Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axa France IARD a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner in solidum les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Delens, Dherte, Bureau Veritas et Woodlam à lui verser la somme totale de 2 479 337,80 euros toutes taxes comprises, ou, à titre subsidiaire, la somme de 2 228 961,60 euros.
Par un jugement n° 1904084 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné les sociétés Delens et Dherte à verser à la société AXA France IARD la somme de 1 788 283,20 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2022, et des mémoires, enregistrés le 15 juin 2023 et le 2 août 2023, la société Axa France IARD, représentée par Me Virginie Pourtier, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée recevable à agir en tant qu'assureur dommages ouvrage subrogé dans les droits et actions du syndicat mixte du stade de Liévin ;
2°) de réformer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture et Bureau Veritas et en ce qu'il a minoré le quantum des condamnations prononcées à la somme de 1 788 283,20 euros ;
3°) de condamner in solidum les sociétés Delens, Dherte, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture, Bureau Veritas et Woodlam à lui verser la somme de 2 479 337,80 euros ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum les sociétés Delens, Dherte, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture, Bureau Veritas et Woodlam à lui verser la somme de 2 228 961,60 euros ;
5°) de mettre à la charge in solidum des sociétés Delens, Dherte, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture, Bureau Veritas et Woodlam la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner les mêmes aux dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- elle est subrogée dans les droits du syndicat mixte pour l'exploitation du stade couvert de Liévin et est recevable à agir contre les locateurs d'ouvrage appelés à la cause ;
- la juridiction administrative est compétente pour connaître de ce litige ;
- le désordre se caractérise par la présence de trous défectueux dans les poutres en bois livrées par la société Woodlam, sous-traitant du groupement constitué des sociétés Delens et Dherte, lesquels fragilisent la portance de la charpente ;
- cette faute engage la responsabilité des sociétés Delens et Dherte sur le terrain de leur responsabilité décennale, les désordres n'étant pas apparents lors de la réception ;
- la responsabilité des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture et Bureau Veritas est également engagée sur le terrain de la garantie décennale, en leur qualité de constructeurs de l'ouvrage ; les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture n'ont pas vérifié, avant leur pose, l'état des poutres en bois avec leurs ferrures, livrées sur le chantier ; la société Architecture Studio a participé au contrôle des matériaux et fournitures avec des vérifications par essais ou sondages en phase de direction de l'exécution des travaux et les dommages lui sont imputables ; le contrôleur technique, la société Bureau Veritas, n'a pas émis de réserve sur la fixation des poutres en bois alors qu'elle aurait dû signaler le défaut à l'origine des dommages, en cours de chantier, conformément à la mission L de solidité de la charpente en bois ;
- la responsabilité de la société Woodlam est engagée sur le terrain de la responsabilité délictuelle ;
- le préjudice de la société AXA est constitué par le coût des travaux de confortement de la charpente et le surcoût engendré par l'arrêt du chantier, lesquels doivent intégrer les fiches modificatives 18 et 19 et leurs surcoûts.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 janvier 2023 et le 20 mars 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Bureau Veritas SA, représentée par Me Sandrine Draghi-Alonso, conclut :
1°) au rejet de la requête présentée par la société Axa France IARD ;
2°) à sa mise hors de cause ;
3°) à titre subsidiaire, au rejet de toute demande en garantie dirigée à son encontre et de toutes demandes de condamnation solidaire ou in solidum ;
4°) à titre très subsidiaire, à la limitation du quantum de la réparation, en écartant celle des préjudices immatériels et en rejetant la demande de règlement complémentaire pour la somme de 621 869,18 euros réglée par la société AXA France IARD ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Delens, Dherte, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Khephren Ingénierie, Woodlam et Sylva Conseil à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
6°) à la mise à la charge de la société Axa France IARD à lui verser une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ; la société AXA France n'établit pas avoir réglé l'indemnité en exécution d'une police d'assurance dommages-ouvrage régulièrement souscrite et validée ; la société a réglé une indemnité sans y être tenue, faute de déclaration de sinistre ; la quittance produite n'apporte aucun détail de l'indemnité versée ; le dédommagement de frais d'immobilisation d'entreprises n'est pas établi ; la quittance subrogative produite ne mentionne ni l'objet ni le détail de l'indemnité versée et ne fait pas référence au rapport de l'expert ni à celui de l'économiste de la construction ;
- la requête est mal dirigée car la société Bureau Veritas a cédé son activité de contrôleur technique à la société Bureau Veritas Construction le 1er janvier 2017 ; cette cession emporte transfert des responsabilités légales au détriment de la société Bureau Veritas Construction ;
- l'action en responsabilité décennale à l'encontre de la société Bureau Veritas est prescrite depuis le 16 juin 2019 ;
- les dommages ne lui sont pas imputables ; la société AXA France IARD n'apporte pas la preuve de cette imputabilité au contrôleur technique ;
- le contrôleur technique n'est tenu qu'à une obligation de moyens et non de résultat ; il ne peut se substituer au maître d'œuvre dans sa mission de surveillance de l'exécution des travaux ; ses interventions s'effectuent par un examen visuel sans démontage ou sondage destructif ;
- les préjudices immatériels d'un montant de 367 232,62 euros ne sont ni justifiés ni démontrés ; l'assureur a choisi de régler un montant complémentaire de 621 869,18 euros sans y être tenu et est dès lors dépourvu de tout recours subrogatoire à hauteur de cette somme ;
- le caractère subsidiaire de l'intervention du contrôleur technique exclut toute solidarité dans les condamnations prononcées en raison de la défaillance d'un ouvrage ;
- la société Sylva Conseil a identifié tardivement les désordres, ce qui a causé du retard dans l'exécution des travaux et un surcoût auquel ce maître d'œuvre a contribué ;
- la responsabilité de la société Woodlam est exclusive au titre des percements anarchiques de l'ouvrage et les sociétés Delens et Dherte doivent répondre des fautes de leur sous-traitant ; les membres du groupement de maîtrise d'œuvre sont responsables des dommages causés à l'ouvrage.
