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02/04/2025 | FRANCE | N°23DA00424

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2025, 23DA00424


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Missenard Quint B a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement la société Pyrrhus conceptions et la société ACME à lui verser une somme de 166 605,94 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'incendie ayant eu lieu le 19 décembre 2012 sur le chantier de transformation de la salle des fêtes de la commune de Roye.



Par un jugement n° 2102495 du 30 décembre 2022, le tribunal administr

atif d'Amiens a condamné la société ACME à verser la somme de 47 270 euros à la société Missenard Qu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Missenard Quint B a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement la société Pyrrhus conceptions et la société ACME à lui verser une somme de 166 605,94 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'incendie ayant eu lieu le 19 décembre 2012 sur le chantier de transformation de la salle des fêtes de la commune de Roye.

Par un jugement n° 2102495 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la société ACME à verser la somme de 47 270 euros à la société Missenard Quint B et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de celle-ci.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 mars 2023 et le 22 mars 2024, la société Missenard Quint B, représentée par Me Lorthiois, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 30 décembre 2022 ;

2°) de condamner solidairement la société Pyrrhus conceptions et la société ACME à lui verser une somme de 166 605,94 euros hors taxes en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre les dépens à la charge solidaire de la société Pyrrhus conceptions et de la société ACME, ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société ACME, sous-traitante de la société Pyrrhus conceptions, a commis une faute à l'origine de l'incendie survenu le 19 décembre 2012 sur le chantier de transformation de la salle des fêtes de la commune de Roye, de nature à engager sa responsabilité ;

- la responsabilité de la société Pyrrhus conceptions est engagée en raison des manquements imputables à son sous-traitant, résultant du non-respect des règles de l'art, de l'absence de production d'une attestation d'assurance et de l'absence d'agrément ;

- la société Pyrrhus conceptions a manqué à son obligation de surveillance et de coordination des actions de son sous-traitant, a omis de vérifier le caractère réel et suffisant de l'assurance souscrite par son sous-traitant au regard des prestations confiées à celui-ci, et n'a pas demandé l'agrément du sous-traitant faisant ainsi obstacle au contrôle de son intervention sur le chantier ;

- elle est fondée à rechercher la responsabilité de la société Pyrrhus conceptions en raison de l'exécution défectueuse de son contrat ;

- les travaux de reprise rendus nécessaires par l'incendie doivent être évalués à la somme totale de 64 809,32 euros hors taxes ;

- elle a encore exposé des frais supplémentaires résultant de l'emploi de personnels sans contrepartie financière, pour un montant de 71 167,80 euros hors taxes ;

- elle doit apporter sa garantie pour les appareils situés à proximité de l'incendie et maintenus en place, pour lesquels les fabricants n'accordent plus leur propre garantie, correspondant à un préjudice évalué à 30 628,82 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2023, la société BCM, administrateur judiciaire, et la société François Carlo, mandataire judicaire, agissant pour le compte de la société Pyrrhus conceptions, représentées par la SCP Lebègue Derbise, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, de limiter le montant des réparations à la somme de 47 270 euros hors taxes et de condamner la société ACME à garantir la société Pyrrhus conceptions de toute condamnation prononcée à son encontre.

Elles soutiennent que :

- une entreprise principale n'est pas responsable envers les tiers des dommages causés par son sous-traitant ;

- l'absence de déclaration et d'agrément de la société ACME est sans lien avec le préjudice invoqué ;

- tous les intervenants sur le chantier, notamment le maître d'œuvre, le coordonnateur de sécurité et de protection de la santé et le contrôleur technique, avaient connaissance de l'intervention de son sous-traitant ;

- le sinistre est imputable à la seule action de la société ACME, qu'elle n'était pas en mesure de prévenir ;

- elle n'était pas tenue d'assurer la surveillance de son sous-traitant dont l'action a été qualifiée d'imprévisible par l'expert judiciaire ;

- la faute invoquée se rapportant aux conditions d'assurance de la société ACME n'est pas établie dès lors que cette société était assurée au titre de sa responsabilité civile professionnelle, que le contrat d'assurance inclut la garantie des prestations effectuées chez des tiers, et que le refus de garantie opposé par l'assureur est contesté devant le juge judiciaire ;

- le dommage est entièrement imputable à la société ACME, de sorte que celle-ci doit être appelée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

- les postes de préjudice se rapportant aux reprises du réseau gaine et aux émetteurs de chaleur froid ne sont pas établis ;

- il n'est pas établi que la société requérante a été appelée à garantir les appareils maintenus en place après l'incendie ;

- les pertes de production et d'encadrement ne sont pas justifiées ;

- les frais de réparation induits par l'incendie ont été évalués à la somme de 47 270 euros hors taxes par l'architecte de l'opération.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,

- et les observations de Me Badin, représentant la société Missenard Quint B.

