'exploitation du forage F2009 et les phénomènes d'asséchement des sols et de fissuration des immeubles et s'appuie sur le rapport établi en 2014 par le BRGM. Cependant, ce rapport, que le préfet ne vise au demeurant pas dans son arrêté, ne conclut pas de manière tranchée sur les causes de ces phénomènes, n'exclut pas l'incidence du forage sur la baisse du niveau des eaux de la nappe du Cuisien et recommande des investigations plus approfondies. En revanche, il ressort du rapport établi par le BRGM en 2016 que le rabattement de la nappe augmente fortement au niveau du forage F2009 pour les débits supérieurs à 50 m3/h et qu'il est recommandé de ne pas exploiter le puit de forage au-delà de ces débits. Le rapport établi par le BRGM en 2018 démontre de plus fort les incidences du forage sur le rabattement de nappe jusqu'à une distance de 283 mètres, même si la baisse du niveau des eaux est plus élevée à proximité du puit de pompage et lorsque le débit est élevé. Il en résulte que le rabattement de nappe observé dans le cadre de l'exploitation du forage F2009 est l'une des causes de l'assèchement des sols argileux et des mouvements corrélatifs de retrait susceptibles de provoquer des fissures sur les immeubles construits. L'EARL B... n'est ainsi pas fondée à remettre en cause l'existence d'un lien de causalité, il est vrai non nécessairement exclusif, entre l'exploitation du forage F2009 et les phénomènes d'asséchement des sols et de fissuration des immeubles.

22. En quatrième lieu, l'EARL B... remet en cause la nécessité des restrictions figurant à l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 pour assurer la sécurité des immeubles objets des fissures en se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise judiciaire rendu le 26 décembre 2022 dans le cadre d'une action en troubles anormaux du voisinage diligentée par les propriétaires d'immeubles contre l'EARL B.... Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt, ce rapport, qui insiste sur le dysfonctionnement du système de collecte et d'évacuation des eaux pluviales, ne porte que sur trois immeubles et n'exclut pas l'exploitation du forage comme cause des désordres, en l'absence d'étude de sous-sol. En outre, les prescriptions litigieuses n'ont pas seulement été édictées en considération des fissures constatées sur les bâtiments mais aussi afin de " garantir une gestion globale et équilibrée de la ressource en eau ", conformément aux dispositions de l'article L.211-1 I du code de l'environnement, dans une commune marquée par des problèmes d'assèchement. L'EARL B... n'est ainsi pas fondée à soutenir que les restrictions figurant à l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 n'étaient pas nécessaires et devaient être modifiées.

23. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la Charte de l'environnement : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ". Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins (...), la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation (...) / II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : (...) / 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; (...) ". L'invocation du principe de prévention n'est opérante qu'en cas de risques connus, suffisamment établis, identifiés et évalués.

24. Si l'EARL B... reproche à l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 d'avoir été pris " en application du principe de prévention ", il résulte de ce qui a été dit aux points 21 et 22 du présent arrêt que les risques d'assèchement des sols, d'épuisement de la ressource en eau et de désordres aux immeubles ont été identifiés avec suffisamment de certitude par le BRGM comme causés par un excès de prélèvement de l'eau sur le forage F2009 pour justifier l'invocation de ce principe. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté.

25. En sixième lieu, l'EARL B... soutient que les prescriptions arrêtées à l'article 3 sont disproportionnées, en ce sens que les restrictions apportées au débit d'exploitation et au volume annuel autorisés sur le forage F2009 ne sont pas suffisamment compensées par l'augmentation des capacités du forage F2012. Toutefois, il ne résulte d'aucune disposition du code de l'environnement que l'administration doive compenser des restrictions de forage qui sont justifiées par la double nécessité de protéger la ressource en eau et de minimiser les risques pour la sécurité des immeubles. En outre, la société ne peut utilement se plaindre des conséquences économiques qui résulteraient pour elle de la décision du préfet de privilégier le forage F2012.

26. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de l'EARL B... à fin d'annulation de la décision par laquelle le préfet de l'Oise a implicitement refusé d'abroger les prescriptions contenues à l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'abrogation de l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 ou de cet arrêté dans sa totalité, ses conclusions tendant à ce que la cour remplace les prescriptions de l'article 3 de l'arrêté du 12 novembre 2018 par les prescriptions du récépissé de dépôt de déclaration du 12 avril 2010, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

27. Il résulte de ce qui précède que l'EARL B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions liées aux frais de l'instance d'appel :

28. Partie perdante dans la présente instance, l'EARL B... ne peut voir accueillies ses conclusions en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EARL B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL B... et à la ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.

Copie en sera adressée pour information à la préfète de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 11 juin 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Damien Vérisson, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne à la Ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00471 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00471
Date de la décision : 26/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : GREENLAW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-26;23da00471 ?
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