Par des mémoires en défense enregistrés le 19 janvier 2023, le 26 mai 2023 et le 29 août 2023, la société Khephren Ingénierie, représentée par Me Arnaud Cabanes et Me Mickaël Perche, conclut :
1°) au rejet des appels en garantie dirigés à son encontre ;
2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Delens, Dherte, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Woodlam et Sylva conseil à la garantir solidairement des condamnations prononcées à son encontre, qui seraient la conséquence de l'appel en garantie de la société Bureau Veritas ;
3°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Delens, Dherte, Bureau Veritas, Woodlam et Sylva Conseil à la garantir solidairement des condamnations prononcées à son encontre, qui seraient la conséquence de l'appel en garantie des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement ;
4°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas, Woodlam et Sylva Conseil à la garantir solidairement des condamnations prononcées à son encontre, qui seraient la conséquence de l'appel en garantie des sociétés Delens et Dherte ;
5°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Delens, Dherte, Bureau Veritas, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Sylva Conseil à la garantir solidairement des condamnations prononcées à son encontre, qui seraient la conséquence de l'appel en garantie de la société Woodlam ;
6°) à la mise à la charge in solidum des sociétés Delens, Dherte, Woodlam, Bureau Veritas, Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture et Bureau Veritas et le groupement Delens-Dherte n'apportent pas la preuve de la faute qu'aurait commise Khephren Ingénierie dans l'exécution de sa mission de direction de l'exécution des travaux ;
- elle n'est tenue qu'à une obligation de moyens et les percements anarchiques dans les poutres n'étaient pas décelables ni visibles au moment où elles ont été livrées sur le chantier, ni lors de la réception des travaux ;
- l'erreur a été commise en dehors du chantier par le sous-traitant du groupement d'entreprises titulaire du marché d'exécution de l'ouvrage, lors d'une phase durant laquelle la maîtrise d'œuvre n'intervenait pas et n'avait pas l'obligation d'intervenir, comme le reconnaissent la jurisprudence et la documentation technique disponible ;
- aucun lien n'est établi entre la conception de la charpente et le sinistre ;
- elle doit être garantie par les autres intervenants à l'acte de construction à hauteur des fautes qu'ils ont commises.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2023, et d'autres mémoires, enregistrés le 20 avril 2023, le 6 juin 2023 et le 21 juin 2023, les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, représentées par Me Véronique Ducloy, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet des demandes présentées par la société AXA et les autres parties ainsi qu'au rejet des appels en garantie dirigés à son encontre ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à ce que les sociétés Delens, Dherte, Woodlam, Bureau Veritas et Khephren Ingénierie soient condamnées in solidum ou l'une à défaut de l'autre à les garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre ;
4°) à la mise à la charge de la société AXA ou tout autre succombant d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la subrogation de la société AXA France IARD n'est pas justifiée par les pièces qu'elle produit ;
- le rapport d'expertise de l'assureur "dommages-ouvrage" indique que l'entière responsabilité du dommage incombe exclusivement à la société Woodlam ; ce dommage ne leur est pas imputable ;
- elles n'étaient pas chargées de la conception technique du projet mais seulement de la mission architecturale, cette répartition des missions entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre n'ayant pas été contestée ; leur contrôle des matériaux portait sur un contrôle architectural limité à la conformité aux règles d'urbanisme et au permis de construire ;
- les percements anarchiques des poutres de la file E ont été commis en dehors du chantier, ont été dissimulées à la maîtrise d'œuvre et, masqués par des platines, n'étaient pas visibles ni décelables au moment de la livraison des poutres ;
- l'expertise conduite par M. A... est antérieure à la découverte des désordres et ses conclusions ne peuvent être retenues ;
- il est impossible de prononcer une condamnation in solidum dès lors que le groupement de maîtrise d'œuvre est un groupement conjoint et qu'elles ne sont pas intervenues sur la charpente, contrairement à la société Khephren Ingénierie ;
- elles n'ont commis aucune faute engageant leur responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil à l'égard des autres intervenants dans la construction de l'ouvrage ;
- le groupement d'entreprises Delens-Dherte doit répondre des fautes commises par son sous-traitant ; la société Bureau Veritas a été défaillante dans sa mission de contrôle de la solidité de l'ouvrage.
