Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) WP France 28 a demandé à la cour, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de l'autoriser à exploiter un parc éolien, composé de trois éoliennes et d'un poste de livraison, situé sur le territoire de la commune de Laires (Pas-de-Calais) et, d'autre part, de lui délivrer l'autorisation sollicitée.
Par un arrêt n° 21DA02828 du 8 décembre 2022, la cour a annulé cet arrêté en tant qu'il a refusé d'autoriser les éoliennes E2 et E3 du projet, a accordé dans cette mesure l'autorisation sollicitée par la SASU WP France 28 et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais d'assortir cette autorisation des prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Procédure devant la cour :
Par une requête en tierce-opposition enregistrée le 1er juin 2023 et des mémoires enregistrés les 17 mai 2024, 16 décembre 2024 et 13 janvier 2025, l'association Assez et M. et Mme B... A..., représentés par Me Monamy, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) de déclarer non avenu cet arrêt du 8 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais pris pour l'exécution de cet arrêt du 8 décembre 2022 ;
3°) de rejeter la requête présentée devant la cour dans l'instance n° 21DA02828 par la SASU WP France 28 contre l'arrêté du 11 octobre 2021 du préfet du Pas-de-Calais ;
4°) en cas de sursis à statuer ou d'annulation partielle de l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais, de suspendre l'exécution de cet arrêté du 6 avril 2023 ;
5°) de mettre à la charge de l'État et de la SASU WP France 28 la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ont qualité pour former tierce opposition contre l'arrêt attaqué et intérêt à agir contre l'arrêté du 6 avril 2023 ;
- l'arrêt attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas établi qu'il ait été signé conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'arrêté du 6 avril 2023 est entaché d'incompétence dès lors qu'il n'est pas justifié que son signataire disposait d'une délégation de signature régulière ;
- le volet écologique de l'étude d'impact est insuffisant ; en effet, le traitement de la biodiversité n'est pas suffisamment proportionné aux enjeux du projet ; l'analyse chiroptérologique de l'état initial n'a comporté aucune campagne d'écoutes en altitude ; parmi les points d'écoutes au sol, un seul est situé dans la zone d'implantation potentielle du projet ; les niveaux des enjeux pour l'avifaune et les chiroptères ont été sous-évalués ;
- l'étude d'impact est également insuffisante s'agissant des impacts prévisibles sur le patrimoine bâti protégé, et en particulier sur le château de Bomy et l'église de Fléchin pour lesquels aucun photomontage pertinent n'a été établi ;
- l'étude d'impact est également insuffisante s'agissant de la localisation du projet et de son impact cumulé avec les autres projets existants ; en effet, contrairement à ce qu'elle retient, le projet s'implante dans une zone identifiée comme défavorable par le schéma régional éolien ; elle n'a pas évalué les indices d'occupation de l'horizon et les indices de densité ; trois parcs éoliens ayant fait l'objet d'un avis de l'autorité environnementale à la date du 30 août 2020 n'ont pas été pris en compte ; les angles de respiration visuelle sont erronés ou volontairement sous-évalués ; les photomontages minimisent sciemment l'impact du projet ;
- le projet méconnaît les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement dès lors que, en dépit de son impact sur différentes espèces d'oiseaux et de chiroptères protégées, aucune dérogation à l'interdiction de la destruction, l'altération ou la dégradation de ces espèces et de leurs habitats n'a été préalablement obtenue ;
- la consultation préalable du ministre de la défense est irrégulière dès lors, d'une part, qu'il n'est pas justifié que le signataire du second avis rendu le 18 décembre 2020 disposait d'une délégation de signature régulière et, d'autre part, que le projet a été ultérieurement modifié ;
- la régularité de la consultation du ministre chargé de l'aviation civile n'est pas davantage établie ;
- la concertation préalable du public n'a pas été réalisée conformément aux stipulations de l'article 6 de la convention d'Aarhus dès lors, d'une part, que ses modalités n'ont pas permis au public d'exercer une influence réelle sur le projet et, d'autre part, qu'elle a eu lieu à une période où celui-ci était déjà entièrement défini ;
- compte tenu des horaires restreints auxquels le dossier était consultable en mairie ou en préfecture, l'enquête publique n'a pas permis une participation effective du public, conformément aux dispositions de l'article R. 123-10 du code de l'environnement, privant celui-ci d'une garantie ;
