Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 48 869,49 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice résultant pour lui de l'absence de transposition de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980.
Par un jugement n° 2107790 du 14 février 2024, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 10 029,72 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2021 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 7 juillet 2022.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 mars 2024, M. B..., représenté par Me Robinet, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 14 février 2024 ;
2°) de porter le montant des réparations à la somme de 24 434,75 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale, issu de la loi n° 94-678 du 8 août 1994, qui prévoit, au titre de garantie des engagements de retraite supplémentaire, la possibilité soit de souscrire une garantie du risque auprès d'une assurance, une institution de prévoyance ou une mutuelle, soit de procéder par provision comptable au sein des entreprises adhérentes, ne permet pas, dans ce second cas, de sécuriser ou de garantir les droits des anciens salariés à leur pension de retraite complémentaire dans les conditions prévues par la réglementation européenne ;
- il est donc fondé à solliciter l'indemnisation de la moitié du préjudice subi en raison de l'interruption du versement de sa pension de retraite complémentaire, consécutive à la cessation d'activité de son ancien employeur, correspondant à la somme de 24 434,75 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête au motif que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 ;
- la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 94-678 du 8 août 1994 ;
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
- la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 ;
- loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 ;
- l'ordonnance n° 2015-839 du 9 juillet 2015 ;
- le décret n° 2007-1903 du 26 décembre 2007 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien salarié de la société Ascometal, filiale du groupe Usinor Sacilor, à laquelle s'est substituée la société Asco Industries en 2014, percevait depuis le 1er novembre 2014, outre les prestations servies par les régimes d'assurance vieillesse de base et complémentaire, une pension de retraite supplémentaire versée par l'institution de retraite Usinor Sacilor (IRUS) et financée par des appels de fonds auprès de l'employeur. La société Asco Industries a été placée en redressement judiciaire le 22 novembre 2017 puis a fait l'objet d'un plan de cession le 29 janvier 2018 au profit de la société de droit suisse " Schmolz + Bickenbach ", avec effet au 1er février 2018. Cette dernière société a, par un courrier du 24 avril 2018, informé M. B... de l'interruption du versement de sa pension de retraite supplémentaire au motif qu'elle n'avait pas repris les engagements de la société cédante à l'égard des anciens salariés de la société Ascometal. M. B... a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice, évalué à 48 869,49 euros, résultant de l'absence de transposition de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Il relève appel du jugement du 14 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Lille, après avoir retenu la responsabilité de l'Etat, a limité le montant des réparations à la somme de 10 029,72 euros.
2. Aux termes de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, dont le délai de transposition expirait le 22 octobre 1983 et dont les dispositions ont été ultérieurement reprises à l'article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur : " Les Etats membres s'assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l'entreprise ou l'établissement de l'employeur à la date de la survenance de l'insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d'acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale ".
3. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt Robins du 25 janvier 2007 (C-278/05), que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que si le financement des droits acquis à des prestations de vieillesse au titre des régimes qu'elles mentionnent ne doit pas nécessairement, en cas d'insolvabilité de l'employeur et d'insuffisance des ressources du régime considéré, être assuré par l'Etat lui-même ni être intégral, l'Etat doit toutefois prendre les mesures nécessaires, par exemple par la mise à la charge des employeurs d'une obligation d'assurance ou par la mise en place d'une institution de garantie, pour que chaque salarié, dans un tel cas, bénéficie au titre de ce régime de prestations de vieillesse correspondant au moins à la moitié de la valeur de ses droits acquis.
