Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2304046 du 12 janvier 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2024, M. B... A..., représenté par Me Souty, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Rouen ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 21 septembre 2023 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui remettre une autorisation provisoire de séjour, de réexaminer sa situation et d'effacer les fiches SIS et FPR le concernant, dans un délai d'un mois suivant l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 440 euros à son avocat au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à lui verser au titre des dispositions de ce dernier article.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'erreurs de droit ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- son droit d'être entendu préalablement à l'édiction de la décision attaquée a été méconnu ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen personnalisé de sa situation ;
- il remplit les conditions pour bénéficier du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne peut pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-2 du même code ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'article L. 611-3 est inapplicable dès lors qu'il détient la citoyenneté européenne ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de circulation pour une durée de trois ans est disproportionnée compte tenu de ses attaches familiales en France et du fait qu'il a fait l'objet d'une même mesure en 2021.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués au préfet de la Seine-Maritime qui n'a pas produit de mémoire.
M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 14 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant portugais né le 6 novembre 1990 a fait l'objet d'un arrêté du 21 septembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Il relève appel du jugement du 12 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit doit être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 21 septembre 2023 doit être écarté par adoption des motifs retenus au point 4 du jugement du 12 janvier 2024.
4. En deuxième lieu, le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en exécution de cette obligation, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Il résulte cependant de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
5. En l'espèce, à supposer même que M. B... A... n'ait pas été mis à même de présenter des observations avant que ne soit édicté l'arrêté contesté, le requérant n'apporte aucune précision sur les éléments qu'il n'aurait pas été mis en mesure de présenter au préfet de la Seine-Maritime dans ce cadre et qui auraient pu influer sur le sens des décisions attaquées. Il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime aurait effectivement privé l'intéressé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent. Le moyen doit, par suite, être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 234-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une absence du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives fait perdre à son titulaire le bénéfice du droit au séjour permanent. ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ". Aux termes de l'article L. 251-2 dudit code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1. ".
7. Il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du 20 août 2021, le préfet de l'Eure a obligé M. B... A... à quitter le territoire français et que l'intéressé a été effectivement reconduit au Portugal le 9 octobre 2021 après le rejet, par un jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 28 septembre 2021, de la requête de l'appelant tendant à l'annulation de cet arrêté. Si, postérieurement à cet éloignement, M. B... A... est de nouveau entré sur le territoire français à une date qu'il ne précise pas, il ne peut pas être regardé, à la date de l'arrêté attaqué du 21 septembre 2023, comme résidant en France de façon légale et ininterrompue depuis cinq ans et ne peut dès lors pas se prévaloir d'un droit au séjour permanent faisant obstacle à l'édiction d'une obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 6 doit être écarté.
8. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen personnalisé de sa situation.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 253-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Outre les dispositions du présent titre, sont également applicables aux étrangers dont la situation est régie par le présent livre les dispositions de l'article L. 611-3 (...) ". Aux termes de l'article L. 610-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " Conformément à l'article L. 253-1, les dispositions de l'article L. 611-3 (...) sont applicables à l'étranger dont la situation est régie par le livre II. ". Aux termes de l'article L. 611-3 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
10. Ainsi qu'il a été dit au point 7, M. B... A... a, le 9 octobre 2021, été effectivement reconduit au Portugal et a donc quitté la France avant d'y revenir à une date indéterminée. Dans ces conditions, il ne peut être regardé comme y résidant habituellement depuis l'âge de treize ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
11. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
12. Il ressort des pièces du dossier que si M. B... A... est arrivé pour la première fois sur le territoire français à l'âge de 10 ans, il a toutefois fait, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'objet d'une mesure d'éloignement le 21 août 2021 et n'est de nouveau entré en France que de manière récente à la date de l'arrêté attaqué. L'intéressé fait valoir que l'essentiel de ses attaches familiales s'y situe, qu'il est le père de trois enfants et qu'il vit en concubinage avec une ressortissante française. Toutefois, il n'est pas établi que l'appelant participe de manière effective à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, qu'il n'a par ailleurs pas reconnus. L'intéressé a en outre été condamné à vingt-et-une reprises en 2008 et 2022 pour des faits, notamment d'outrage, de menace de mort et de violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique, de vols en récidive, de transport et cession non autorisée de stupéfiants en récidive, d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire en récidive, d'extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, de délit de fuite et de menace de mort réitérée à l'égard de sa conjointe. Compte tenu de la gravité de ces infractions, le comportement de l'intéressé constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Ainsi, et en dépit de la durée des séjours de M. B... A... sur le territoire national et de la nature et de l'ancienneté de ses liens en France, l'obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du 21 septembre 2023 n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Dans ces circonstances, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni n'a entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... A....
13. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A... a fait l'objet d'une précédente décision d'interdiction de circulation pour une durée de trois années par arrêté du préfet de l'Eure du 20 août 2021 et que l'intéressé, reconduit dans son pays d'origine le 9 octobre 2021 ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'a pas respecté la durée de cette interdiction. Pour autant, l'interdiction de circulation pour une durée de trois années contenue dans l'arrêté attaqué du 21 septembre 2023 ne constitue pas une prolongation de la décision du 20 août 2021. Dès lors, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la durée de cette interdiction de circulation aurait été prolongée jusqu'à une durée de six années, en méconnaissance de la limite de trois années fixée par les dispositions précitées de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, ce moyen doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte, tendant au renvoi du dossier au tribunal administratif de Rouen, et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Souty.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00721