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13/02/2025 | FRANCE | N°24DA00561

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 13 février 2025, 24DA00561


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner en France pour une durée d'un mois, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans

un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner en France pour une durée d'un mois, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jours de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2303315 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus de la demande de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistrées les 18 mars 2024, 19 juin 2024 et 16 septembre 2024, M. A..., représenté par Me Mary, avocat, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2303315 du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Rouen, en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- ce dernier ne vise pas le mémoire de production des pièces du 19 octobre 2023 qui étaient déterminantes ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision a été prise en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu ;

- la décision est stéréotypée ;

- elle est entachée d'erreur de droit au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle ne distingue pas entre les notions de vie privée et de vie familiale ;

- elle porte atteinte à son droit à la vie privée " et/ou " familiale ;

- l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français aurait dû conduire à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne le délai de départ volontaire de trente jours :

- elle est disproportionnée et aurait dû être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- cette décision a été prise en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu avant toute décision défavorable ;

- elle doit être annulée par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Maritime qui n'a pas produit d'observations.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 3 mai 1999 à Bouake (Côte d'Ivoire) est entré en France le 27 septembre 2020 muni d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", à l'expiration duquel il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français. Par un premier arrêté du 3 octobre 2021, M. A... a fait l'objet d'un refus de titre de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Après avoir été placé en retenue administrative le 1er août 2023, M. A... a fait l'objet d'une nouvelle obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un mois. Par le jugement attaqué du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français et rejeté le surplus de la demande de M. A....

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".

3. Ces dispositions ne font pas obligation aux juridictions de viser et d'analyser distinctement dans leurs décisions les mémoires de production de pièces transmis par les parties au litige qui ne contiennent ni conclusion ni moyen, ces pièces se trouvant visées par la mention finale : " Vu les autres pièces du dossier ".

4. M. A... a, le 19 octobre 2023, transmis au tribunal un simple mémoire en production de pièces, à savoir un acte de reconnaissance anticipé d'un enfant à naître, ainsi qu'un acte de désignation de sa compagne comme personne de confiance au sens du code de la santé publique. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient entaché d'irrégularité le jugement attaqué en s'abstenant de viser distinctement ce mémoire en production de pièces ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen commun aux décisions attaquées :

5. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".

6. Il appartient à l'autorité préfectorale comme à toute administration de faire application du droit de l'Union européenne et d'en appliquer les principes généraux, dont celui du droit à une bonne administration. Parmi ces principes, figure celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit implique seulement, qu'informé de ce qu'une décision est susceptible d'être prise à son encontre, l'intéressé soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales.

7. Il ressort des pièces du dossier que lors de son audition par les services de police le 1er août 2023, l'hypothèse d'une mesure d'éloignement a été envisagée. M. A... a alors présenté ses observations et tout élément utile concernant sa situation personnelle et professionnelle. L'intéressé a également été entendu sur ses démarches en vue de la régularisation de son séjour et a été mis en mesure de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur son éventuel éloignement. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait été adoptée en méconnaissance des stipulations précitées.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

8. Il ressort des termes de la décision en litige, qui vise notamment les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le parcours et la situation administrative de M. A... sont mentionnés, en particulier la circonstance qu'il avait déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement le 3 décembre 2021 à laquelle l'intéressé n'avait pas déféré. De même, la décision fait état de la situation personnelle de M. A..., telle qu'il l'a déclarée lors de son audition du 1er août 2023. Ainsi, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige est stéréotypée, ni même insuffisamment motivée.

9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. En premier lieu, aucune règle n'impose à l'autorité administrative, lorsqu'elle se prononce sur le respect de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de distinguer le droit au respect de la vie privée, d'une part, et le droit au respect de la vie familiale, d'autre part. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas, en écartant indistinctement toute atteinte par sa décision au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A..., commis d'erreur de droit.

11. En deuxième lieu, il est constant que l'intéressé, entré en France en septembre 2020 muni d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", s'est maintenu irrégulièrement à l'expiration de son visa le 15 septembre 2021, qu'il avait déjà fait l'objet d'un refus de séjour et d'une précédente obligation de quitter le territoire français le 3 décembre 2021 vers la Côte d'Ivoire où réside sa mère. Par ailleurs, il résulte des termes du procès-verbal d'audition du 1er août 2023 que M. A... n'exerce aucune activité professionnelle et ne dispose d'aucune ressource propre en dehors de 500 euros mensuels. Si l'intéressé soutient que ses deux frères résident en France, il n'établit pas entretenir de relations étroites avec eux. Enfin, il ressort des pièces du dossier que si M. A... fait valoir qu'il est en concubinage avec une ressortissante française avec qui il a eu un enfant né le 16 avril 2024, cet enfant est né postérieurement à la décision attaquée. Au surplus, les quelques photographies produites, non datées pour la plupart, et les factures produites, dont certaines ne sont établies qu'au seul nom de sa compagne, n'établissent pas qu'il contribue effectivement à l'entretien et l'éducation de son enfant depuis sa naissance. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations précitées.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / (...) ".

13. Si M. A... soutient que l'obligation de quitter le territoire aurait dû être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, cette dernière ne constitue ni le fondement de l'obligation de quitter le territoire français, n'est pas prise pour son application et n'en constitue pas la base légale. Par suite, le moyen manque en droit et doit être écarté.

14. En quatrième lieu, en se bornant à soutenir, sans autre précision, que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, M. A... n'apporte aucun élément permettant d'apprécier le bien-fondé d'un tel moyen. Il s'ensuit qu'un tel moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le délai de départ volontaire de trente jours :

15. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".

16. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet de la Seine-Maritime a accordé à M. A... un délai de départ volontaire de trente jours. D'une part, si M. A... soutient que cette décision aurait dû être annulée par exception d'illégalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, cette dernière ne constitue ni le fondement de l'obligation de quitter le territoire français, n'est pas prise pour son application et n'en constitue pas la base légale. D'autre part, M. A... n'établit pas, ni même n'allègue, devoir bénéficier, à titre exceptionnel, d'un délai de départ supérieur à trente jours. Il s'ensuit que ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

17. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écartée.

18. En second lieu, en se bornant à alléguer, sans autre précision, que la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, M. A... n'apporte aucun élément permettant d'apprécier le bien-fondé d'un tel moyen qui doit, par suite, être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Compte tenu du rejet de sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er août 2023, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

Sur les frais de l'instance :

21. Partie perdante dans l'instance, M. A... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie pour information sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Damien Vérisson, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.

Le rapporteur,

Signé : D. B...

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

2

N°24DA00561


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00561
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Damien Vérisson
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : SELARL MARY & INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;24da00561 ?
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