Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 janvier 2024, 4 septembre 2024 et 20 décembre 2024, la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 1er décembre 2023 en tant qu'il lui refuse la délivrance d'une autorisation environnementale pour les éoliennes E8 et E9 et le poste de livraison n° 5 de son projet d'édification et d'exploitation d'un parc éolien sur le territoire des communes de Fesques et Vatierville ;
2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, subsidiairement, d'enjoindre au préfet, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de délivrer cette autorisation ou de procéder à un réexamen de sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune de Vatierville, en sa qualité de commune d'implantation du projet et compte tenu des bénéfices qu'elle est susceptible d'en retirer, justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'instance ;
- le motif, au demeurant non motivé, tiré du défaut d'insertion paysagère des éoliennes E8 et E9 est infondé ; en effet, le guide paysager de l'éolien en Normandie est dépourvu de valeur réglementaire ; la zone d'implantation du projet est dépourvue d'intérêt particulier ; les éoliennes E8 et E9 s'insèrent parfaitement dans son paysage et en cohérence avec les autres parcs à proximité ;
- le motif tiré de l'absence d'acceptabilité locale des éoliennes E8 et E9 n'est pas au nombre des motifs qui permettent de fonder légalement un refus d'autorisation ; en outre, le projet bénéficie d'une bonne acceptabilité ; en effet, 15 communes se sont prononcées favorablement, dont les communes d'implantation ; l'enquête publique s'est tenue dans un très bon climat et le commissaire a rendu un avis favorable, y compris concernant les éoliennes considérées ; les objections de la commune de Ménonval sont infondées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 juin 2024, 8 novembre 2024 et 13 novembre 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne.
Il soutient que :
- les retombées fiscales espérées par la commune de Vatierville ne lui confèrent pas un intérêt suffisant pour intervenir à l'instance ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par des mémoires en intervention, enregistrés les 4 septembre 2024 et 20 décembre 2024, la commune de Vatierville, représentée par Me Gelas, demande que la cour fasse droit aux conclusions de la requête de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne.
Elle fait valoir que :
- elle a intérêt à intervenir dès lors que le projet sera implanté sur son territoire, qu'elle l'a soutenu depuis le début et qu'il aura pour elle des retombées favorables ;
- elle reprend les mêmes moyens et arguments que ceux soulevés par la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- les observations de Me Brakle, représentant la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne et la commune de Vatierville.
Considérant ce qui suit :
1. La société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne a sollicité, le 11 avril 2022, une autorisation environnementale pour la réalisation d'un parc éolien composé, dans le dernier état du projet, de sept machines d'une puissance totale de 35,4 MW et de quatre postes de livraison, situé sur le territoire des communes de Fesques et Vatierville (Seine-Maritime). Par un arrêté du 1er décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime a délivré l'autorisation sollicitée uniquement pour les éoliennes E1 à E5 du projet implantées à Fesques et ses postes de livraison nos 1 à 3. Par sa requête, la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne demande à la cour d'annuler cet arrêté en tant qu'il lui a refusé l'autorisation environnementale qu'elle sollicitait pour les éoliennes E8 et E9 de son projet implantées à Vatierville et son poste de livraison n° 5.
Sur l'intervention de la commune de Vatierville :
2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions de l'appelant soit à celles du défendeur, présentées dans l'instance en question, et s'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.
3. Il résulte de l'instruction que les éoliennes en litige seront implantées sur le territoire de la commune de Vatierville. Compte tenu de l'incidence que le projet est susceptible d'avoir sur ce territoire, la commune de Vatierville dispose d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne. Son intervention doit, dès lors, être admise.
Sur les conclusions à fin d'annulation partielle de l'arrêté du 1er décembre 2023 :
4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. / (...) ". Figurent, parmi les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la protection des paysages et la commodité du voisinage. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer l'autorisation sollicitée ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les deux éoliennes E8 et E9 du projet litigieux seront implantées sur le territoire de la commune de Vatierville. Le site, situé au cœur même de cette commune, s'implante au sein de l'entité paysagère de la vallée de l'Eaulne. Ce secteur est occupé par de vastes parcelles agricoles ouvertes, de type openfields. Il est en outre traversé par deux grands axes de circulation routière, à savoir l'autoroute A28 et la route départementale 928. Il en résulte qu'en dépit de l'attrait constitué par le caractère vallonné du relief et le maintien de nombreuses haies, boisements et bosquets épars, les paysages préexistants, déjà largement anthropisés, ne présentent pas de caractère particulièrement remarquable et, en tout cas, ne sont par eux-mêmes pas incompatibles avec l'implantation d'éoliennes. Le schéma régional éolien terrestre de l'ancienne région Haute-Normandie avait, au demeurant, classé le secteur considéré en zone propice à l'implantation d'éoliennes. Le préfet de la Seine-Maritime a ainsi déjà autorisé une trentaine de machines dans un rayon de 5 kilomètres autour du site du projet litigieux. L'arrêté attaqué contribue d'ailleurs à la densification du secteur puisque, si le préfet a refusé les éoliennes E8 et E9, il a en revanche délivré à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale qu'elle sollicitait pour les cinq autres éoliennes de son projet.
