Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2023 et un mémoire de production de pièces enregistré le 2 mai 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Innovent, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 19 février 2023 par lequel le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale et de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;
2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;
3°) à titre plus subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de procéder au réexamen de sa demande d'autorisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le motif tiré de l'atteinte au paysage et à la commodité du voisinage n'est pas fondé : il est entaché d'une erreur de droit dans la mesure où le préfet n'a pas caractérisé l'intérêt du site et a pris en compte des parcs éoliens encore en cours d'instruction ; il est entaché de plusieurs erreurs d'appréciation au vu de la nature du paysage concerné par le projet, de l'absence d'impact rédhibitoire sur les lieux de vie, de l'absence d'encerclement des communes, de l'acceptabilité de la densification du parc existant ; il est entaché d'une erreur de fait en d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne les considérations relatives à l'équilibre financier du projet ;
- le motif tiré de l'impact sur les pipistrelles communes est entaché d'erreur d'appréciation au regard de la très faible incidence du projet sur cette espèce de chiroptère et de la suffisance du plan de bridage ; il est entaché d'erreur de droit dans la prise en compte de l'équilibre financier du projet ;
- le motif tiré de l'atteinte à la sécurité publique est entaché d'erreur d'appréciation : le chemin de grande randonnée n° 12 a bien été pris en compte dans l'étude de dangers et les risques de projection de glace sont négligeables.
La requête a été communiquée au préfet de l'Aisne qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 21 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le préfet de l'Aisne à produire des pièces, ce qu'il a fait le 21 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me David Deharbe, représentant la SAS Innovent, qui abandonne à la barre ses conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation ou à fin d'injonction au préfet de délivrer l'autorisation.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Innovent a déposé le 10 juillet 2018 et complété les 5 mars 2019 et 24 novembre 2020 une demande d'autorisation environnementale pour un projet de quatre éoliennes en extension du parc préexistant de Leury, sur les territoires des communes de Crouy et Cuffies dans le département de l'Aisne. Par un arrêté du 19 février 2023, reçu le 28 février 2023, le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale. Par la présente requête, la SAS Innovent demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le défaut de motivation :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / (...) ". Aux termes de l'article L.211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " ;
3. Il résulte de l'instruction que l'arrêté contesté vise l'ensemble des textes dont il fait application, notamment le code de l'environnement, et comporte l'exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le préfet de l'Aisne pour rejeter la demande d'autorisation de construire et exploiter quatre éoliennes sur les territoires des communes de Crouy et Cuffies. Si la société pétitionnaire soutient que la motivation présente un caractère contradictoire, l'appréciation du caractère éventuellement erroné de celle-ci relève de l'examen du bien-fondé de l'arrêté. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne l'erreur de droit :
4. En premier lieu, la société pétitionnaire reproche au préfet de n'avoir pas décrit dans son arrêté de refus l'intérêt des lieux avant de développer sa critique de l'impact du projet sur le paysage.
5. Toutefois, il ne ressort pas de l'arrêté attaqué que le préfet ait fondé son refus sur l'atteinte excessive du projet aux paysages. Ses motifs de refus tiennent à l'augmentation des effets cumulés du projet et d'autres parcs sur le cadre de vie et à l'encerclement des communes. Ils se rattachent ainsi aux inconvénients pour la commodité du voisinage. La circonstance que le préfet n'a pas décrit au préalable l'intérêt des lieux qu'il prend en compte, à savoir les villages de Juvigny, de Chavigny et de Laffaux, la ville de Soissons et le paysage du vallon de Vaux, n'entache pas son arrêté d'erreur de droit. En tout état de cause, il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet s'est référé à des photomontages produits dans l'étude d'impact, ce qui démontre qu'il a apprécié la qualité des lieux dans lesquels le projet s'inscrit.
6. En deuxième lieu, la société requérante reproche au préfet d'avoir tenu compte, pour mesurer les effets cumulés du projet sur le paysage, de projets de parc éolien qui étaient seulement en cours d'instruction à la date de l'arrêté attaqué.