- le projet, compte tenu de son implantation dans le cône de vue du château de Bomy et de l'effet de surplomb et d'écrasement sur l'église de Fléchin, tous deux classés ou inscrits comme monuments historiques, porte atteinte à la conservation des monuments et méconnaît à ce titre les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement ainsi que l'article 11 du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme de la communauté de communes du canton de Fauquembergues ;
- le projet, compte tenu de l'effet de saturation visuelle et d'encerclement qu'il emporte pour les villages alentours, porte atteinte à la commodité du voisinage et méconnaît également à ce titre les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement ;
- le projet, compte tenu des espèces d'oiseaux protégées présentes en nombre sur sa zone d'implantation, de la sensibilité de celles-ci à l'activité éolienne ainsi que de la sous-estimation des enjeux en présence, porte atteinte à la protection de la nature et méconnaît également à ce titre les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 mars 2024, 8 novembre 2024, 7 janvier 2025 et 20 janvier 2025, la SASU WP France 28, représentée par Me Elfassi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les requérants n'ont ni qualité pour former tierce opposition contre l'arrêt du 8 décembre 2022, ni intérêt à agir contre l'autorisation environnementale délivrée par la cour non plus que contre l'arrêté du 6 avril 2023 fixant les prescriptions ;
- il n'est pas justifié que la présidente de l'association Assez ait qualité pour représenter régulièrement cette dernière en justice ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La requête et les pièces de la procédure ont été communiquées au préfet du Pas-de-Calais qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- les observations de M. et Mme A..., et les observations de Me Durand, représentant la SASU WP France 28.
Une note en délibéré présentée pour la SASU WP France 28 a été enregistrée le 28 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) WP France 28 a présenté, le 30 août 2018, une demande de délivrance d'une autorisation environnementale, complétée le 3 août 2020, pour la réalisation d'un projet consistant, en dernier lieu, en la réalisation d'un parc éolien composé de trois machines représentant une puissance totale de 9,9 MW et d'un poste de livraison situé sur le territoire de la commune de Laires (Pas-de-Calais). Par un arrêté du 11 octobre 2021, le préfet du Pas-de-Calais a refusé l'autorisation environnementale sollicitée. Par l'arrêt n° 21DA02828 du 8 décembre 2022, la cour, sur saisine de la société WP France 28, a annulé cet arrêté en tant qu'il a refusé d'autoriser les éoliennes E2 et E3 du projet, a accordé dans cette mesure l'autorisation sollicitée par la société WP France 28 et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais d'assortir cette autorisation des prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par un arrêté du 6 avril 2023, le préfet du Pas-de-Calais a fixé ces prescriptions. Par leur requête, l'association Assez et M. et Mme A... font tierce opposition à l'arrêt de la cour du 8 décembre 2022 et demandent en outre l'annulation de l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais fixant les prescriptions.
Sur la recevabilité de la requête :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ". Lorsque le juge administratif annule un refus d'autoriser une installation classée et accorde lui-même l'autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions, la voie de la tierce opposition est ouverte contre cette décision. Afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d'exploiter, la voie de la tierce opposition est, dans cette configuration particulière, ouverte aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, sans qu'ils aient à justifier d'un droit lésé. Le tiers peut invoquer à l'appui de sa tierce opposition tout moyen.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date de présentation de la présente requête : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15-1 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 (...) ". Aux termes du I de l'article L. 181-3 du même code : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles (...) L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". Figurent, parmi les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la commodité du voisinage, la santé, la sécurité, et la salubrité publiques, l'agriculture, la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, l'utilisation rationnelle de l'énergie et la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.
