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02/04/2025 | FRANCE | N°24DA01178

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2025, 24DA01178


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 13 mars 2024 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2402663 du 22 mars 2024, la magistrate désignée par

le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 13 mars 2024 en tant qu'il a interdi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 13 mars 2024 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2402663 du 22 mars 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 13 mars 2024 en tant qu'il a interdit le retour de M. D... sur le territoire français et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cour d'annuler ce jugement du 22 mars 2024 et de rejeter les conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision lui interdisant le retour sur le territoire français.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- il a pu décider d'interdire le retour de M. D... pour une durée de trois ans sans méconnaître les dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'intéressé représente une menace pour l'ordre public, qu'il est en situation irrégulière et qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement ;

- la décision contestée est suffisamment motivée ;

- elle a été précédée d'un examen de la situation de M. D... ;

- elle ne méconnaît par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle ne méconnaît par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant tunisien né le 26 mars 1992, a été interpellé le 12 mars 2024 après avoir été mis en cause pour des faits de vol sur la voie publique. Par un arrêté du 13 mars 2024, le préfet du Nord a obligé M. D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 22 mars 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il interdit le retour de M. D... sur le territoire français.

Sur le moyen retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré en France accompagné de ses parents, de ses frères et de sa sœur au cours de l'année 2007, alors qu'il était âgé de quinze ans, et a bénéficié d'un titre de séjour valable du 2 juillet 2009 au 1er juillet 2010, puis d'une carte de résident valable du 2 juillet 2010 au 1er juillet 2020. Toutefois, si M. D... justifie ainsi résider sur le territoire français depuis plus de quinze ans, pour l'essentiel en situation régulière, il ressort de la copie de son bulletin n° 2 de son casier judiciaire et de la fiche pénale produite devant le premier juge qu'il a été condamné à dix-huit reprises par les tribunaux correctionnels de Blois, Dunkerque, Lille, Lyon et Reims entre 2016 et 2022, pour des faits de vol, destruction de biens, recel de biens issus de vols, conduite sous l'emprise de stupéfiant et conduite d'un véhicule sans permis et sans assurance, et a été incarcéré à plusieurs reprises, en dernier lieu pour une période de dix mois à compter de mars 2023. M. D... ne justifie pas avoir effectué des démarches afin d'obtenir le renouvellement de son titre de séjour et se maintient sur le territoire français en situation irrégulière depuis plusieurs années. Si M. D... est le père de trois enfants mineurs de nationalité française, il ressort de ses déclarations devant le premier juge que ses fils ont été confiés en 2019 au service de l'aide sociale à l'enfance, à la suite d'une période d'incarcération et du départ de leur mère. L'intéressé, qui indique s'être rapproché en mars 2023, au terme d'une période de détention, de la juge des enfants en charge du suivi de ses fils, ne produit aucun élément de nature à établir qu'il aurait conservé des liens avec ces derniers, ni même que sa présence auprès d'eux serait nécessaire, alors qu'ils n'ont pas vu leur père pendant de longues périodes du fait de ses incarcérations. M. D... ne démontre pas qu'il entretiendrait des liens d'une particulière intensité avec sa mère, ses frères et sa sœur, qui résident régulièrement sur le territoire français. Il ne produit aucun élément attestant de la réalité de son activité professionnelle, déclarée à compter du 23 octobre 2014, comme entrepreneur individuel proposant des travaux de peinture et de vitrerie. Enfin, M. D... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, par un arrêté du préfet du Nord du 25 janvier 2023. Dans ces conditions, tenant compte de la circonstance que l'intéressé a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement, de la nature de ses liens avec la France et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français, l'autorité administrative n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en dépit de l'ancienneté de résidence dont il justifie sur le territoire français, en lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une période de trois ans.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il pouvait légalement décider d'interdire le retour de M. D... sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de l'interdiction de retour :

5. En premier lieu, par un arrêté du 5 février 2024, publié le même jour au recueil spécial n° 2024-064 des actes de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme C... B..., adjointe à la cheffe du bureau de lutte contre l'immigration irrégulière, à l'effet de signer, notamment, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cette décision manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, l'arrêté contesté vise les dispositions applicables de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne les considérations de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour interdire le retour de M. D... sur le territoire français, attestant de la prise en compte par l'autorité administrative de l'ensemble des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du même code. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté.

7. En troisième lieu, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité. Par suite, M. D... ne saurait utilement soutenir que la décision contestée ne lui a pas été notifiée dans une langue qu'il comprend.

8. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les moyens tirés d'une méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 13 mars 2024 en tant qu'il interdit le retour de M. D... pendant une période de trois ans.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille n° 2402663 du 22 mars 2024 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mars 2024 en tant que cet arrêté lui interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 24DA01178


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01178
Date de la décision : 02/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Malfoy
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-02;24da01178 ?
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