Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 juillet 2021 par lequel le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé de le titulariser à l'issue de son stage et l'a radié des cadres à compter du 1er septembre 2021, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 11 décembre 2021, d'autre part, d'enjoindre au ministre de renouveler son stage et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation personnelle.
Par un jugement n° 2201098 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 27 juillet 2021 par lequel le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé de titulariser M. B... à l'issue de son stage et l'a radié des cadres à compter du 1er septembre 2021 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé au regard de ses droits à titularisation dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 janvier et le 26 février 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté du 27 juillet 2021 ;
- en retenant que sa décision se fondait sur l'avis rendu le 16 juillet 2021 par la commission administrative paritaire et sur l'avis émis le 29 juin 2021 par le jury, les premiers juges ont commis une erreur de qualification juridique des faits dès lors qu'il ne s'agit pas d'avis conformes ;
- le refus de titularisation de M. B... repose exclusivement sur son insuffisance professionnelle, qui ressort en particulier de l'avis en date du 12 février 2021 de l'inspecteur de l'enseignement agricole ;
- le refus de titularisation ne reposant sur aucun élément de fait susceptible de caractériser une faute disciplinaire, c'est à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait être prise sans inviter préalablement M. B... à présenter ses observations ;
- les autres moyens doivent être écartés pour les motifs exposés dans les écritures de première instance auxquelles il est renvoyé.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2024 et le 16 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Taulet, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'agriculture de prononcer sa titularisation ou le renouvellement de son stage à compter du 1er septembre 2021 avec toutes conséquences en termes de reconstitution de carrière et très subsidiairement de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 90-90 du 24 janvier 1990 ;
- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;
- l'arrêté du 26 février 2016 fixant les modalités de stage, d'évaluation et de titularisation des personnels enseignants et d'éducation stagiaires relevant du ministre chargé de l'agriculture ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a été recruté le 1er septembre 2013 en qualité d'enseignant contractuel en français et éducation socioculturelle par le ministère de l'agriculture et de la pêche. Il a ensuite été recruté en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2019. Lauréat du concours interne 2020 de professeur de lycée professionnel agricole, il a été affecté au lycée d'enseignement général et technologique agricole de Sains-du-Nord en qualité de professeur de lycée professionnel agricole stagiaire du 1er septembre 2020 au 31 août 2021. Par une délibération du 29 juin 2021, le jury d'évaluation de l'année de stage en vue de l'admission au certificat d'aptitude pour l'accès au corps des professeurs de lycée professionnel agricole a proposé au ministre en charge de l'agriculture de refuser définitivement l'admission de M. B.... Par un arrêté du 27 juillet 2021 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. B... n'a pas été titularisé et a été radié des cadres à compter du 1er septembre 2021. Le 7 octobre 2021, l'intéressé a formé un recours gracieux auprès du ministre en charge de l'agriculture qui l'a implicitement rejeté. La ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 27 juillet 2021 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... au regard de ses droits à titularisation.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article de l'article 10 du décret du 24 janvier 1990 relatif au statut particulier des professeurs de lycée professionnel agricole dans sa version applicable au litige : " Les candidats reçus aux concours internes sont nommés professeurs de lycée professionnel agricoles stagiaires par le ministre chargé de l'agriculture et affectés pour la durée du stage dans les établissements d'enseignement agricole publics relevant du ministre chargé de l'agriculture, ainsi que dans les établissements visés à l'article R. 421-79 du code de l'éducation. / Le stage a une durée d'un an. Au cours de leur stage, les professeurs stagiaires bénéficient d'une formation dispensée sous