4. Pour sécuriser les droits des salariés et anciens salariés aux prestations des régimes supplémentaires de retraite, la loi du 8 août 1994 relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des Communautés européennes a encadré, sous la dénomination d'institutions de retraite supplémentaire, les institutions paritaires qui, sans avoir le statut d'institutions de prévoyance, versaient des prestations de retraite s'ajoutant à celles servies par les institutions de retraite complémentaire. En particulier, son article 11 a inséré dans le code de la sécurité sociale un article L. 941-2 ainsi rédigé : " Les institutions de retraite supplémentaire constituent des provisions représentées par des actifs équivalents pour couvrir les engagements qu'elles prennent à l'égard de leurs membres participants et des bénéficiaires. La constitution des provisions peut être limitée à la couverture des engagements nés après la date de publication de la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes. / Toutefois, l'obligation instituée par l'alinéa précédent est également considérée comme remplie lorsque les engagements susvisés sont garantis : / 1° Par un organisme mentionné à l'article premier de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou mentionné à l'article premier de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit dans le cadre d'un contrat ou d'une convention souscrit soit par l'institution, soit par la ou les entreprises adhérentes ; / 2° Par des provisions constituées par la ou les entreprises adhérentes, dès lors que le risque lié à l'insolvabilité du ou des employeurs est couvert dans des conditions fixées par décret ".
5. En l'absence d'adoption du décret auquel renvoyaient ces dernières dispositions du 2° de l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale résultant de la loi du 8 août 1994, l'application de ces dispositions, prévoyant la faculté de satisfaire à l'obligation instituée par cet article par des provisions constituées par la ou les entreprises adhérentes, faculté dont le législateur avait entendu subordonner la mise en œuvre à la couverture du risque d'insolvabilité de ces entreprises, était manifestement impossible. Toutefois, cette carence du pouvoir réglementaire n'a pas fait obstacle à l'entrée en vigueur des autres dispositions du même article L. 941-2, dont les trois premiers alinéas étaient suffisamment précis et pouvaient entrer en vigueur indépendamment de la faculté prévue par les dispositions de son 2°. Il en résulte que les engagements des institutions de retraite supplémentaire nés à compter du 11 août 1994 devaient être provisionnés par ces institutions ou garantis auprès d'une entreprise d'assurance, d'une institution de prévoyance, d'une mutuelle ou d'un établissement de crédit.
6. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu la suppression des institutions de retraite supplémentaire au plus tard le 31 décembre 2008 en leur ouvrant notamment la possibilité, dont a fait usage l'institution de retraite Usinor Sacilor, de se transformer en institutions de gestion de retraite supplémentaire, organismes dont le seul objet est la gestion administrative du ou des régimes de retraite supplémentaire ou d'indemnités de fin de carrière de leurs entreprises adhérentes. Le VI de l'article 116 de la loi dispose qu'un décret détermine les conditions dans lesquelles les institutions de retraite supplémentaire qui se transforment en institutions de gestion de retraite supplémentaire transfèrent à une institution de prévoyance, une entreprise d'assurance ou une mutuelle les provisions ou réserves qu'elles ont constituées. L'article 4 du décret du 26 décembre 2007 relatif au transfert par les institutions de gestion de retraite supplémentaire de leurs provisions ou réserves, pris pour l'application de ces dispositions, prévoit que les sommes ainsi transférées, sauf à ce qu'elles excèdent le montant des engagements correspondants, ne peuvent être utilisées que pour le paiement des prestations relatives à ces engagements et des éventuels frais de gestion des prestations, ainsi que pour le financement éventuel du surcroît de l'exigence de marge de solvabilité engendré par le transfert des provisions ou réserves.
7. Si le législateur a ainsi pris des mesures propres à garantir, contre le risque lié à l'insolvabilité des employeurs, les engagements portés par les institutions de retraite supplémentaire qui sont nés entre le 11 août 1994 et la transformation de ces institutions en institutions de gestion de retraite supplémentaire, en revanche, aucune disposition ne faisait obligation à une entreprise adhérant à une institution de gestion de retraite supplémentaire ni à une telle institution de couvrir les engagements antérieurs au 11 août 1994 ou postérieurs à la création de l'institution. Ni les dispositions de l'article 115 de la loi du 21 août 2003 soumettant les entreprises à une contribution spécifique en cas de régime de retraite subordonnant la constitution de droits à prestations à l'achèvement de la carrière du salarié dans l'entreprise, ni celles de l'article 11 de la loi du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004 prévoyant des exonérations sociales pour favoriser la constitution de provisions destinées à couvrir des engagements de retraite supplémentaire ne peuvent être regardées comme assurant une complète transposition des objectifs de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980.