Considérant ce qui suit :

1. Au cours de l'année 2009, la commune de Roye (Somme) a engagé une opération de transformation de sa salle des fêtes, visant à créer un théâtre et des salles polyvalentes. La commune a confié les travaux du lot " chauffage, climatisation, ventilation " à la société Missenard Quint B et le lot " ossature façade boîte " à la société Pyrrhus conceptions, laquelle a sous-traité à la société ACME les travaux de conception, de fourniture et de montage de boîtes destinées à recouvrir la façade du bâtiment, et composées notamment de panneaux de résine, d'un isolant et d'une couche d'étanchéité. Le 19 décembre 2012, un incendie s'est déclaré sur le chantier qui a détruit notamment les travaux exécutés ou en cours d'exécution de la société Missenard Quint B. A la demande de sociétés tierces ayant participé au chantier et de leurs assureurs, le président du tribunal de grande instance d'Amiens a ordonné, le 27 février 2013, une expertise portant sur l'origine de l'incendie. Au vu des conclusions du rapport d'expertise remis le 4 mai 2015, la société Missenard Quint B, qui a supporté une partie des travaux de reprise, réceptionnés le 23 octobre 2016, a saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une demande tendant à la condamnation solidaire de la société Pyrrhus conceptions et de son sous-traitant, la société ACME, à lui verser la somme totale de 166 605,94 euros hors taxes. Par un jugement du 30 décembre 2022, le tribunal administratif a condamné la seule société ACME à verser la somme de 47 270 euros à la société Missenard Quint B et a rejeté le surplus de ses conclusions. Celle-ci relève appel de ce jugement en réitérant ses conclusions présentées en première instance. La société Pyrrhus conceptions conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la société ACME la garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

3. D'après les constatations de l'expert judiciaire désigné par le tribunal de grande instance d'Amiens, l'incendie du 19 décembre 2012 trouve son origine dans l'utilisation, par un employé de la société ACME, d'un décapeur thermique afin de sécher superficiellement les panneaux posés en façade du bâtiment et de procéder au collage d'une bande de toile de verre destinée à joindre les panneaux entre eux. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que l'usage de ce décapeur thermique sur des panneaux composés de matériaux très inflammables était contraire aux règles de l'art, ce que ne pouvait méconnaître un professionnel spécialisé dans l'utilisation de tels matériaux. La responsabilité quasi-délictuelle de la société ACME, retenue par les premiers juges à raison de la faute commise par son employé, n'est contestée par aucune des parties en appel.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Pyrrhus conceptions :

4. En premier lieu, il appartient à la société Missenard Quint B, qui recherche la responsabilité de la société Pyrrhus conceptions avec laquelle elle n'est liée par aucun contrat, de démontrer une faute de cette société, le cas échéant dans l'exécution du contrat conclu par

celle-ci avec le maître d'ouvrage. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la société Pyrrhus conceptions est engagée du seul fait de sa qualité de donneur d'ordres, à raison des fautes commises par son sous-traitant.

5. En deuxième lieu, s'il appartenait à la société Pyrrhus conceptions, en sa qualité de donneur d'ordre, de s'assurer que la société ACME effectue les travaux sous-traités dans les règles de l'art, une telle obligation ne lui imposait pas de procéder à une surveillance permanente des travaux réalisés par son sous-traitant, spécialisé dans la fabrication et la pose de panneaux isolants en résine. Le déclenchement de l'incendie résulte de l'utilisation malencontreuse, par un préposé de la société ACME, d'un décapeur thermique dans des conditions contraires à son usage habituel, de sorte que la société Missenard Quint B ne saurait utilement reprocher à la société Pyrrhus conceptions d'avoir omis de solliciter un permis de feu pour cet outil.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la société ACME disposait d'un contrat d'assurance auprès de la société Allianz lorsque la société Pyrrhus conceptions lui a sous-traité une partie des travaux, et couvrant les dommages susceptibles de mettre en cause sa responsabilité civile professionnelle. Si, devant le juge judiciaire, l'assureur de la société ACME conteste devoir apporter sa garantie pour les dommages résultant de l'incendie du 19 décembre 2012 au motif que le contrat d'assurance ne couvrirait que les opérations de fabrication, cette circonstance n'est pas de nature à établir une négligence de la société Pyrrhus conceptions dans la vérification des conditions d'assurance de son sous-traitant, alors en outre que le refus d'assurance opposé par la société Allianz est vivement contesté par l'assureur de la société Pyrrhus conceptions.