la forme d'actions prises en compte dans un éventuel parcours de formation qualifiant organisées par un établissement d'enseignement supérieur agricole public en charge de la formation des personnels enseignants et d'éducation, ainsi que d'un tutorat ou d'autres types d'actions de formation. Les modalités du stage et les conditions de son évaluation par un jury sont arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture. / (...) A l'issue du stage d'une durée d'un an, la titularisation est prononcée par le ministre chargé de l'agriculture, sur proposition du jury. / La titularisation confère le certificat d'aptitude au professorat de lycée professionnel agricole. / Le ministre chargé de l'agriculture peut autoriser l'accomplissement d'une seconde année de stage. A l'issue de cette période, l'intéressé est soit titularisé par le ministre, soit licencié, soit réintégré dans son corps, cadre d'emplois ou emploi d'origine. ". Selon l'article 10-3 de ce décret : " Les professeurs de lycée professionnel agricole sont, à l'issue de leur stage et après avis donné sur leur manière de servir durant l'année de stage par le jury mentionné à l'article 10, titularisés par décision du ministre chargé de l'agriculture en qualité de professeurs de lycée professionnel agricole sans avoir à justifier de la détention d'un master ou d'un titre ou diplôme équivalent et à obtenir le certificat d'aptitude aux fonctions de professeur de lycée professionnel agricole. / L'avis rendu par le jury s'appuie sur une évaluation, dont les modalités sont fixées par un arrêté du ministre chargé de l'agriculture, et qui résulte notamment d'une inspection du professeur de lycée professionnel agricole stagiaire dans l'une des classes qui lui sont confiées ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 février 2016 fixant les modalités de stage, d'évaluation et de titularisation des personnels enseignants et d'éducation stagiaires relevant du ministre chargé de l'agriculture, alors en vigueur : " Le jury se prononce sur le fondement des référentiels de compétences relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et du ministre chargé de l'agriculture respectivement prévus par l'arrêté du 1er juillet 2013 et de l'arrêté du 13 juillet 2016 relatif au référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation au sein de l'enseignement agricole, après avoir pris connaissance des éléments et avis suivants, établis sur la base de grilles d'évaluation : / 1° Le rapport, sur la base d'une inspection, et l'avis motivé d'un inspecteur de l'enseignement agricole désigné par le doyen de l'inspection de l'enseignement agricole ou d'un inspecteur de l'enseignement maritime, le cas échéant ; / 2° L'avis motivé du chef de l'établissement dans lequel le fonctionnaire stagiaire a été affecté pour effectuer son stage ; / 3° Le rapport du ou des conseiller (s) pédagogique (s) ou du conseiller professionnel le cas échéant ; / 4° L'avis motivé du directeur de l'école en charge de la formation du stagiaire ". Aux termes de l'article 7 de ce même arrêté : " Après délibération, le jury propose au ministre la liste des fonctionnaires stagiaires qu'il estime aptes à être titularisés. / Il rend également un avis au ministre sur l'opportunité pour chaque candidat dont la titularisation n'est pas proposée, au regard de ses aptitudes professionnelles, d'effectuer une seconde et dernière année de stage. / En application de l'article 25 du décret du 28 mai 1982 susvisé, les commissions administratives paritaires des corps mentionnés à l'article 1er du présent arrêté connaissent des propositions de titularisation et de refus de titularisation ". Aux termes de son article 8 : " Le ministre chargé de l'agriculture arrête la liste des stagiaires titularisés, sur proposition du jury. / Le ministre prolonge d'un an le stage des stagiaires lauréats des concours externes aptes à être titularisés devant justifier d'un master ou d'un titre ou diplôme reconnu équivalent par le ministre chargé de l'agriculture qui ne rempliraient pas, à l'issue du stage, cette exigence. La titularisation du stagiaire peut être prononcée à l'issue de cette prolongation de stage à la condition qu'il détienne le titre ou le diplôme requis. / Le ministre arrête la liste des stagiaires autorisés à accomplir une seconde année de stage. Les stagiaires qui n'ont été ni titularisés, ni autorisés à accomplir une seconde année de stage sont, selon le cas, licenciés ou réintégrés dans leur corps, cadre d'emplois ou emploi d'origine ".
4. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne.
5. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.