8. La nécessité de compléter la transposition de la directive a d'ailleurs conduit à l'adoption de l'ordonnance du 9 juillet 2015 relative à la sécurisation des rentes versées dans le cadre des régimes de retraite mentionnés à l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale. Ainsi, à la date à laquelle la société employeur a été placée en redressement judiciaire puis liquidée, les dispositions législatives et réglementaires applicables ne garantissaient pas que les salariés, en cas d'insolvabilité de leur employeur, puissent, quelle que soit la date de naissance des engagements, bénéficier de prestations de retraite supplémentaire correspondant au moins à la moitié de la valeur de leurs droits acquis au titre d'un tel régime.
9. En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt Hogan et autres du 25 avril 2013 (C-398/11), que la nature et l'étendue de l'obligation incombant aux Etats membres en vertu de l'article 8 de la directive 80/987, remplacée par la directive 2008/94, ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ont été claires et précises au plus tard à compter du prononcé de l'arrêt Robins cité ci-dessus, à savoir le 25 janvier 2007, y compris pour les engagements nés antérieurement à cette date, et que, par conséquent, une législation nationale qui aboutit à ce qu'en cas d'insolvabilité de son employeur un travailleur ne perçoive pas la moitié au moins de la valeur de ses droits à retraite supplémentaire constitue en soi une violation caractérisée des obligations de l'Etat membre concerné.
10. Par suite, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de sa négligence à transposer la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, privant ainsi M. B... de la possibilité de bénéficier de la moitié au moins des prestations de retraite supplémentaire auxquelles il aurait pu prétendre en dépit de l'insolvabilité de son employeur.
11. Pour évaluer le préjudice subi par le requérant, le tribunal administratif a déduit de ce qui précède que le manquement de l'Etat dans la transposition de l'article 8 de la directive 80/987 du Conseil du 20 octobre 1980 était à l'origine des pertes de droits à une retraite supplémentaire subies par le requérant au cours de la période précédant l'adoption de la loi du 11 août 1994 et au cours de la période suivant l'intervention de la loi du 21 août 2003, entrée en vigueur le 23 août suivant. M. B... réclame une augmentation de l'indemnisation accordée par le tribunal administratif en soutenant que la provision comptable, prévue par l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale au sein de l'entreprise adhérente, n'est pas de nature à sécuriser les droits des salariés à une retraite supplémentaire dès lors que cette provision, comptabilisée en charge et portée au débit du compte de résultat, ne présente plus aucune utilité en cas d'insolvabilité et de cessation de paiement de l'entreprise. Toutefois, si le requérant entend ainsi contester le caractère suffisant des mesures prises par l'Etat entre le 11 août 1994 et le 23 août 2003 pour transposer l'article 8 de la directive 80/987 du 20 octobre 1980, les dispositions de l'article L. 941-2 posaient comme principe un provisionnement par les institutions de retraite supplémentaires elles-mêmes et n'envisageaient qu'à titre subsidiaire, de façon alternative, la possibilité de souscrire une garantie auprès d'un organisme assureur ou de constituer des provisions par les entreprises adhérentes, cette dernière possibilité n'étant au demeurant jamais entrée en vigueur en l'absence de décret d'application, ainsi qu'il a été dit au point 5. Il n'est pas contesté par M. B... que ses droits à une retraite supplémentaire nés entre le 11 août 1994 et le 23 août 2003 n'ont pas été provisionnés par l'institution de retraite Usinor Sacilor, ni garantis par un organisme assureur ou un établissement de crédit, empêchant par là même que les provisions correspondantes aient pu être ultérieurement transférées dans des conditions, prévues par la loi du 21 août 2003, garantissant leur utilisation pour le paiement des prestations de retraite supplémentaire. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le préjudice subi par M. B... au cours de la période comprise entre le 11 août 1994 et le 23 août 2003 est donc imputable à la négligence de son employeur, qui s'est abstenu de sécuriser les droits de ses salariés dans les conditions prévues par les trois premiers alinéas de l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale. Par suite, le moyen du requérant, tiré de ce que les mesures prévues au dernier alinéa de cet article ne permettent pas de transposer l'article 8 de la directive 80/987 du 20 octobre 1980 ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité le montant des réparations à la somme de 10 029,72 euros. Par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à A... B... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 20 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00460