7. Il appartient à l'autorité administrative, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents. Si elle peut, le cas échéant, également tenir compte, pour porter cette appréciation, d'autres projets de parcs éoliens, faisant l'objet d'une instruction concomitante, qu'elle s'apprête à autoriser, elle ne saurait prendre en compte des projets qu'elle a refusés, quand bien même les décisions de refus ne seraient pas devenues définitives.
8. Il résulte de l'instruction qu'à la date du dépôt de la demande d'autorisation présentée par la SAS Innovent le 10 juillet 2018, il n'existait aucun parc éolien ni aucun projet en cours d'instruction à proximité du terrain d'assiette de son projet, hormis celui de Leury à Cuffies, à l'égard duquel elle a apprécié les effets cumulés de son projet. Elle a cependant actualisé en novembre 2020 son étude paysagère pour intégrer dans les photomontages les quatre projets de parc éolien déposés postérieurement à sa demande, à savoir trois projets situés au nord-ouest du projet en litige, celui de Selens-Vézeponin, déposé le 25 novembre 2019, celui des Potentilles, déposé le 9 mars 2020 et celui des Trois Poiriers, déposé le 25 mai 2020 et un projet situé au sud-est du projet en litige, celui des Trois Communes du Plateau en juin 2020.
9. Pour retenir une atteinte excessive à la commodité du voisinage, le préfet s'est référé à certains photomontages produits par la société pétitionnaire dans l'étude paysagère actualisée. En réponse à une mesure d'instruction portant sur les parcs éoliens auxquels il avait entendu se référer dans son arrêté de refus, le préfet de l'Aisne a transmis son arrêté du 19 juillet 2023 portant rejet de la demande d'autorisation présentée par la société Parc éolien de Selens-Vézaponin d'exploiter six aérogénérateurs et deux postes de livraison sur les communes de Selens et Vézaponin, son arrêté du 22 novembre 2024 portant rejet de la demande d'autorisation présentée par la société les Trois Poiriers d'exploiter un parc de six aérogénérateurs sur la commune de Tartiers et les arrêtés du 18 mars 2013 par lesquels le préfet de la Picardie a autorisé la SAS Innovent à construire quatre éoliennes dans le cadre du parc de Leury à Cuffies et lui a refusé la construction de cinq aérogénérateurs dans le même parc. Dès lors que le parc de Leury était autorisé depuis dix ans pour l'exploitation de quatre éoliennes et que les parcs " Trois Poiriers " et " Selens-Vezaponin " n'avaient pas encore été refusés à la date de l'édiction de l'arrêté litigieux mais ne l'ont été respectivement que cinq mois et vingt-et-un mois après celle-ci, le préfet n'a pas commis d'erreur de droit en prenant en compte ces projets de parcs - dont l'instruction était alors concomitante à celle du parc litigieux - dans son appréciation de l'augmentation des effets cumulés sur le cadre de vie et de l'encerclement des communes.
En ce qui concerne l'erreur d'appréciation des motifs de refus :
10. Il résulte de l'arrêté attaqué que pour refuser de délivrer à la SAS Innovent l'autorisation de construire et d'exploiter quatre éoliennes sur les territoires des communes de Crouy et Cuffies, le préfet de l'Aisne, après avoir pris en compte les réponses apportées par la société pétitionnaire à son projet d'arrêté, a retenu quatre principaux motifs de refus. Il s'est fondé, premièrement, sur l'augmentation des effets cumulés du projet et des parcs existants ou en cours d'instruction sur le cadre de vie, sur l'absence de mesure prise pour réduire ces impacts, sur la sous-estimation de l'impact du projet sur l'encerclement des communes et sur l'insuffisance de la justification de la densification du parc, deuxièmement, sur l'impact du projet sur la pipistrelle commune et sur l'insuffisance des mesures de bridage pour éviter son risque de mortalité, troisièmement, sur l'absence de prise en compte d'un chemin rural de randonnée dans l'étude de dangers, quatrièmement, sur l'impact de l'éolienne C4 sur la sécurité publique. A l'appui des deux premiers et du dernier motifs, il a fait état d'un cinquième motif tenant au risque de remise en cause de l'équilibre financier du projet.
