Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la nullité de l'acte de poursuites du 8 avril 2022 par lequel la direction des créances spéciales du Trésor a sollicité des autorités hongroises la prise de mesures conservatoires pour avoir paiement de la somme de 424 946 euros et d'ordonner la mainlevée de ces saisies provisoires.
Par une ordonnance n° 2400141 du 29 janvier 2024, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2024, M. B..., représenté par le cabinet Laurant Michaud Duceux, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de prononcer la nullité des poursuites engagées à son encontre le 8 avril 2022 par la direction des créances spéciales du Trésor auprès des autorités hongroises et d'ordonner la mainlevée de ces saisies provisoires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la contestation de saisies conservatoires entant dans le champ de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, c'est à tort que le premier juge a estimé que sa demande était irrecevable ;
- c'est à tort que l'administration a indiqué, dans la demande d'assistance contestée, que les créances faisaient l'objet d'un titre exécutoire ;
- l'administration a omis de joindre à sa demande la déclaration obligatoire certifiant que les conditions légales sont remplies ;
- l'administration n'a pas joint le document lui permettant de prendre des mesures conservatoires en application de la législation française ;
- l'instrument uniformisé ne comporte pas l'indication précise de la période couverte par la créance, de la nature de cette créance ni de son montant ;
- l'indication selon laquelle la prise de mesures en France donnerait lieu à des difficultés disproportionnées est erronée ;
- en vertu de la législation nationale et des pratiques administratives françaises, en l'absence d'avis de mise en recouvrement, l'administration française ne pouvait pas prendre de mesures conservatoires, y compris dans le cadre d'une demande adressée à un autre Etat membre ;
- la demande de prise de garanties concernant ses biens situés en Hongrie est excessive.
La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 8 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 24 janvier 2025.
Par une lettre du 6 février 2025, les parties ont été informées que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions présentées en première instance par M. B... tendant à ce que soit prononcée la nullité de l'acte de poursuites du 8 avril 2022 et ordonnée la mainlevée de ces saisies provisoires, en l'absence de mise en recouvrement d'impositions.
Par un mémoire, enregistré le 11 février 2025, M. B... indique, en réponse au moyen d'ordre public, que ses conclusions sont recevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. B... a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2017 et 2018. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration a fait connaître au contribuable, par deux propositions de rectification des 25 mai 2021 et 12 octobre 2021, son intention de procéder à des rectifications portant sur l'impôt sur le revenu et les contributions sociales au titre des années vérifiées et de les assortir de majorations. Par une autre proposition de rectification du 26 novembre 2021, l'administration a informé M. B... qu'elle envisageait de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2011 à 2016. Enfin, par deux propositions de rectification des 25 mai 2021 et 21 mars 2022, l'administration a informé M. B... de son intention d'appliquer, au titre de droits de mutation, le dispositif de taxation prévu à l'article 755 du code général des impôts.
2. Le 17 mars 2022, la comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Yvelines a, en application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, sollicité du juge de l'exécution l'autorisation de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens de M. B... situés en France. En vertu d'ordonnances du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Versailles du 22 mars 2022 et du 11 mai 2022, la comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Yvelines a fait procéder à des saisies conservatoires de créances sur les comptes bancaires de M. B... et à des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoire sur quatre biens immobiliers lui appartement. Saisie par M. B..., la cour d'appel de Versailles, par un arrêt du 26 octobre 2023, a confirmé l'existence de menaces sur le recouvrement de la créance, et, après avoir estimé que la créance était suffisamment garantie par les saisies conservatoires opérées sur les comptes de l'intéressé et l'hypothèque de l'un de ses biens, a réformé ces ordonnances en ce qu'elles avaient procédé à l'inscription d'hypothèque sur trois autres biens.
3. Le 8 avril 2022, la direction des créances spéciales du Trésor a adressé aux autorités hongroises, au moyen du formulaire type visé à l'article 21 de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, une demande de prises de mesures conservatoires en vue de garantir le recouvrement de la créance fiscale, laquelle n'avait alors pas encore été rendue exécutoire.