Par un mémoire enregistré le 29 juin 2023, la société Woodlam, représentée par Me Jean-Louis Capelle, conclut :
1°) à la confirmation du jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées à son encontre ;
2°) au rejet des conclusions dirigées à son encontre ;
3°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas, Khephren Ingénierie et Sylva Conseil à la garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
4°) à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société AXA France IARD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du co-contractant du maître de l'ouvrage, le groupement d'entreprises Delens-Dherte peut être utilement recherchée au sens de la jurisprudence " commune de Bihorel " et les conditions d'engagement de sa responsabilité délictuelle ne sont pas remplies ;
- le rapport d'expertise de l'assureur ne lui est pas opposable ;
- les fondements juridiques et les éléments de fait justifiant les appels en garantie formés à son encontre ne sont pas précisés ;
- les membres du groupement de maîtrise d'œuvre ont insuffisamment contrôlé la fabrication des poutres, commettant ainsi des fautes engageant leur responsabilité ;
- le contrôleur technique n'a émis aucune réserve sur la solidité des poutres, marquant ainsi sa défaillance dans la survenance du dommage ;
- le maître d'œuvre des travaux de réparation, alerté par la présence de résine sur les poutres E et F, aurait dû identifier les désordres avant d'entreprendre ses études de réparation de l'ouvrage, ce qui a engendré du retard dans la réalisation des travaux et donc un surcoût.
Par des mémoires, enregistrés le 7 avril 2023, le 13 juin 2023, le 28 juin 2023 et le 26 septembre 2023, les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, représentées par Me Alexander Marx, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la confirmation du jugement, en tant qu'il a rejeté les demandes de condamnations portant sur les sommes de 38 664,64 euros hors taxes, de 50 651,20 euros hors taxes, et de 468 559 euros hors taxes ;
3°) au rejet des demandes de la société AXA France IARD ;
4°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation des sociétés Sylva Conseil, Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas et Khephren Ingénierie à les garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre, en principal, intérêts, frais et accessoires ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, à ce que leur condamnation soit limitée à la somme de 1 681 046,67 euros ;
6°) à la mise à la charge de la société AXA France IARD à leur verser à chacune la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête est irrecevable dès lors que la subrogation d'AXA n'est pas justifiée ;
- la responsabilité du groupement d'entreprises ne peut être engagée sur le fondement de l'expertise amiable qui lui est inopposable ; l'expertise amiable n'a pas été conduite de façon contradictoire ; l'expertise dommages ouvrage n'est pas aboutie, aucun rapport définitif n'ayant été établi ; le préjudice n'a pas été entièrement examiné par l'expert ; la société Khephren Ingénierie n'a pas été mise en cause ; la société AXA France n'a pas respecté la procédure légale de règlement des litiges ;
- les mauvais perçages des poutres étaient décelables dans le cadre des travaux d'origine, avant leur réception et ne constituaient pas des désordres de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage, ce qui s'oppose à l'engagement de la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale ;
- ces désordres étaient décelables avant le début des travaux de réparation, de façon à éviter les surcoûts dont AXA France sollicite le remboursement ;
- un meilleur phasage des travaux de réparation par le maître d'œuvre de ces travaux aurait évité des surcoûts, qui devront être garantis intégralement par la société Sylva Conseil ;
- l'indemnité relative au coût des travaux de réparation et au préjudice immatériel versée par AXA France ne peut dépasser la somme de 2 228 961,60 euros toutes taxes comprises ; le règlement complémentaire de la somme de 79 462,83 euros hors taxes n'est pas assorti des justificatifs suffisants ; le montant des frais généraux revendiqués par les sociétés ayant effectué les réparations est trop élevé ; les fiches modificatives de travaux n° 18 et n° 19 ne sont justifiées par aucun élément et n'ont pas été examinés par l'économiste de la construction ; les coûts liés à une modification du calendrier d'exécution des travaux de réparation relèvent de l'organisation du chantier et non de frais d'immobilisation ; au demeurant, ces frais d'immobilisation ne sont assortis d'aucun justificatif ;
- la société Sylva Conseil a commis des fautes quant au phasage des travaux, conduisant à une interruption du chantier et à la mise en œuvre de travaux de renforcement supplémentaire qui auraient pu être évités et qui ont conduit à un surcoût des travaux de réparation ;
- la société Architecture Studio, la société Arc-Ame Vilet Pezin, la société Khephren Ingénierie et la société Bureau Veritas ont commis des fautes en matière de contrôle des opérations de fabrication des poutres.
Les mémoires l'appelant en garantie ont été communiqués à la société Sylva Conseil qui n'a pas produit de mémoire.
Les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office, tirés de :
• l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Khephren Ingénierie tendant à la condamnation des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Woodlam à la garantir de toute condamnation, lorsqu'elle serait la conséquence de l'appel en garantie de la société bureau Veritas, comme nouvelles en appel ;
• l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Khephren Ingénierie tendant à la condamnation des sociétés Bureau Veritas et Woodlam à la garantir de toute condamnation, lorsqu'elle serait la conséquence de l'appel en garantie des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, comme nouvelles en appel ;
• l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Khephren Ingénierie tendant à la condamnation des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas, Woodlam et Sylva conseil à la garantir de toute condamnation, lorsqu'elle serait la conséquence de l'appel en garantie des sociétés Delens et Dherte, comme nouvelles en appel ;
• l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Woodlam tendant à la condamnation de la société Sylva Conseil à la garantir de toute condamnation, comme nouvelles en appel ;
• l'irrecevabilité des conclusions présentées par les sociétés Delens et Dherte tendant à la condamnation de la société Khephren Ingénierie à les garantir de toute condamnation, comme nouvelles en appel ;
• la responsabilité de la société Woodlam, fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, débiteur de la garantie décennale sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, laquelle concerne le champ d'application de la loi ;
• la responsabilité de la société Khephren Ingénierie, en qualité de constructeur de l'ouvrage, débiteur de la garantie décennale sur le fondement de l'article 1792-1 du code civil, laquelle concerne le champ d'application de la loi.