6. Il résulte de ce qui précède que, pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.
7. Pour annuler le refus de titularisation de M. B..., le tribunal administratif de Lille a retenu que si cette décision se fonde sur des griefs susceptibles de se rattacher à l'appréciation générale de la manière de servir du requérant pouvant fonder un licenciement pour insuffisance professionnelle, ces mêmes griefs sont aussi, pour partie d'entre eux, de nature à justifier une sanction disciplinaire, de sorte qu'en application des principes rappelés aux points 4 à 6, une telle décision ne pouvait être prononcée sans que l'intéressé ait été mis préalablement à même de faire valoir ses observations.
8. Il résulte des dispositions règlementaires précitées, et notamment celles de l'article 4 de l'arrêté du 26 février 2016, que pour évaluer la manière de servir des fonctionnaires stagiaires et proposer au ministre en charge de l'agriculture la liste de ceux qu'il estime aptes à être titularisés, le jury doit, notamment, avoir pris connaissance du rapport et de l'avis motivé de l'inspecteur de l'enseignement agricole ainsi que celui du chef de l'établissement dans lequel le fonctionnaire stagiaire a été affecté. Dès lors qu'ils constituent des éléments indispensables à l'appréciation de l'aptitude du fonctionnaire stagiaire à exercer les fonctions de professeur de lycée professionnel agricole, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, le jury s'est nécessairement fondé sur ces deux avis pour formuler sa proposition de refus définitif de titularisation de M. B.... Si le ministre soutient qu'il n'est notamment pas lié par l'avis du jury, pour autant, les mêmes dispositions précitées de l'article 4 de l'arrêté du 26 février 2016 impliquent qu'avant de prendre sa décision, il prenne connaissance des avis de l'inspecteur de l'enseignement agricole et du chef d'établissement. Au demeurant, il ressort de ses propres écritures devant la cour que, pour refuser de titulariser M. B..., le ministre se prévaut de ce qu'il s'est en particulier fondé sur l'avis motivé daté du 12 février 2021 de l'inspecteur de l'enseignement agricole dont le rapport d'inspection a relevé les nombreuses insuffisances professionnelles du professeur stagiaire.
9. A cet égard, il est constant que ce rapport faisant suite à l'inspection, le 12 février 2021, d'un cours dans la classe de 1ère confiée à M. B..., relève, de manière précise et argumentée, un certain nombre d'insuffisances d'ordre pédagogique et méthodologique observées dans l'enseignement dispensé par l'intéressé, qui ont conduit l'inspecteur de l'enseignement agricole à rendre un avis défavorable à sa titularisation, motivé par l'absence de maîtrise des compétences et de la posture nécessaire à un enseignant et à un éducateur. Toutefois, il ressort des énonciations mêmes des conclusions de son avis, que l'inspecteur a constaté que M. B... se montre " régulièrement blessant voir brusque à l'égard des élèves, et des jeunes filles en particulier, il met volontiers mal à l'aise par des regards appuyés au point que plusieurs jeunes filles de la classe de GMNF ou de SAPAT affichent une réelle défiance à son égard, ainsi, semble-t-il que des collègues femmes ". L'inspecteur mentionne également " avoir personnellement reçu le témoignage explicite d'élèves qui mentionnent aussi un caractère facilement blessant dans ses postures " par des " mises en cause publiques d'élèves et son acharnement à poursuivre celles-ci de ses remarques désobligeantes [qui] ont conduit à plusieurs conflits, notamment avec des parents dont certains s'en sont légitimement émus par écrit ". Outre l'insuffisance pédagogique, l'inspecteur a ainsi motivé son avis sur la manière de servir de M. B..., qui révèle des attitudes et des comportements susceptibles de caractériser une faute disciplinaire. Dans ces conditions, et dès lors qu'il ne ressort pas des pièces produites et n'est pas davantage allégué par le ministre que M. B... aurait été mis à même de faire valoir ses observations en défense avant l'édiction de l'arrêté de radiation des cadres contesté, l'intéressé a bien été privé d'une garantie. Ce motif justifie ainsi l'annulation prononcée par les premiers juges.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 27 juillet 2021 refusant de titulariser M. B... à l'issue de son stage et le radiant des cadres à compter du 1er septembre 2021 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé au regard de ses droits à titularisation.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à M. A... B....
Délibéré après l'audience publique du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 24DA00131 2