En ce qui concerne l'intérêt pour agir de l'association Assez :
4. L'article 2 des statuts de l'association Assez, qui n'était ni présente ni appelée dans l'instance close par l'arrêt attaqué, stipule que cette association a notamment pour but de " défendre l'environnement et de protéger les espaces naturels, le patrimoine bâti, la qualité des paysages, des sites et du patrimoine du département du Pas-de-Calais et plus particulièrement du territoire de la communauté d'agglomération du pays de Saint-Omer ", de " défendre le cadre de vie, l'environnement, la propriété, la tranquillité, la santé et la sécurité des habitants " des mêmes territoires, de " lutter, notamment par toute action en justice, contre les projets et installations de parcs éoliens (...) qui sont incompatibles avec les sites remarquables, paysages, monuments, équilibres biologiques, espèces animales et végétales, et avec la santé et la sécurité des habitants ainsi qu'avec la sécurité et la salubrité publiques " et de " défendre l'application des lois et réglementations territoriales en vigueur ".
5. Ces stipulations définissent avec une précision suffisante l'objet et le périmètre d'action de l'association requérante. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le projet, qui, dans son dernier état, comporte deux éoliennes et un poste de livraison, prend place sur le territoire de la commune de Laires qui est une commune membre de la communauté d'agglomération du pays de Saint-Omer et qui est donc incluse dans le champ géographique d'intervention de l'association. Compte tenu de l'implantation du projet et des incidences qu'il est susceptible d'entraîner sur l'environnement, le paysage, le patrimoine bâti et la commodité du voisinage, l'association justifie d'un intérêt pour agir suffisant pour former tierce opposition contre l'arrêt du 8 décembre 2022 et pour contester l'arrêté du 6 avril 2023 pris par le préfet du Pas-de-Calais en exécution de cet arrêt. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt pour agir de l'association Assez doit être écartée.
En ce qui concerne la qualité pour agir au nom de l'association Assez :
6. Une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ces statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif. Il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. Tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. A ce titre, si le juge doit s'assurer de la réalité de l'habilitation du représentant de l'association qui l'a saisi, lorsque celle-ci est requise par les statuts, il ne lui appartient pas, en revanche, de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles une telle habilitation a été adoptée.
7. Aux termes de l'article 13 des statuts de l'association Assez : " Le conseil d'administration donne pouvoir au président et aux membres du bureau d'agir au nom de l'association dans ses rapports avec la justice, les médias, les administrations. Le président et les membres du bureau sont mandatés, notamment, au nom de l'association, pour mettre en œuvre tous les recours de justice, administrative, civile et pénale nécessaires à la poursuite des buts de l'association. / Le président a la capacité juridique nécessaire pour représenter pleinement la présente association, ainsi que la capacité d'ester en justice au nom de l'association ". Ces stipulations confèrent de plein droit à Mme Farida Floury, présidente de l'association, la qualité pour représenter celle-ci dans la présente instance. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité pour agir de la présidente de l'association Assez au nom de celle-ci doit être écartée.
En ce qui concerne l'intérêt pour agir de M. et Mme A... :
8. Si M. et Mme A... se prévalent de la qualité de riverains du projet pour agir en leur nom personnel contre l'arrêt du 8 décembre 2022 ayant délivré l'autorisation environnementale à la société WP France 28 et contre l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais fixant les prescriptions, il résulte de l'instruction que leur habitation se situe à près de 4 kilomètres du site d'implantation du projet. Ils n'établissent pas que les éoliennes seront visibles depuis celle-ci. Ils n'expliquent pas davantage en quoi l'implantation de ce parc éolien pourrait affecter directement l'exploitation des gîtes dont ils disent être propriétaires. Ils n'invoquent aucun autre danger ou inconvénient auquel le projet serait susceptible de les exposer personnellement. Dans ces conditions M. et Mme A... ne justifient pas d'un intérêt pour agir suffisant pour former tierce opposition contre l'arrêt du 8 décembre 2022 et pour contester l'arrêté du 6 avril 2023 pris par le préfet du Pas-de-Calais en exécution de cet arrêt. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt pour agir de M. et Mme A... doit être accueillie.
9. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée comme irrecevable seulement en tant qu'elle est présentée par M. et Mme A..., en qualité de riverains du projet et en leur nom personnel. Il y a lieu en revanche pour la cour de statuer sur les conclusions de cette même requête en tant qu'elle est présentée pour l'association Assez.
Sur la tierce opposition à l'arrêt de la cour du 8 décembre 2022 et les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais :
En ce qui concerne l'office du juge de plein contentieux :
10. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation, et d'appliquer les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. Lorsqu'il relève que l'autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, le juge peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l'autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l'illégalité constatée, ou faire application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
En ce qui concerne le caractère insuffisant de l'étude d'impact :
11. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " I.- Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / (...) / II.- En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) / 2° Une description du projet (...) / 3° Une description des aspects pertinents de l'état initial de l'environnement, et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport à l'état initial de l'environnement peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; / 4° Une description des facteurs mentionnés au III de l'article L. 122-1 susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet : (...) la biodiversité (...) ; / 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement (...) ". Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
12. Il résulte de l'instruction que la rédaction de l'étude d'impact a été précédée d'une étude écologique par un bureau d'études en environnement. Le volet chiroptérologique de cette étude a donné lieu à des déplacements sur le site d'implantation du projet selon un calendrier couvrant la totalité du cycle biologique des espèces de chiroptères. Les observations ont en effet été réparties sur vingt-et-une nuits différentes, dont six en période de gestation et de transit printanier, cinq en période de mise-bas et d'élevage des jeunes et dix en période de migration et transit automnal. En outre, ces observations ont à chaque fois comporté des écoutes au sols au moyen de détecteurs SM2BAT disposés en cinq points représentatifs des milieux de la zone d'implantation potentielle et de la zone d'étude rapprochée. En revanche, il est constant qu'aucune écoute en altitude n'a été réalisée.
13. Or, il résulte des termes mêmes de l'étude d'impact que, compte tenu de la distance de détectabilité des différentes espèces de chiroptères par les appareils SM2BAT, les seules écoutes réalisées au sol ne permettent pas d'obtenir un résultat représentatif de l'activité chiroptérologique en altitude, et notamment au-delà de trente mètres, c'est-à-dire à l'altitude des rotors des éoliennes projetées et du risque de collision. Par ailleurs, les seules écoutes réalisées au sol ont déjà conduit à identifier des niveaux moyens d'activité globalement soutenus, qualifiés par l'étude d'impact de moyens à forts selon les saisons. Plus de 60 % des contacts enregistrés sont le fait d'espèces de chiroptères dites de haut vol, dont la sensibilité générale à l'éolien est considérée comme moyenne à très forte et qui sont toutes considérées comme étant " quasi-menacées " à l'échelle nationale. Également, l'implantation des deux éoliennes autorisées ne ménagent que de très faibles marges de recul par rapport aux plantations, bosquets ou haies les plus proches, lesquels constituent des milieux attractifs pour les chiroptères. Ainsi, le mât de l'éolienne E2 est situé à seulement 55 mètres d'une plantation de feuillus et à 110 mètres d'une haie. Le mât de l'éolienne E3 est, quant à lui, situé à 135 mètres d'une plantation de feuillus, à 140 mètres d'un bosquet de feuillus et à 240 mètres d'une haie. L'étude d'impact conclut d'ailleurs que les deux éoliennes sont implantées dans des secteurs à enjeux chiroptérologiques moyens à forts.