La société Khephren Ingénierie, représentée par Me Arnaud Cabanes, a présenté des observations enregistrées le 28 mars 2025.
Par ordonnance du 26 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code des assurances ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le décret n° 99-443 du 28 mai 1999 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire,
- les conclusions de M. Frédéric Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Merabet, représentant la société AXA France IARD, de Me Marx, représentant les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, de Me Amajjarkou, représentant la société Khephren Ingénierie et de Me Lacherie, représentant la société Woodlam.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Liévin a confié à la SEM Artois Développement, devenue Territoires Soixante Deux, agissant en tant que maître d'ouvrage délégué et mandataire de la commune de Liévin, la réhabilitation et l'extension du stade couvert régional et du centre régional d'accueil et de formation en complexe sportif de Liévin. Par un acte d'engagement du 10 décembre 2004, la mission de maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement constitué des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Khephren Ingénierie (BET Structure) et Eco Cités, du bureau d'études L. Choulet et de Monsieur B.... Le contrôle technique de l'opération a été confié à la société Bureau Veritas. Le marché de travaux de gros œuvre, démolition, VRD et de la charpente proprement dite (lot n° 1), ainsi que les études d'exécution associées, ont été confiés au groupement solidaire des sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte. Ce groupement a sous-traité auprès de la société Woodlam le calcul, la fourniture et la pose de la charpente en bois lamellé collé. Par un ordre de service n° 60 du 29 juin 2009, la commune de Liévin, maître de l'ouvrage, a prononcé la réception des ouvrages avec réserves avec effet au 16 juin 2009. Le 26 juin 2012, le Syndicat mixte du stade couvert de Liévin a acquis le complexe sportif auprès de la commune de Liévin. Au cours des travaux de reprise de la charpente consécutifs à un sinistre, ont été découverts, en février 2016, des percements défectueux dans les poutres composant la charpente, au droit des assemblages du faîtage notamment sur la file E et du système de précontrainte du même faîtage. La société AXA France IARD a indemnisé le Syndicat mixte à hauteur de 2 479 337,80 euros, au titre des surcoûts de chantier engendrés par les travaux de reprise de la charpente et de ceux résultant de l'interruption des travaux de reprise de la charpente consécutifs au sinistre. Elle relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné solidairement les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte à lui verser la somme de 1 788 283,20 euros toutes taxes comprises et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur la recevabilité :
2. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur (...) ".
3. L'assureur qui bénéficie de la subrogation instituée par les prescriptions de l'article L. 121-12 du code des assurances dispose de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne responsable, à quelque titre que ce soit, du dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance. Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par les dispositions de cet article de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré.
4. Il résulte de l'instruction que la commune de Liévin a conclu le 4 octobre 2006 une police dommage-ouvrages avec la société AXA France IARD. L'incident, découvert le 10 février 2016, a fait l'objet d'un constat d'huissier et d'une déclaration de sinistre le 15 mars 2016 faite par l'assuré, le Syndicat mixte d'exploitation du stade couvert régional de Liévin, à la suite de laquelle la société AXA France IARD a versé la somme de 2 479 337,80 euros par le chèque n° 5035965 du 6 avril 2017. L'assureur produit la quittance de subrogation du 13 mars 2017 signée par le représentant du Syndicat mixte pour ce même montant relative à la déclaration de sinistre du 15 mars 2016. Il résulte également de l'instruction que le relevé du compte courant de l'assureur pour la période du 15 au 30 avril 2017 montre que le chèque n° 5035965 de 2 479 337,80 euros a été débité de son compte et que l'encaissement du chèque par le Syndicat mixte est établi par sa trace informatique. La société AXA France IARD établit dès lors être subrogée dans les droits du Syndicat mixte à hauteur de la somme réclamée. Il en résulte que les fins de non-recevoir opposées sur ce point par les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas, Entreprise Jacques Delens et Dherte doivent être écartées.
Sur les conclusions présentées par la société AXA France IARD sur le fondement de la garantie décennale :
5. Aux termes de l'article 1792 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. / Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ".
6. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure.