7. En dernier lieu, si la société Pyrrhus conceptions a omis de déclarer son sous-traitant au maître d'ouvrage, cette carence fautive ne présente pas un lien de causalité direct avec le préjudice invoqué, qui résulte de l'initiative prise par un préposé de la société ACME d'utiliser un décapeur thermique dans des conditions non professionnelles. Par ailleurs, le plan particulier de sécurité et de protection de la santé a notamment pour objet, en application de l'article R. 4532-64 du code du travail, de décrire les travaux et les processus de travail de l'entreprise pouvant présenter des risques pour la santé et la sécurité des autres intervenants sur le chantier, et de mentionner les dispositions à prendre pour prévenir les risques pour la santé et la sécurité que peuvent encourir les travailleurs de l'entreprise lors de l'exécution de ses propres travaux. Dès lors, à supposer que, faute d'avoir été déclarée, la société ACME n'a pas été prise en compte dans le plan particulier de sécurité et de protection de la santé, cette circonstance est également sans lien avec l'incendie du 19 décembre 2012 qui résulte de travaux réalisés en méconnaissance des règles de l'art, qui n'avaient donc pas vocation à figurer dans ce plan. Au demeurant, il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre, en contact avec la société ACME pour la mise au point de la conception et de l'exécution des panneaux, avait connaissance de l'intervention de cette société, qui participait aux rendez-vous de chantier.

En ce qui concerne le montant des préjudices :

8. En premier lieu, si l'expert judiciaire n'a pas évalué les dommages subis à la suite de l'incendie du 19 décembre 2012 par la société Missenard Quint B, qui n'était pas présente aux opérations d'expertise, il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre a procédé à ce chiffrage dans un procès-verbal établi le 9 janvier 2014 retenant un montant total de 47 270 euros pour la dépose, la conservation et la repose des émetteurs de chaleur et de froid, la dépose et l'évacuation de réseaux de gaines, la mise en place de nouvelles gaines d'amené d'air, la dépose de clapets coupe-feu, la fourniture et la pose de nouveaux clapets, leur raccordement électrique, ainsi que la dépose et l'évacuation de pièges à son et leur remplacement par de nouveaux équipements. La société Missenard Quint B réclame une somme de 64 809,32 euros pour la repose de blocs de climatisation, de gaines de ventilation et de pièges à son, ainsi que pour le remplacement d'émetteurs de chaleur et de froid, en se bornant à renvoyer à des devis et à des factures sans démontrer que le maître d'œuvre aurait omis de prendre en compte certains travaux de reprise ou les aurait sous-évalués. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation de ses travaux supplémentaires consécutifs à l'incendie en lui accordant la somme de 47 270 euros.

9. En deuxième lieu, la société Missenard Quint B n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments justifiant de dépenses supplémentaires de personnel exposées, pour un montant de 71 167,80 euros, en raison de l'incendie du 19 décembre 2012. A cet égard, si elle soutient que ce poste de préjudice a été retenu par l'expert judiciaire pour d'autres entreprises intervenant sur le chantier, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas allégué que le maître d'œuvre aurait exclu les frais de personnel de son chiffrage du 9 janvier 2014.

10. En dernier lieu, la société Missenard Quint B, qui se borne à renvoyer sur ce point à un devis établi le 8 mars 2017, n'établit pas avoir subi un préjudice en apportant sa garantie pour des appareils qu'elle a installés et maintenus en place après l'incendie, pour un montant de 30 628,82 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Missenard Quint B n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la seule société ACM à réparer ses préjudices pour un montant que les premiers juges ont limité à la somme de 47 270 euros.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Pyrrhus conceptions, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la société Missenard Quint B demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Missenard Quint B la somme de 2 000 euros dont la société Pyrrhus conceptions demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Missenard Quint B est rejetée.

Article 2 : La société Missenard Quint B versera une somme de 2 000 euros à la société Pyrrhus conceptions sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Missenard Quint B, à la société Pyrrhus conceptions, à Me Ancel pour la société ACME, à la société BCM et à la société François Carlo.

Délibéré après l'audience publique du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de la Somme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA00424


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00424
Date de la décision : 02/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Malfoy
Avocat(s) : SCP LEBEGUE DERBISE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-02;23da00424 ?
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