4. M. B... a formé opposition contre cet acte puis, devant le tribunal administratif d'Amiens, il a contesté la décision implicite par laquelle le comptable public avait rejeté cette opposition et a sollicité la mainlevée des saisies conservatoires effectuées par les autorités hongroises. Par une ordonnance du 29 janvier 2024, dont M. B... relève appel, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable au motif que l'acte dont l'annulation était demandée n'était pas détachable de la procédure de recouvrement.
Sur le cadre juridique applicable :
5. Aux termes de l'article 16 de la directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures : " 1. À la diligence de l'autorité requérante, l'autorité requise prend des mesures conservatoires, si sa législation nationale l'y autorise et conformément à ses pratiques administratives, en vue de garantir le recouvrement lorsqu'une créance ou l'instrument permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'État membre requérant est contesté au moment où la demande est présentée, ou lorsque la créance ne fait pas encore l'objet d'un instrument permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'État membre requérant, si ces mesures conservatoires sont également possibles, dans une situation similaire, en vertu de la législation nationale et des pratiques administratives de l'État membre requérant. / Le document établi aux fins de la mise en œuvre de mesures conservatoires dans l'État membre requérant et relative à la créance faisant l'objet d'une demande d'assistance mutuelle, le cas échéant, est joint à la demande de mesures conservatoires dans l'État membre requis. Aucun acte visant à faire reconnaître ce document, à le compléter ou à le remplacer n'est nécessaire dans l'État membre requis. / 2. La demande de mesures conservatoires peut être accompagnée d'autres documents relatifs à la créance concernée, émanant de l'État membre requérant ". Aux termes de l'article 17 de cette directive, relatif aux dispositions régissant les demandes de mesures conservatoires : " Aux fins de la mise en œuvre de l'article 16, l'article 10, paragraphe 2, l'article 13, paragraphes 1 et 2, l'article 14 et l'article 15 s'appliquent par analogie ".
6. Aux termes du II de l'article L. 283 A du livre des procédures fiscales : " L'administration peut requérir des Etats membres de l'Union européenne et elle est tenue de leur prêter assistance en matière de recouvrement, de notification d'actes ou de décisions, y compris judiciaires, de prises de mesures conservatoires et d'échange de renseignements relatifs à toutes les créances afférentes : / 1° A l'ensemble des taxes, impôts et droits quels qu'ils soient, perçus par un Etat membre ou pour le compte de celui-ci ou par ses subdivisions territoriales ou administratives ou pour le compte de celles-ci, y compris les autorités locales, ou pour le compte de l'Union ; / 2° Aux sanctions, amendes, redevances et majorations administratives liées aux créances pouvant faire l'objet d'une demande d'assistance mutuelle conformément au 1° prononcées par les autorités administratives chargées de la perception des taxes, impôts ou droits concernés ou des enquêtes administratives y afférentes ou ayant été confirmées, à la demande desdites autorités administratives, par des organes administratifs ou judiciaires ; / 3° Aux redevances perçues pour les attestations et les documents similaires délivrés dans le cadre de procédures administratives relatives aux taxes, impôts et droits ; / 4° Aux intérêts et frais relatifs aux créances pouvant faire l'objet d'une demande d'assistance conformément aux 1° à 3° ".
7. Aux termes de l'article L. 283 C du livre des procédures fiscales : " (...) X. - A la demande de l'Etat membre requérant ou lorsqu'il l'estime nécessaire, le comptable public compétent prend toutes mesures conservatoires utiles pour garantir le recouvrement de la créance de cet Etat. / XI. - L'administration compétente donne suite à une demande de prise de mesures conservatoires :/ (...) / 2° Lorsque la créance ne fait pas encore l'objet d'un titre de recouvrement, dans la mesure où la législation de l'Etat membre requérant permet de prendre des mesures conservatoires en l'absence d'un titre exécutoire. / XII. - Les questions relatives à la prescription de l'action en recouvrement et au caractère interruptif ou suspensif des actes effectués par le comptable public pour le recouvrement des créances d'un autre Etat membre sont appréciées selon la législation de l'Etat requérant. (...) ".
8. Aux termes de l'article R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales : " I. - La contestation relative à la validité de la notification, par l'Etat membre requérant, de la créance, du titre exécutoire ou de l'instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée par son destinataire devant l'instance compétente de l'Etat membre requérant. / Toute contestation relative à la créance, au titre exécutoire établi par l'Etat membre requérant ou à l'instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée devant l'instance compétente de l'Etat membre requérant ".