En ce qui concerne les désordres et leur caractère décennal :
7. Il résulte de l'instruction que, lors de la réalisation des travaux, une partie de la charpente en bois existante du stade couvert régional (SCR) a été conservée aux deux extrémités et la partie centrale a été déposée et remplacée par une charpente en bois lamellé collé venant reposer sur le bâtiment neuf contigu, à savoir le centre régional d'accueil et de formation (CRAF), le tout formant un complexe sportif. Le désordre relatif à l'assemblage du faîtage sur la file E de la charpente, dont la réparation est demandée par l'assureur, est apparu en février 2016, soit dans le délai de dix ans après la réception de l'ouvrage prononcée avec effet au 16 juin 2009 et est sans lien avec la réserve dont cette réception avait été assortie. Il résulte des constatations de fait figurant dans les deux rapports de la société SARETEC Construction qui, s'ils ne présentent pas le caractère d'une expertise opposable aux parties, constituent néanmoins des éléments que le juge peut prendre en compte dès lors qu'ils ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance, que ce désordre se caractérisait par la présence de bouchements de trous dans le bois de la charpente avec des tourillons non adhérents à la suite de perçages inappropriés, effectués en vue de la fixation des ferrures d'assemblage. Cette opération ayant été effectuée dans les locaux du fabricant, la société Woodlam, ces perçages et leur réparation, masqués par les ferrures, n'étaient pas apparents lors de la livraison sur le chantier des poutres de la charpente et, a fortiori, au moment de la réception de l'ouvrage.
8. Il résulte en outre de l'instruction que la réparation effectuée sur la poutre de la file E était de mauvaise qualité, que le remplissage des trous par des tourillons en bois et par la résine utilisée ne permettait pas de recréer l'homogénéité de la section de bois en lamellé-collé, que les boulons utilisés pour la reprise du cisaillement ne pouvaient pas être considérés comme pleinement résistants, que certains des boulons avaient été désaxés et que la zone fortement comprimée était considérablement fragilisée par de nombreux évidements. L'assemblage entre les poutres en résultant n'était donc pas suffisamment résistant dans cette zone du faîtage soumise à une compression très importante. Par suite, ce désordre, qui comme il vient d'être dit n'était pas apparent lors de la réception, compromettait la solidité de l'ouvrage et est de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :
9. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
S'agissant des sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte :
10. Le groupement de sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte a la qualité d'entrepreneur principal à l'égard du maître de l'ouvrage. Sa responsabilité décennale est donc pleinement engagée à l'égard de ce dernier en vertu des principes ci-dessus rappelés.
S'agissant des membres du groupement de maîtrise d'œuvre :
11. La société AXA France IARD recherche la responsabilité décennale des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement qui sont deux des six membres composant le groupement de maîtrise d'œuvre ayant contracté avec le maître de l'ouvrage.
12. Aux termes de l'article 9 du décret du 29 novembre 1993, applicable au moment de la réalisation des travaux : " La direction de l'exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : / a) De s'assurer que les documents d'exécution ainsi que les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions des études effectuées ; / b) De s'assurer que les documents qui doivent être produits par l'entrepreneur, en application du contrat de travaux ainsi que l'exécution des travaux sont conformes audit contrat ; / c) De délivrer tous ordres de service, établir tous procès-verbaux nécessaires à l'exécution du contrat de travaux, procéder aux constats contradictoires et organiser et diriger les réunions de chantier ; (...) ". L'annexe II de ce même décret prévoit que : " 6. La direction de l'exécution des marchés publics de travaux a pour objet, outre les éléments mentionnés à l'article R. 2431-16 du code de la commande publique : / - de s'assurer que les documents produits par les opérateurs économiques chargés des travaux ne comportent ni erreur, ni omission, ni contradiction normalement décelable par un homme de l'art ; / de s'assurer que l'exécution des travaux est conforme aux clauses des marchés publics de travaux, y compris, le cas échéant, en ce qui concerne l'application effective d'un schéma directeur de la qualité, s'il en a été établi un (...) ".
13. Il résulte de ces dispositions que la vérification de la conformité des travaux aux documents d'exécution relève de la compétence du maître d'œuvre et que cette vérification suppose nécessairement que l'exécution des travaux doit être contrôlée par ce dernier, notamment dans le cas où la fabrication des pièces principales de la charpente est effectuée dans les locaux de l'entreprise chargée de les concevoir et de les réaliser. Si le tableau de répartition des tâches entre les co-traitants du groupement de maîtrise d'œuvre mentionne que le contrôle de la conception technique et le suivi des travaux de charpente ont été confiées au bureau d'études techniques Khephren Ingénierie, alors que les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture mises en cause par l'appelante indiquent n'avoir été chargées que d'une mission architecturale du stade couvert, il résulte de l'instruction qu'en application des dispositions précitées du décret du 29 novembre 1993, ces sociétés assuraient la direction et le suivi du chantier et participaient ainsi au contrôle de la conformité des ouvrages. A cet égard, le tableau de répartition précité précise que la société Architecture Studio avait pour mission de valider, selon sa compétence, les actes vérifiant la conformité des ouvrages des lots techniques tandis que la société Arc-Ame Vilet Pezin Architecture participait à ce même contrôle portant sur les mêmes lots techniques. Par suite, ces deux sociétés, impliquées dans la vérification des travaux des lots techniques, ne sont pas fondées à soutenir que le désordre ne leur est en aucune manière imputable ni qu'une condamnation in solidum ne pourrait être prononcée à leur encontre au titre de leur responsabilité décennale.
14. Par suite, la responsabilité décennale des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, membres du groupement de maîtrise d'œuvre, est donc engagée de plein droit, pour les dommages compromettant la solidité de l'ouvrage, envers l'assureur subrogé dans les droits du maître de l'ouvrage.