6. Par ailleurs, si les deux éoliennes refusées par le préfet de la Seine-Maritime sont distantes de presque deux kilomètres des cinq autres éoliennes du projet de la société pétitionnaire, elles s'implantent en revanche à proximité de deux autres parcs éoliens existants, avec lesquels elles s'inscrivent sans rupture caractérisée. Si la distance les séparant des machines existantes est certes de nature, selon les angles de vue, à étendre légèrement le motif éolien sur la ligne d'horizon, il résulte néanmoins de l'instruction qu'en dépit du nombre de machines dans le secteur, de larges percées visuelles vierges de toute implantation sont préservées, y compris pour les bourgs et hameaux les plus proches des éoliennes en litige. En outre, il ne résulte pas des photomontages figurant à l'étude paysagère jointe au dossier de demande d'autorisation environnementale que la différence de hauteur entre les éoliennes projetées et celles préexistantes sera particulièrement perceptible. Si les éoliennes du projet pourront être visibles depuis le cœur même de certains bourgs et hameaux alentours, les vues au cours de la déambulation resteront néanmoins intermittentes, compte tenu du relief, du couvert végétal et du bâti. De plus, elles ne créeront pas d'effet de surplomb ou d'écrasement caractérisé. Si des vues directes seront possibles depuis certaines propriétés qui seraient situées en lisière des bourgs et hameaux alentours et qui s'ouvriraient sur le secteur agricole d'implantation, d'une part, les éoliennes seront implantées à distance réglementaire des habitations et, d'autre part, la société pétitionnaire s'est engagée, dans son dossier de demande d'autorisation, à mettre en place, sur sollicitation des riverains, des plantations écrans permettant de réduire la perception du projet. Il en résulte que, contrairement à ce qu'a considéré le préfet de la Seine-Maritime, les deux éoliennes projetées, combinées aux machines déjà existantes, ne sont pas de nature à rendre le motif éolien omniprésent dans les paysages perçus au quotidien par les habitants du secteur considéré.
7. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les deux éoliennes E8 et E9 du projet de la société pétitionnaire soient, par elles-mêmes ou en raison de leurs effets cumulés aux autres éoliennes du projet et à celles des autres parcs existants, autorisés ou en projet, de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des paysages. Dès lors, ainsi que le soutient la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne, le préfet de la Seine-Maritime n'était pas fondé à opposer ce motif pour refuser la délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que, pour refuser la délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée pour les éoliennes E8 et E9 du projet de la société pétitionnaire, le préfet de la Seine-Maritime s'est également fondé sur l'opposition de la population locale concernée. Toutefois, un tel motif ne relève d'aucun des intérêts mentionnés par les dispositions des articles L. 181-3, L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement et est, par suite, insusceptible de fonder légalement un refus d'autorisation. En outre, la circonstance que les deux éoliennes en litige susciteraient une forte opposition locale n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte aux paysages ou à la commodité du voisinage au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Dès lors, ainsi que le soutient la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne, le préfet de la Seine-Maritime n'était pas davantage fondé à opposer ce motif pour refuser la délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne est fondée à solliciter l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 1er décembre 2023 en tant qu'il lui refuse la délivrance d'une autorisation environnementale pour les éoliennes E8 et E9 de son projet ainsi que pour son poste de livraison n° 5.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
10. Compte tenu notamment des changements de circonstances de droit et de fait que l'instruction n'aurait pas permis de révéler, l'exécution du présent arrêt implique seulement d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la demande de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne concernant les éoliennes E8 et E9 de son projet implantées sur le territoire de la commune de Vatierville ainsi que son poste de livraison n° 5, en tenant compte des motifs mentionnés ci-dessus, et de prendre une nouvelle décision expresse dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la commune de Vatierville est admise.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 1er décembre 2023 est annulé en tant qu'il refuse à la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne la délivrance d'une autorisation environnementale pour les éoliennes E8 et E9 de son projet implantées sur le territoire de la commune de Vatierville ainsi que pour son poste de livraison n° 5.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la demande de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne concernant les éoliennes E8 et E9 de son projet implantées sur le territoire de la commune de Vatierville ainsi que son poste de livraison n° 5, en tenant compte des motifs du présent arrêt, et de prendre une nouvelle décision expresse dans un délai de quatre mois à compter de sa notification.
Article 4 : L'Etat versera à la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de la vallée de l'Eaulne, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, au préfet de la Seine-Maritime et à la commune de Vatierville.
Délibéré après l'audience publique du 10 juin 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A.-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00132