S'agissant de l'impact du projet sur la commodité du voisinage :
11. Pour justifier le refus de délivrer une autorisation environnementale, le préfet a indiqué que les photomontages fournis à l'appui de la demande montrent une augmentation des effets cumulés du projet et des parcs existants ou en cours d'instruction sur le cadre de vie pour les villages de Juvigny, de Chavigny et de Laffaux, sur la ville de Soissons et le vallon de Vaux, qu'aucune mesure n'est proposée pour réduire ces impacts, que l'impact du projet sur l'encerclement des communes est sous-estimé et que la justification de la densification du parc est insuffisante.
12. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement dans sa rédaction alors applicable : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...). ". L'article L. 511-1 dispose que : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, (...) soit pour la protection (...) des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments (...). ".
13. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.
14. S'agissant du village de Juvigny, il ressort du photomontage n°6 que trois des quatre éoliennes projetées sont partiellement masquées par plusieurs peupliers, tandis que la quatrième éolienne, C4, se situe derrière une éolienne existante plus grande. Il ressort également des photomontages n°10 et n°11 que le projet est partiellement masqué par des arbres et un massif boisé. Le projet, dont l'impact visuel est limité sur le cadre de vie, s'inscrit ainsi en cohérence avec le parc existant.
15. S'agissant du village de Chavigny, il ressort du photomontage n° 13 que le projet s'inscrit dans la continuité du parc existant, même si les aérogénérateurs apparaissent légèrement plus hauts, tandis qu'il ressort du photomontage n° 14 que depuis le centre du village, les éoliennes sont masquées par les arbres et le bâti existant.
16. S'agissant du village de Laffaux, il résulte du photomontage n° 30 que les éoliennes C1, C2 et C3 sont largement cachées par les arbres autour du village et que l'éolienne C4, qui s'insère à proximité d'une ligne téléphonique aérienne et d'une ligne à haute tension, ne dépasse pas les boisements environnants.
17. S'agissant du vallon de Vaux, il ressort du photomontage n° 16 que le nouveau projet est partiellement masqué par des arbres et se situe dans la continuité du parc existant.
18. Enfin, s'agissant de la ville de Soissons, depuis l'entrée sud via la route départementale n°1, il ressort des photomontages nos 64 et 65 que les éoliennes C1, C2 et C3 sont peu visibles et que l'ensemble des éoliennes, y compris l'éolienne C4 qui apparaît dans l'axe de la route départementale, se fondent dans les éléments anthropiques qui occupent l'espace, à l'instar des lignes électriques ou téléphoniques et des lampadaires, et s'inscrivent dans la continuité du parc existant.
19. Les photomontages produits démontrent ainsi que l'insertion des quatre éoliennes projetées s'inscrit en cohérence avec le parc éolien autorisé de Leury. Le motif de refus tiré de l'augmentation des effets cumulés du projet avec les parcs " existants ou en cours d'instruction " doit donc être écarté.
20. En deuxième lieu, si le préfet reproche à la société de n'avoir proposé aucune mesure pour réduire les impacts sur le paysage, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'impact du projet sur le paysage apparaît limité et que son attention à éviter les zones à trop forte sensibilité paysagère, la configuration spatiale du parc et la teinte blanche des éoliennes sont suffisantes pour assurer l'insertion harmonieuse du projet dans le paysage, sans que des mesures " éviter, réduire, compenser " (ERC) apparaissent nécessaires.
21. En troisième lieu, dès lors que le projet est situé à proximité du parc existant de Leury dont il prévoit l'extension, il évite le mitage de l'espace par les aérogénérateurs. Si cette seule circonstance n'est pas suffisante pour justifier la densification des installations éoliennes, il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette densification est en l'espèce justifiée par le faible impact visuel du projet qui ne crée pas d'effet de saturation visuelle ou d'encerclement.
22. Dans ces conditions, ainsi que le soutient à raison la société requérante, le préfet de l'Aisne qui n'a pas présenté d'écritures en défense, n'était pas fondé à refuser le projet en litige au motif de l'atteinte portée aux paysages et à la commodité du voisinage.