S'agissant de la société Bureau Veritas :
15. Aux termes de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation, alors applicable : " le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. (...) son avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article 7 du décret du 28 mai 1999 : " Les missions de base sont au nombre de deux : / - la mission L, portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d'équipement indissociables ; / - la mission S, portant sur les conditions de sécurité des personnes dans les constructions. / Ces missions de base sont définies dans l'annexe A de la norme NF P 03-100. / Dans le cas du contrôle technique obligatoire, la mission minimale de contrôle technique comprend la mission L et la mission S ". Son article 7 dispose que : " La mission de contrôle technique comporte les phases suivantes, telles que prévues à l'article 4-2-2 de la norme NF P 03-100 : (...) / - examen sur chantier des ouvrages et éléments d'équipement soumis au contrôle et formulation des avis correspondants ; (...) ". L'annexe B du même décret prévoit que : " Examen sur chantier des ouvrages et éléments d'équipements soumis au contrôle : /.../ - examen visuel à l'occasion de visites ponctuelles de chantier des ouvrages et éléments d'équipements soumis au contrôle ".
16. Il ressort de l'acte d'engagement du 5 octobre 2004 signé par la société Bureau Veritas avec le maître de l'ouvrage que " le contrôle technique interviendra dans les conditions fixées par le CCTG de contrôle technique approuvé par le décret n° 99-43 du 28 mai 2999 ainsi que par la norme NF P-03-100 ".
17. Il résulte des termes mêmes des dispositions précitées du décret du 28 mai 1999 que la mission d'examen, sur le chantier et à l'occasion de visites ponctuelles, des éléments de l'ouvrage soumis au contrôleur technique ne s'étend pas à un contrôle visuel en dehors du chantier de ces parties de l'ouvrage pendant la phase de leur construction dans les locaux du fabricant. En outre, il n'appartient pas au contrôleur technique, dans sa mission de contribution à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés, de vérifier si le maître d'œuvre a effectué sa mission de surveillance des travaux et de contrôle des éléments de l'ouvrage. Compte tenu de ses missions, il ne pouvait avoir connaissance des vices au cours du chantier en accomplissant ses missions selon les règles de l'art. Les désordres en cause, qui n'étaient plus décelables après la livraison des poutres sur le chantier, ne se rattachent donc pas au périmètre de son intervention qui est limitée au chantier lui-même. Dans ces conditions, ces désordres ne lui sont en aucune manière imputables. La responsabilité décennale du contrôleur technique ne peut, par suite, être recherchée par l'assureur du maître de l'ouvrage, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Bureau Veritas et tirée de ce que la demande est mal dirigée.
S'agissant de la société Woodlam :
18. La société AXA France IARD recherche la responsabilité quasi délictuelle de la société Woodlam, sous-traitant du groupement constitué des sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, titulaire du marché.
19. Il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage. Il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. S'il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles.
20. Il résulte de l'instruction que l'entrepreneur principal a confié à la société Woodlam la mission de fourniture et de pose de la charpente en lamellé collé sur le chantier et que cette mission comportait également celle des relevés sur site pour l'implantation des charpentes, de l'étude de dimensionnement et de la conception de la charpente, en tenant notamment compte des charges de neige, de vent, d'exploitation, de toitures et de faux plafonds. Le sous-traitant de l'entrepreneur principal, participant à l'opération de travaux publics, a ainsi conçu et produit une partie de l'ouvrage pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance et a donc la qualité de fabricant au sens de l'article 1792-4 du code civil.
21. Ainsi qu'il est dit au point précédent, la société Woodlam a agi, en ce qui concerne les désordres litigieux, en qualité de fabricant. Aucune des conclusions dirigées contre elle par l'appelante n'est fondée sur sa responsabilité décennale qui serait seule à rendre recevables de telles conclusions. Ainsi, les conclusions de l'assureur subrogé dans les droits du maître d'ouvrage, seulement fondées sur la responsabilité délictuelle de cette société, sont donc irrecevables et ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
22. Il résulte de ce qui précède que la société AXA France IARD est seulement fondée à rechercher la responsabilité in solidum des sociétés Entreprise Jacques Delens, Dherte, Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
23. Le maître d'ouvrage a droit à être indemnisé du coût des travaux de réparation résultant des dommages constatés, du coût de la maîtrise d'œuvre associée éventuelle, des autres prestations intellectuelles telles que le contrôle technique ou le contrôle pour la sécurité et la protection de la santé ainsi que de la prime d'assurance éventuellement contractée par le maître de l'ouvrage. Il résulte de l'instruction que ces travaux ont consisté en la création d'une nouvelle ferrure comportant des points d'attaches sur les parties saines de la poutre afin de donner à l'assemblage de la file E sa pleine solidité.
S'agissant du coût des travaux de réparation :
24. Si les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte soutiennent que l'option de réparation retenue par la société Arbonis est la plus onéreuse et a nécessité le démontage des ferrures des autres files de la charpente entraînant des retards dans le chantier initial, elles ne démontrent pas l'existence d'une solution technique alternative. Les sociétés Bureau Veritas SA et Woodlam n'établissent pas plus que la société Sylva Conseil aurait identifié tardivement les désordres, causant ainsi du retard dans l'exécution des travaux. Par suite, les moyens tirés de l'existence de surcoûts ne peuvent qu'être écartés.