14. Compte tenu des niveaux d'activités ainsi révélés par les écoutes réalisées au sol, des enjeux de protection pour les espèces observées sur le site et de la proximité de milieux attractifs pour les chiroptères, l'absence de réalisation d'écoutes en altitude, ainsi que la mission régionale d'autorité environnementale l'a d'ailleurs fait observer dans son avis du 1er décembre 2020, a privé la société pétitionnaire de résultats suffisamment représentatifs de l'activité chiroptérologique au niveau des rotors des éoliennes projetées et, par suite, l'étude d'impact doit être regardée comme ne comportant pas une description suffisante des aspects pertinents de l'état initial de l'environnement au sens des dispositions précitées du 3° du II de l'article R. 122-5 du code de l'environnement. La connaissance insuffisante de l'activité chiroptérologique à hauteur des rotors des éoliennes projetées est de nature à avoir exercé une influence non seulement sur la conception même du projet, notamment sur le choix de l'implantation des machines, la détermination de leurs caractéristiques techniques et la définition des mesures d'évitement et de réduction, mais également sur l'appréciation de la nécessité de solliciter ou non une dérogation aux interdictions de destruction des espèces protégées énoncées à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. La société WP France 28 ne peut donc utilement se prévaloir des prescriptions tenant à la limitation à deux du nombre de machines, à la réduction à 90 mètres maximum du diamètre des rotors ou à la mise en place d'un plan de bridage préventif dès lors que l'insuffisance des inventaires ne permet pas davantage d'apprécier la pertinence de ces mesures ou leur efficacité. Dans ces conditions, l'insuffisance des inventaires chiroptérologiques et, par suite, de l'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation environnementale a été de nature de nuire à l'information complète du public et à exercer une influence sur la décision contestée.
15. Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé par l'association Assez et tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation environnementale, doit être accueilli.
En ce qui concerne l'atteinte à la commodité du voisinage et la méconnaissance des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement :
16. Le phénomène de saturation visuelle qu'est susceptible de générer un projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il appartient à l'autorité administrative et au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents. S'ils peuvent, le cas échéant, également tenir compte, pour porter cette appréciation, d'autres projets de parcs éoliens, faisant l'objet d'une instruction concomitante, qu'ils s'apprêtent à autoriser, ils ne sauraient prendre en compte des projets qu'ils ont refusés, quand bien même les décisions de refus ne seraient pas devenues définitives.
17. Il résulte de l'instruction que le projet s'implante dans un secteur déjà très fortement marqué par l'activité éolienne puisqu'une cinquantaine d'éoliennes existantes ou autorisées au jour du présent arrêt sont présentes dans un rayon de 5 kilomètres. L'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation environnementale ainsi que l'étude paysagère complémentaire produite par la société WP France 28 en réponse au projet d'arrêté de refus transmis par le préfet du Pas-de-Calais retiennent elles-mêmes que les seuils d'alerte des indices d'encerclement et de saturation sont dépassés pour quasiment toutes les localités situées dans un rayon de 5 kilomètres autour du projet. Ainsi en va-t-il en particulier pour le bourg de la commune de Laires, commune d'implantation du projet, depuis lequel le cumul des angles d'occupation de l'horizon par l'activité éolienne distante de moins de 5 kilomètres atteint, avant même la prise en compte du projet litigieux, 300°. L'angle de respiration maximal y est, quant à lui, limité à 45° et la densité des horizons occupés s'y établit à 0,16. Il en va de même pour le bourg de la commune voisine de Beaumetz-les-Aire depuis lequel l'angle de respiration maximal est de seulement 45° dans un rayon de 5 kilomètres. Quant au hameau de Livossart, situé sur la commune de Febvin-Palfart, la société WP France 28, qui ne l'a pas même pris en compte dans le cadre de son étude d'impact, n'apporte aucun élément de nature à contredire l'évaluation de l'angle de respiration maximal produite par l'association requérante dans le cadre de la présente instance et qui s'établit à 13° dans un rayon de 10 kilomètres.