S'agissant de l'impact du projet sur la pipistrelle commune :
23. Pour justifier le refus de délivrer une autorisation environnementale, le préfet a indiqué que la pipistrelle commune, qui fait partie de la liste des mammifères protégés, a une sensibilité générale forte à l'éolien, qu'elle sera l'espèce de chiroptères la plus exposée à un risque de mortalité en raison de ses niveaux d'activité forts au sein des espaces ouverts de l'aire d'étude immédiate, que la mesure de bridage consistant en l'arrêt de chaque éolienne toute l'année, en période nocturne, lorsque la vitesse de vent est inférieure ou égale à 3 mètres par seconde (m/s) n'est pas une mesure de réduction dès lors que le risque est plus important lorsque sa vitesse est supérieure à 3m/s et que le renforcement des mesures de bridage ne peut être imposé sans remettre en cause l'équilibre financier du projet et la capacité financière de la société pétitionnaire.
24. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement (...). ".
25. En premier lieu, l'étude d'impact qualifie le risque d'atteinte à l'état de conservation des populations de pipistrelles communes de " très faible " au regard de leur importance à l'échelle des territoires national et régional. En outre, l'étude écologique révèle une absence de contacts en hauteur pour cette espèce et l'activité enregistrée via les écoutes en continu depuis la nacelle d'une éolienne de Leury n'est que " négligeable ", toutes périodes confondues. Cependant, les risques d'impact direct sur les pipistrelles communes ayant été considérés comme " modérés ", la société pétitionnaire a prévu des mesures d'évitement consistant en l'implantation de l'ensemble des éoliennes à plus de 200 mères des lisières, haies bosquets suivant les recommandations du groupe de travail de l'accord européen dit " A... ", le choix d'un projet d'ampleur limité à quatre éoliennes et à des aérogénérateurs de faible hauteur. Elle a également prévu des mesures de réduction, consistant dans l'absence d'éclairage automatique des portes d'accès aux éoliennes, l'empierrement des plateformes de montage et le bridage des éoliennes. Après l'application de ces mesures d'évitement et de réduction, l'étude conclut que le projet aura des impacts résiduels " très faibles " pour les pipistrelles communes.
26. En deuxième lieu, il ressort de l'avis rendu par la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) le 26 février 2021 que le plan de bridage proposé par la société pétitionnaire est adapté et suffisant pour toutes les éoliennes si tant est que l'éloignement de 200 mètres à partir du bout des pales soit effectif. Cet avis ne formule aucune critique sur la mesure de vitesse du vent retenue pour décider l'arrêt des éoliennes. Dans sa réponse de juillet 2021, la société pétitionnaire a précisé que " la distance entre l'éolienne C1 et la lisière du bois le plus proche (...) est de 260 mètres, soit 200 mètres en plus de la longueur d'une pale " et qu'elle s'engage à respecter le plan de bridage proposé par le bureau d'études, consistant en l'arrêt complet de chaque éolienne, toute l'année, pour des vitesses de vent inférieures ou égales à 3m/s. En outre, il résulte du rapport final du suivi écologique réalisé en octobre 2020 sur le parc éolien de Leury que le bureau d'études en environnement a préconisé " la mise en drapeau des éoliennes par vents faibles ", " idéalement d'avril à fin octobre mais surtout de début août à fin octobre afin de couvrir la période des transits automnaux ", dans la mesure où " les chauves-souris circulent surtout lorsque les conditions météorologiques sont clémentes, c'est-à-dire que les températures sont douces (supérieures ou égales à 10°C), qu'il ne pleut pas et que les vents sont faibles (inférieurs ou égaux à 3 m/s). ". Dans ces conditions, l'affirmation du préfet selon laquelle la probabilité de mortalité la plus élevée pour les pipistrelles communes correspond à une vitesse supérieure à 3m/s apparaît contredite par les pièces du dossier.
27. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le risque pour les pipistrelles communes n'apparaît pas significatif. Le préfet de l'Aisne n'était donc pas fondé à rejeter pour ce motif, dès la phase d'examen, la demande de la société Innovent.
S'agissant de l'incomplétude de l'étude de dangers :
28. Pour justifier le refus de délivrer une autorisation environnementale, le préfet a relevé que le chemin rural de randonnée dit vieux chemin n'avait pas été pris en compte dans l'étude de dangers.