25. Il résulte de l'instruction que les travaux de reprise de la charpente ont été confiés à la société Arbonis pour une somme de 565 000 euros hors taxes. Les frais d'étaiement et d'échafaudages incombant à la société Freyssinet sont évalués au montant de 805 000 euros hors taxes. Si les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte contestent ces deux montants en estimant que les frais généraux des deux entreprises sont trop élevés, il résulte que ces dernières ont réduit leur demande d'indemnisation et que l'économiste de la construction, la société B2M, a validé ces deux sommes. La société Arbonis a réalisé les études pour le revérinage de la charpente pour une somme de 18 791 euros hors taxes tandis que la société Bureau Veritas a effectué le contrôle technique pour une somme de 8 800 euros hors taxes, la société Sylva Conseil a assuré la maîtrise d'œuvre des travaux de réparation pour un montant de 91 025 euros hors taxes et le coordinateur pour la sécurité et la protection de la santé a effectué sa mission pour un montant de 1 620 euros hors taxes, chacun de ces montants ayant été vérifié par la société B2M. Les autres parties ne contestent pas sérieusement ces montants.
26. La fiche de demande de travaux modificatifs n° 18 produite en appel porte sur un montant de 248 205,09 euros hors taxes qui ne correspond pas à la somme de 38 668,64 euros demandée par la société AXA France IARD. Si le détail du devis produit par la société Arbonis permet de faire correspondre la somme de 2 820 euros à la pose des ferrures de connexion pour un montant cumulé des sommes de 2 250 et de 570 euros, les sommes de 7 787,66 euros et 28 060,98 euros ne sont justifiées par aucun élément permettant de les retenir parmi les dépenses de réparation. En outre, il n'est pas établi que le maître de l'ouvrage a accepté cette demande de travaux modificatifs et que ceux-ci ont été effectivement réalisés. La somme correspondant à cette proposition de travaux ne peut donc pas être prise en compte dans le coût de la réparation.
27. La somme de 50 651,20 euros hors-taxes, relative à la fiche de demande de travaux modificatifs n° 19, n'est assortie d'aucun justificatif de la somme réclamée.
28. Il résulte de ce qui précède que le montant des réparations doit être fixé à une somme totale de 1 490 236 euros hors taxes, soit la somme de 1 788 283,20 euros toutes taxes comprises.
S'agissant des frais d'immobilisation du chantier :
29. La société AXA France IARD se prévaut d'un préjudice lié à l'allongement du chantier de réparation du sinistre relatif aux fissures apparues sur des poutres, lequel était en cours au moment où le dommage a été découvert.
30. La réparation du préjudice résultant du dommage doit être complète et les frais d'immobilisation en découlant doivent être inclus dans le montant des préjudices causés au maître d'ouvrage.
31. Il résulte de l'instruction que le chantier de la réparation initiale a été immobilisé du 9 mars au 9 juillet 2016, ces dates n'étant pas contestées par les parties défenderesses. Pour la période du 9 mars au 9 mai 2016, les frais d'immobilisation de la société Arbonis s'élèvent à la somme de 66 019,69 euros et, pour la période du 9 mai au 9 juillet 2016, ils s'élèvent au montant de de 10 504,65 euros et 30 708,28 euros, soit 41 212,93 euros hors taxes, ces sommes ayant été validées par l'économiste, la société B2M. Les frais d'immobilisation supportés par la société Freyssinet s'élèvent à la somme de 260 000 euros hors taxes, validée par la société B2M. Les éléments apportés par les parties en cours d'instance ne suffisent pas à remettre en cause ces montants.
32. Il résulte de ce qui précède que le montant des frais d'immobilisation doit être fixé à une somme totale de 367 232,62 euros hors taxes, soit la somme de 440 679,14 euros toutes taxes comprises.
Sur les conclusions d'appel en garantie formées par voie d'appel provoqué :
33. Il résulte de l'instruction que les perçages défectueux de la poutre de la file E à l'origine du désordre ont été effectués par la société Woodlam dans ses ateliers. Il n'est pas établi que la société Woodlam a informé le maître d'œuvre de cette malfaçon ni qu'elle lui a demandé de vérifier si la réparation qu'elle a envisagée, puis effectuée, était conforme aux calculs d'exécution et à la conception du projet. Par suite, les agissements de la société Woodlam sont constitutifs d'une faute à l'égard des constructeurs. En outre, l'instruction ne permet pas d'établir que les membres du groupement de sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte ont procédé à une quelconque vérification de la bonne réalisation des éléments fabriqués par leur sous-traitant, à qui ils ont confié la conception et la réalisation des poutres de la charpente, ni qu'ils ont sollicité une telle vérification.
34. Les membres du groupement de maîtrise d'œuvre se sont abstenus de toute surveillance et de tout contrôle, même aléatoire, de la réalisation des poutres chez le fabricant alors que ces poutres constituaient les éléments porteurs de la toiture du bâtiment à réhabiliter et ont ainsi commis une faute.
35. Il résulte de l'instruction que la société Sylva Conseil a été appelée comme conseil pour concevoir une solution de reprise des travaux défectueux relevant d'un sinistre antérieur, avant d'être missionnée comme maître d'œuvre des travaux de réparation. Elle n'avait donc pas la qualité de constructeur au moment de la réalisation des travaux initiaux au cours desquels les désordres sont intervenus. Il n'est pas établi que le retard qu'aurait pris cette société pour identifier ces désordres et son choix du phasage de travaux de réparation ont entraîné des surcoûts des travaux de réparation, ni qu'il existait un autre mode de réparation que celui retenu, lequel repose sur une technologie maitrisée qui a nécessité un revérinage de toute la structure, celle-ci fonctionnant en trois dimensions. Par suite, aucune faute n'est établie à l'encontre de la société Sylva Conseil.
36. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les désordres ne sont pas imputables à la société Bureau Veritas SA, contrôleur technique des travaux.
37. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer la part de responsabilité imputable à la société Woodlam à hauteur de 90 % des préjudices causés à la société AXA France IARD, celle du groupement de sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte à hauteur de 8 % et celle des membres du groupement de maîtrise d'œuvre à hauteur de 2 %.
38. Il est constant qu'aucun des membres de l'équipe de maîtrise d'œuvre ne s'est rendu dans les locaux de la société Woodlam, sous-traitant du groupement titulaire du marché, pour effectuer une vérification de la conformité de la réalisation des charpentes aux documents d'exécution établis par cette même société. Toutefois, il résulte de l'instruction, eu égard notamment au partage des missions entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, que, la responsabilité des visites techniques et du contrôle de la conformité des ouvrages de charpente aux prescriptions techniques incombait, compte tenu des spécificités de ces ouvrages sur lesquels ont porté les désordres constatés, à la société Khephren Ingénierie, bureau d'études chargé de la partie technique des structures du bâtiment à rénover. Dans ces conditions, et alors qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement dans la validation des actes relatifs au contrôle de conformité des ouvrages ou, dans leur participation à ce contrôle, ces deux sociétés sont fondées à être garanties en totalité par la société Khephren Ingénierie de la condamnation in solidum prononcée à leur encontre.
39. Le présent arrêt n'a pas pour effet d'aggraver la situation de la société Bureau Veritas telle qu'elle a été fixée par le jugement attaqué du tribunal administratif de Lille. Par suite, les conclusions d'appel provoqué qui en découlent, formées par cette société, sont irrecevables et doivent être rejetées.
40. Pour les motifs exposés aux points 33 à 39, il y a lieu de condamner la société Woodlam à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de 90 % du montant mis à leur charge, de condamner les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, solidairement l'une de l'autre, à garantir chacune des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Khephren Ingénierie à hauteur de 8 % du montant mis à leur charge et de condamner la société Khephren Ingénierie à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de la totalité de la condamnation mise à leur charge.
41. Les sociétés Entreprise Jacques Delens, Dherte et Woodlam ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité à l'égard des autres participants à la construction de l'ouvrage. Ainsi, leurs conclusions d'appel en garantie dirigées, par voie d'appel provoqué, contre les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Bureau Veritas, Khephren Ingénierie et Sylva Conseil doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité.
42. Les conclusions d'appel provoqué formées par la société Khephren Ingénierie à l'encontre de la société Woodlam à la garantir solidairement des condamnations prononcées à son encontre, qui seraient la conséquence de l'appel en garantie des sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, sont nouvelles en appel et par suite irrecevables. Elles doivent donc être rejetées.
43. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés précédemment et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, il y a lieu de rejeter les autres conclusions d'appel provoqué formées par les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Khephren Ingénierie tendant à être garanties des condamnations prononcées à leur encontre.
44. Il résulte de tout ce qui précède que la société AXA France IARD est seulement fondée à demander la réformation du jugement du 11 juillet 2022 du tribunal administratif de Lille, en ce que les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, solidairement l'une de l'autre, Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement doivent être condamnées in solidum à lui verser la somme de 2 228 962,34 euros toutes taxes comprises, en ce que la société Woodlam doit être condamnée à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de 90 % de cette somme, en ce que les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, solidairement l'une de l'autre, soient condamnées à garantir chacune des sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Khephren Ingénierie à hauteur de 8 % de cette somme et enfin en ce que la société Khephren Ingénierie soit condamnée à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de la totalité de la condamnation mise à leur charge.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
45. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
46. Dès lors que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens, les conclusions de la société AXA France IARD tendant à ce que les dépens soient mis à la charge des autres parties doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, solidairement l'une de l'autre, Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement doivent être condamnées in solidum à verser à la société AXA France IARD la somme de 2 228 962,34 euros toutes taxes comprises.
Article 2 : La société Woodlam est condamnée à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de 90 % du montant de la condamnation prononcée à l'article 1er.
Article 3 : Les sociétés Entreprise Jacques Delens et Dherte, solidairement l'une de l'autre, sont condamnées à garantir les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement et Khephren Ingénierie à hauteur de 8 % du montant de la condamnation prononcée à l'article 1er.
Article 4 : La société Khephren Ingénierie est condamnée à garantir les sociétés Architecture Studio et Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement à hauteur de la totalité de la condamnation prononcée à l'article 1er.
Article 5 : Le jugement du 29 juillet 2022 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties, dont les conclusions tendant au remboursement des frais de procès et des dépens, est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société AXA France IARD, à la société Architecture Studio, à la société Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, à la société Khephren Ingénierie, à la société Entreprise Jacques Delens, à la société Dherte, à la société Woodlam, à la société Sylva Conseil et à la société Bureau Veritas.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : J.-P. BouchutLa présidente de la 3ème chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 22DA01993