9. Aux termes de l'article L. 281 du même livre : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / (...) / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : / a) Pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L. 199 ; (...) ".
Sur la compétence de la juridiction administrative :
10. Il résulte de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales que les contestations relatives au recouvrement des impôts dont le contentieux d'assiette relève de la compétence du juge administratif en vertu de l'article L. 199 de ce livre, doivent être portées devant le tribunal administratif lorsqu'elles portent " sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée ".
11. En revanche, d'une part, les contestations portant sur la saisissabilité des biens, pour lesquelles le redevable peut saisir directement le juge de l'exécution dans les conditions prévues par le code des procédures civiles d'exécution, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales et, d'autre part, le juge judiciaire de l'exécution est compétent pour tout ce qui ne relève pas du juge de l'impôt.
12. Les dispositions des articles L. 283 A, L. 283 C et R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales ne dérogent pas à la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire résultant des textes et des principes rappelés ci-dessus.
13. Dans ces conditions, un litige né de la mise en œuvre de l'assistance internationale prévue par l'article L. 283 C du livre des procédures fiscales pour assurer la prise de mesures conservatoires dans un autre Etat ne relève pas du juge administratif lorsque la créance fiscale en cause n'a pas encore été mise en recouvrement. Dans un tel cas, il n'appartient pas au juge administratif, juge d'attribution, mais au juge judiciaire de connaître d'une contestation portant sur les conditions dans lesquelles la demande d'assistance en vue de la prise de mesures conservatoires, avant la mise en recouvrement de toute imposition, a été présentée.
14. M. B... a contesté devant le tribunal administratif la demande de prise de mesures conservatoires adressée par la direction des créances spéciales du Trésor aux autorités hongroises le 8 avril 2022 à raison de redressements notifiés à l'intéressé en matière d'impôt sur le revenu et a sollicité la main levée des saisies effectuées en Hongrie.
15. Toutefois, cette demande a été émise alors que la créance fiscale en cause n'avait pas encore été mise en recouvrement. Elle tendait à la mise en œuvre de saisies, à titre conservatoire, de deux biens immobiliers dont dispose M. B... en Hongrie ainsi que de créances figurant sur les trois comptes bancaires ouverts à son nom dans cet Etat. Il résulte des indications portées par la direction des créances spéciales du Trésor sur le formulaire qu'elle a rempli aux fins de solliciter l'assistance des autorités hongroises que les mesures conservatoires sollicitées étaient nécessaires dans la mesure où " la mise en œuvre de procédures de recouvrement forcé dans l'Etat requérant donnerait lieu à des difficultés disproportionnées ".
16. En l'absence de mise à la charge de l'intéressé d'impositions supplémentaires, le litige soulevé par M. B... ne porte ni sur l'existence de l'obligation de payer un impôt, ni sur l'exigibilité ou la quotité de l'impôt. Le litige né de l'action de M. B... concerne les seules modalités des poursuites que l'administration a entendu mettre en œuvre, à titre conservatoire, en raison de circonstances qu'elle a estimé éventuellement susceptibles de menacer un recouvrement ultérieur de sa créance. M. B... se borne à contester les conditions dans lesquelles la demande d'assistance à la prise de mesures de saisies conservatoires a été présentée par l'administration fiscale française à l'Etat hongrois. Pour l'ensemble de ces raisons, la contestation de M. B... relève de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.
17. Il suit de là que l'ordonnance du 29 janvier 2024 par laquelle le président de la 2ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté comme manifestement irrecevables les conclusions de la demande de M. B... tendant à ce que soit prononcée la nullité de la demande de prise de mesures conservatoires présentée le 8 avril 2022 par la direction des créances spéciales du Trésor auprès des autorités hongroises, doit être annulée, comme rendue par une juridiction incompétente pour en connaître.
18. Il y a toutefois lieu d'évoquer, de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens et de rejeter cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2400141 du 29 janvier 2024 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif d'Amiens est annulée.
Article 2 : La demande de M. B... est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre chargée des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°24DA00632