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05/06/2025 | FRANCE | N°24DA01117

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 05 juin 2025, 24DA01117


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- d'annuler l'arrêté du 1er février 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé le bénéfice du regroupement familial en faveur de sa conjointe et de son enfant ;

- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de faire droit à sa demande de regroupement familial ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des di

spositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 jui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- d'annuler l'arrêté du 1er février 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé le bénéfice du regroupement familial en faveur de sa conjointe et de son enfant ;

- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de faire droit à sa demande de regroupement familial ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991

Par un jugement n° 2202435 du 30 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 1er février 2022, a enjoint au préfet du Nord d'autoriser le regroupement familial en faveur de la conjointe et de l'enfant de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juin 2024, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202435 du 30 mai 2024 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er février 2022.

Il soutient que :

- le tribunal a méconnu les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien, dès lors que l'épouse de M. B..., qui est également une ressortissante algérienne, résidait déjà irrégulièrement en France et n'a fait aucune démarche pour régulariser sa situation ;

- la décision ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Un mémoire en défense et des pièces ont été présentés le 12 mai 2025 par Me Alouani pour M. B..., postérieurement à la clôture de l'instruction, intervenue trois jours francs avant la date de l'audience conformément à l'article R. 613-2 du code de justice administrative, et n'ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord conclu le 27 décembre 1968 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république algérienne démocratique et populaire ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 6 décembre 1983 à Tizi Ouzou (Algérie), entré en France en mai 2014, bénéficie d'un certificat de résidence algérien délivré le 20 avril 2019 et valable jusqu'au 19 avril 2029. L'intéressé a demandé, le 24 mars 2021, le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse compatriote et de leur fille née le 15 octobre 2020. Par un arrêté du 1er février 2022, le préfet du Nord lui a refusé le bénéfice du regroupement familial aux motifs que son épouse résidait déjà irrégulièrement en France. Par le jugement du 30 mai 2024, dont le préfet du Nord demande l'annulation, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 1er février 2022, a enjoint au préfet du Nord d'autoriser le regroupement familial en faveur de la conjointe et de l'enfant de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation accueilli par le tribunal administratif de Lille :

2. D'une part, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien modifié du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente (...) / Peut être exclu de regroupement familial : / (...) / 2 - un membre de la famille séjournant (...) irrégulièrement sur le territoire français. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. Il résulte de ces stipulations que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises par les stipulations de l'accord franco-algérien citées au point 2, notamment, comme en l'espèce, en cas de présence irrégulière sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose, toutefois, d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les stipulations précitées, notamment dans le cas où il serait porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou à l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il est défini à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et auquel l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale dans toutes les décisions le concernant.

5. Il est constant que M. B... bénéficie d'un certificat de résidence algérien, délivré le 20 avril 2019 et valable jusqu'au 19 avril 2029, en qualité de conjoint algérien de Français. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir divorcé de son épouse française, M. B... a épousé le 17 décembre 2020 une compatriote algérienne, après la naissance d'un premier enfant du couple le 15 octobre 2020. Si M. B... a fait valoir en première instance que le retour de sa femme en Algérie, impliqué par le refus de la faire bénéficier du regroupement familial, porterait une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté litigieux, le mariage présentait un caractère récent pour dater de seulement treize mois et que le premier enfant du couple était âgé d'à peine quinze mois. En outre, M. B... ne peut utilement invoquer la naissance d'un second enfant le 27 avril 2022, dès lors que celle-ci est postérieure à la décision en litige. Par ailleurs, l'arrêté attaqué n'a ni pour objet, ni pour effet, de priver les enfants de l'intéressé de l'un de leurs parents, alors qu'eu égard à la nationalité algérienne commune des membres de la famille, il n'existe aucun obstacle juridique à ce que la cellule familiale se reconstitue en Algérie dans l'attente de l'instruction de la demande de regroupement. Ainsi, M. B... n'établit pas que l'arrêté en litige aurait porté à son droit de mener une vie familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et méconnu l'intérêt supérieur de son enfant.

6. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 1er février 2022, sur les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... en première instance.

En ce qui concerne les autres moyens présentés par M. B... en première instance :

8. En premier lieu, il ressort de l'arrêté attaqué que celui-ci comporte les considérations de fait et de doit sur lesquelles il se fonde, et notamment des éléments précis sur la vie familiale de M. B.... Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit donc être écarté comme manquant en fait.

9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté en litige, ni des pièces du dossier, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen personnel de la situation de M. B.... Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle doit être écarté.

10. En troisième lieu, si le préfet a mentionné dans les motifs de son arrêté l'irrégularité du séjour de l'épouse de M. B..., il ne ressort pas de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet se serait estimé lié par cet élément, alors qu'il a pris en compte de manière globale l'ensemble des éléments de la vie familiale de l'appelant. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 1er février 2022, lui a enjoint d'autoriser le regroupement familial en faveur de la conjointe et de l'enfant de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2202435 du 30 mai 2024 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie pour information sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller,

- M. Damien Vérisson, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.

Le rapporteur,

Signé : D. C...

La présidente de la formation de jugement,

Signé : I. Legrand La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N° 24DA01117


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01117
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Legrand
Rapporteur ?: M. Damien Vérisson
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : ALOUANI

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;24da01117 ?
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