29. Aux termes de l'article L.181-25 du code de l'environnement : " Le demandeur fournit une étude de dangers qui précise les risques auxquels l'installation peut exposer, directement ou indirectement, les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 en cas d'accident, que la cause soit interne ou externe à l'installation. /Le contenu de l'étude de dangers doit être en relation avec l'importance des risques engendrés par l'installation. /En tant que de besoin, cette étude donne lieu à une analyse de risques qui prend en compte la probabilité d'occurrence, la cinétique et la gravité des accidents potentiels selon une méthodologie qu'elle explicite. /Elle définit et justifie les mesures propres à réduire la probabilité et les effets de ces accidents. ".
30. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude de danger ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
31. Il résulte de l'étude de dangers que celle-ci précise que 2 000 mètres de chemins agricoles passent à moins de 500 mètres des éoliennes C1, C2 et C3 et que 1 525 mètres de chemins agricoles passent à moins de 500 mètres de l'éolienne C4. Les cartographies jointes identifient, pour chaque éolienne, les zones de risques par des cercles concentriques, en faisant apparaître la localisation des chemins. Toutefois, l'étude ne précise pas qu'au nombre de ces chemins agricoles figure le chemin rural de randonnée dit vieux chemin, qui correspond au chemin de grande randonnée (GR) n°12, alors même qu'il est représenté sur la carte de la zone d'étude. Aucun élément ne porte sur l'affectation de ce chemin, sa fréquentation et le linéaire concerné, seuls à même de permettre de mesurer les risques encourus localement.
32. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société pétitionnaire a fait réaliser une étude de dangers portant spécifiquement sur ce chemin de randonnée. Si la société ne renseigne pas sur la date de réalisation de cette étude et ne justifie pas l'avoir communiquée au préfet avant l'édiction de l'arrêté attaqué, il y a lieu d'analyser les résultats de celle-ci pour déterminer si la critique relative à l'insuffisante prise en compte du chemin de randonnée dans l'étude de dangers initiale est justifiée.
33. Il résulte de l'étude de dangers spécifique au chemin de randonnée GR12 que la fréquentation du chemin est estimée à deux personnes pour un kilomètre, par tranche de 100 promeneurs par jour en moyenne. Quatre aléas sont pris en compte : la chute d'éléments ou de glace, l'effondrement total de l'éolienne, la projection d'éléments et la projection de glace. Compte tenu de la distance séparant les éoliennes du chemin de randonnée, les deux premiers risques sont exclus. En revanche, les deux autres risques sont considérés comme possibles mais seulement pour l'éolienne C2, avec un risque de gravité " modéré " pour la projection de glace à " sérieux " pour la projection d'éléments, mais à un niveau jugé " acceptable " dans les deux cas, au regard de la faible fréquentation du chemin.
34. L'étude de dangers initiale et générale, comportant la cartographie des risques propres à chaque éolienne, et en particulier à l'éolienne C2 à proximité de laquelle passe le chemin de randonnée dûment représenté, concluait également à un risque " acceptable " du projet en cas de projection de morceaux de glace ou de pale ou de fragment de pale, pouvant notamment toucher les randonneurs passant à moins de 500 mètres des éoliennes, eu égard à la probabilité " rare " que ces événements aient lieu, même si la gravité des accidents serait " modérée " à " sérieuse ". Il ne ressort ainsi pas de l'étude de danger spécifique au chemin de randonnée GR 12 qu'elle apporterait une plus-value par rapport à l'étude de dangers générale initiale. Dans ces conditions, dès lors que l'absence de mention d'un chemin de randonnée à proximité du projet n'a pas été de nature à nuire à la parfaite information du public ni à influer sur le sens de la décision, cette lacune ne saurait justifier le refus opposé par le préfet de l'Aisne.
S'agissant de l'impact du projet sur la sécurité publique :
35. Pour justifier le refus de délivrer une autorisation environnementale, le préfet a relevé, d'une part, que l'éolienne C4 est susceptible d'être à l'origine de projection de glace sur la route départementale (RD) n° 1, sans que la société pétitionnaire ne propose de mesure spécifique, d'autre part, que le terrain d'assiette de cette éolienne était exploité en carrière ce qui est susceptible de générer des désordres géologiques incompatibles avec le projet.
36. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour (...) la sécurité, la salubrité publiques (...). ".
37. D'une part, en se bornant à indiquer que l'éolienne C4 est susceptible d'être à l'origine de projection de glace sur la RD 1, le préfet ne démontre pas en quoi la présence de cette éolienne présenterait un risque significatif pour la sécurité publique. En tout état de cause, il ressort de l'étude de dangers initiale générale que celle-ci a pris en compte le niveau de fréquentation de la RD 1, la longueur du tronçon concerné et la " zone d'effet " spécifique aux risques de projection de glace. Elle a conclu que ces risques restaient " acceptables ", même sans système d'arrêt particulier. Le préfet de l'Aisne ne conteste ni la méthode d'analyse ni les conclusions de l'étude de dangers en ce qui concerne le risque de projection de glace.
38. D'autre part, en se bornant à relever que l'éolienne C4 présente un risque de " désordres géologiques " en raison de la présence ancienne d'une carrière, le préfet ne fait état d'aucun élément précis et circonstancié sur l'existence d'une cavité sous l'emprise ou à proximité de l'éolienne C4 susceptible de caractériser un risque significatif pour la sécurité publique.
39. Dans ces conditions, le préfet n'était pas fondé à refuser le projet en litige au motif de risques pour la sécurité publique générés par l'éolienne C4.
S'agissant de l'impact sur l'équilibre financier du projet :
40. Pour justifier le refus de délivrer une autorisation environnementale, le préfet a relevé dans des considérants intégrés aux quatre motifs principaux de refus que la suppression d'une à deux éoliennes sur quatre, notamment l'éolienne C4, et le renforcement des mesures de bridage risquent de remettre en cause l'équilibre financier du projet par une baisse de production de l'électricité et implicitement la capacité financière et technique du porteur de projet.
41. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie (...). ".
42. Il résulte de ces dispositions du code de l'environnement qu'une demande d'autorisation de création ou de modification d'une installation classée doit, à peine d'illégalité de l'autorisation, permettre à l'autorité administrative compétente d'apprécier la capacité financière du pétitionnaire à assumer l'ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code ainsi que les garanties de toute nature qu'il peut être le cas échéant appelé à constituer à cette fin.
43. Toutefois, d'une part, il n'appartient pas à l'administration d'apprécier l'équilibre financier d'un projet en dehors de l'appréciation des capacités financières de la société pétitionnaire.
44. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les mesures de bridage envisagées par le porteur du projet sont suffisantes pour protéger les chiroptères, et notamment la pipistrelle commune, et que la suppression de l'éolienne C4 n'est pas nécessaire pour éviter des désordres géologiques.
45. Dans ces conditions, ainsi que le soutient à raison la société requérante, le préfet de l'Aisne n'était pas fondé à refuser le projet en litige au motif du risque d'atteinte à l'équilibre financier du projet.
46. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Innovent est fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Aisne a refusé d'autoriser le parc éolien projeté. Par suite, l'arrêté du 19 février 2023 doit être annulé.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
47. La SAS Innovent a abandonné à la barre ses conclusions à fin de délivrance ou d'injonction à l'administration de délivrance de l'autorisation sollicitée. S'il est loisible à la cour de rouvrir l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative, pour communiquer le désistement partiel et en donner acte, il ne s'agit pas d'une obligation mais d'une faculté et elle peut décider de statuer en l'état du dossier sur les conclusions de la demande à la date de clôture de l'instruction.
48. Dans l'intérêt d'une bonne administration et eu égard à la diversité et à la mutabilité des éléments à prendre en considération, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la SAS Innovent tendant à ce que la cour délivre l'autorisation sollicitée ou enjoigne au préfet de l'Aisne de la lui délivrer. Il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de réexaminer, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande présentée par la SAS Innovent, le cas échéant en tenant compte des changements de circonstance que l'instruction n'aurait pas permis de révéler.
Sur les frais liés à l'instance :
49. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SAS Innovent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de l'Aisne du 19 février 2023 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aisne de réexaminer la demande présentée par la SAS Innovent dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la SAS Innovent au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Innovent et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera transmise pour information aux communes de Cuffies et de Crouy, et au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA00752 2