18. Contrairement à ce que fait valoir la société WP France 28, il résulte de l'instruction, notamment des différents photomontages joints au dossier de demande d'autorisation environnementale ainsi que des photographies et vidéographies produites par l'association requérante dans le cadre de la présente instance, que l'effet d'encerclement et de saturation que subissent les bourgs et hameaux des communes situés aux abords du site d'implantation du projet est prégnant non seulement au niveau de leurs entrées et de leurs lisières mais également depuis le cœur même de ceux-ci. Il en va en particulier ainsi dans les bourgs et villages ruraux situés sur le même plan que le site du projet, sur un plateau agricole, où le couvert végétal et le bâti relativement lâche ménagent de nombreuses trouées sur les espaces alentours ainsi que des vues directes. Il en résulte, pour les habitants de ces secteurs, une omniprésence de l'activité éolienne qui se manifeste, sinon directement depuis leurs habitations, à tout le moins à l'occasion de tous leurs déplacements quotidiens vers l'extérieur de leurs villages ou à l'intérieur même de ceux-ci. En outre, le projet autorisé, fût-il limité à deux machines, accentue davantage la situation d'encerclement et de saturation en consommant, pour plusieurs communes, des angles de respiration, notamment à Laires et à Beaumetz-les-Aires. Les angles de respiration maximaux y tomberaient ainsi respectivement à 35° et 25° dans un rayon de 5 kilomètres. Le projet a également pour effet d'augmenter la densité de machines dans le secteur. Il impacte aussi directement les entrées nord des bourgs des deux communes précitées ainsi que celles du hameau de Livossart alors que l'activité éolienne y était encore peu perceptible.
19. Il résulte de ce qui précède que le projet contesté est de nature à occasionner des inconvénients disproportionnés pour la commodité du voisinage, inconvénients que les mesures envisagées par la société pétitionnaire, tenant à la réalisation de plantations écrans chez les riverains demandeurs ou au niveau des entrées de ville, ne sont pas de nature à éviter ou à réduire efficacement. Il s'ensuit que le projet doit être regardé comme méconnaissant à ce titre les dispositions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement. Le moyen soulevé en ce sens par l'association Assez doit, dès lors, être accueilli.
20. Le vice tenant à la régularité de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale présentée par la société WP France 28, retenu par le présent arrêt, est de nature à avoir influé non seulement sur la conception du projet dans son ensemble, notamment sur le choix de l'implantation des machines, sur la détermination de leurs caractéristiques techniques ainsi que sur la définition des mesures d'évitement et de réduction, mais également sur l'appréciation de sa faisabilité. En outre, le vice tenant à la méconnaissance des dispositions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, retenu par le présent arrêt, fait obstacle à la réalisation de tout projet du même type sur le site d'implantation envisagé ou à ses abords immédiats. Il s'ensuit que le projet contesté et, par suite, l'autorisation environnementale délivrée pour permettre sa réalisation ne présentent pas de caractère régularisable. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que l'association requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'arrêt attaqué du 8 décembre 2022, la cour a partiellement annulé l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé la délivrance de l'autorisation environnementale sollicitée par la société WP France 28 et a délivré cette même autorisation au titre des éoliennes E2 et E3 projetées. Dès lors, il y a lieu de déclarer cet arrêt du 8 décembre 2022 non avenu et de rejeter la requête de la société WP France 28 enregistrée sous le n° 21DA02828. Par voie de conséquence, il y a lieu d'annuler l'arrêté du 6 avril 2023 du préfet du Pas-de-Calais pris pour son exécution.
Sur les frais liés au litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association requérante, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société WP France 28, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de celle-ci une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'association requérante et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La tierce opposition formée par l'association Assez est admise.
Article 2 : L'arrêt de la cour n° 21DA02828 en date du 8 décembre 2022 est déclaré non avenu.
Article 3 : La requête de la société WP France 28, enregistrée sous le n° 21DA02828, est rejetée.
Article 4 : L'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 6 avril 2023 est annulé.
Article 5 : La société WP France 28 versera à l'association Assez une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Assez, à M. et Mme B... A..., à la société par actions simplifiée unipersonnelle WP France 28, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 25 mars 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01000